ECOLE D’INGÉNIEURS

« Avec l’École polytechnique nous pensons à une association » : Elisabeth Crépon, directrice de l’Ensta ParisTech

Installée depuis deux ans à Palaiseau à deux encablures de sa « grande sœur » l’École polytechnique, l’Ensta ParisTech est appelée à s’en rapprocher dans les années à venir. Sa directrice, Elisabeth Crépon, trace le portrait d’une école qui est tout sauf un décalque de l’X.

Elisabeth Crépon
Elisabeth Crépon

Olivier Rollot (@O_Rollot) : Les statuts de l’université Paris-Saclay, dont vous êtes membre, vont bientôt être adoptés. Alors que dans d’autres Comue (communautés d’universités et d’établissements) les rapports entre grandes écoles et universités semblent parfois difficiles, à Saclay cela semble bien se dérouler entre tous les établissements. Pourquoi ?

Elisabeth Crépon : C’est le résultat d’un travail qui a commencé il y a plusieurs années, avec notre réponse commune aux Initiatives d’excellence, et qui a permis de mettre sur la table toutes les divergences pour arriver aujourd’hui à un consensus qui n’a rien de mou ! Au vu de la complexité d’un ensemble qui compte aujourd’hui 19 établissements on avance très vite.

O. R : L’ensemble de vos masters va être estampillé Paris-Saclay ?

E. C : Comme la plupart des établissements nous allons effectivement apporter nos masters à Paris-Saclay. C’est logique dans la mesure où une très grande majorité de ces masters étaient déjà partagés entre plusieurs acteurs. Dans notre cas nous allons même apporter notre master Génie maritime dont nous sommes pourtant l’opérateur unique dans le contexte du plateau mais nous voulions que Paris-Saclay ait une offre large en transport et énergie. Seule notre formation d’ingénieur reste gérée par l’école.

O. R : Votre entrée dans Paris-Saclay était actée depuis longtemps mais, l’année dernière, on a parlé d’un rapprochement avec l’École polytechnique, comme vous sous tutelle du ministère de la Défense, voire d’une fusion. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

E. C : Notre ministère de tutelle nous a effectivement demandé de réfléchir à comment travailler ensemble. Après une période d’inquiétude des personnels de l’Ensta ParisTech fin 2013, nous avons engagé depuis le début de l’année une concertation interne pour que les personnels imaginent ce qu’il serait pertinent de faire en synergie avec l’École polytechnique. Avec l’École polytechnique, nous travaillons ensemble depuis février-mars 2014 à nos dynamiques de complémentarité, dans le domaine académique et le développement des relations entreprise ou l’international. Sur ces derniers points, le travail avec l’École polytechnique est clairement une opportunité de développer nos partenariats.

O. R : Ce ne sera pas une fusion ?

E. C : Nous pensons aujourd’hui à une association des deux écoles. Nous réfléchissons encore à ce que nous mettrons exactement en commun à partir de notre projet académique Mais c’est à notre tutelle d’analyser maintenant nos propositions.

O. R : L’École polytechnique et l’Ensta ParisTech sont des écoles très différentes ?

E. C : Très complémentaires en fait. L’Ensta ParisTech est une école d’ingénieurs qui forme des ingénieurs à profils techniques et scientifique dans les domaines du transport, de l’ingénierie des systèmes complexes [la défense] et l’énergie. En fait trois industries de souveraineté où l’État intervient de façon forte. Dans le même esprit, nous menons des recherches fondamentales portées sur les applications concrètes. Nous avons par exemple un laboratoire de mécanique qui vient de s’associer à une unité mixte de recherche du CNRS avec EDF et le CEA. De son côté l’École polytechnique est beaucoup plus généraliste.

O. R : Que deviennent vos diplômés ?

E. C : Nous formons des ingénieurs qui travailleront à 70% dans des métiers techniques et dans la recherche et le développement. Ils vont démarrer dans la conception et l’étude de projets techniques  puis évoluer dans la gestion de projets. Ils sont très appréciés par les entreprises et leurs salaires sont d’ailleurs excellents avec une moyenne de 42 000 € bruts par an à la sortie de l’école.

O. R : C’est un problème dans beaucoup d’école d’ingénieurs. Arrivez-vous à recruter des filles ?

E. C : Elles représentent 30% de nos effectifs. C’est un peu au-dessus de la moyenne des écoles d’ingénieurs mais surtout très au-dessus de la moyenne des écoles de mécanique dans lesquelles elles sont plutôt 5 à 10%. Et elles s’insèrent dans les entreprises à des salaires parfois supérieurs aux garçons. Je n’ai pas d’explication particulière à cet intérêt des jeunes filles pour l’Ensta ParisTach mais je m’en réjouis quand je vois combien elles sont volontaires. Elles sont par exemple nombreuses parmi les présidents d’association. Nos étudiants sont par ailleurs très dynamiques pour monter des associations qui fédèrent les établissements de Paris-Saclay.

O. R : Votre recrutement reste à 100% en prépas ?

E. C : Quasi exclusivement dans le cycle ingénieur. Nous proposons aussi 10 places en admissions sur titre à des étudiants d’universités françaises mais elles ne sont jamais occupées et nous le regrettons. Nous avons également des étudiants internationaux  issus d’universités étrangères partenaires et un accord particulier avec l’Enit, une grande école d’ingénieurs de Tunis, qui permet chaque année à 25 de leurs étudiants de passer un an et demi à l’Ensta ParisTech après un an et demi passé dans leur école en ayant eu la même formation que nos 1ère année.

O. R : Avec l’évolution des programmes de terminale S les classes prépas doivent évoluer. Cela va-t-il également faire évoluer vos enseignements quand ils arriveront chez vous en 2015 ?

E. C : Nous avons fait le point avec l’association des professeurs de prépas scientifiques (l’UPS) et nous savons déjà qu’ils auront appris à faire de la modélisation en prépas plutôt qu’au lycée. Maintenant, nous allons mettre en place une évolution du niveau de ces nouveaux étudiants en maths. Mais nous sommes confiants : nos élèves seront toujours aussi brillants !

Nous travaillons également à une refonte de notre troisième année pour encore plus la focaliser sur nos grands domaines d’expertise.

O. R : Vous pensez aussi faire évoluer la pédagogie de l’école ?

E. C : Un de nos enseignants, David Boschetto, a créé ce qu’on appelle un SPOC (small private online course) de mécanique quantique pour tester de nouvelles méthodes pédagogiques à distance et interactives. Nous sommes dans une phase bilan qui promet d’être très favorable : les élèves trouvent un vrai nouvel intérêt et nous avons déjà pu constater qu’ils donnaient plus de réponses justes dans les évaluations que dans le cours traditionnel.

O. R : L’Ensta ParisTech c’est aussi une école de taille moyenne avec des promotions ingénieurs un peu inférieures à 200 étudiants par an. Vous rapprocher de l’École polytechnique vous permettra-il d’atteindre une sorte de « masse critique » ?

E. C : Notre intégration dans Paris-Saclay comme notre rapprochement avec l’École polytechnique nous permettent effectivement d’atteindre cette « taille critique ». Mais il y a aussi des avantages à être « petits » pour lancer certains programmes ou s’adapter rapidement aux besoins des industriels.

O. R : Justement, vous avez signé cette année beaucoup d’accords avec des entreprises ?

E. C : EY (le nouveau nom d’Ernst & Young) fait du mécénat pédagogique avec un cours de comptabilité. Dans ce cadre leurs consultants proposent à nos étudiants des études de cas. Pour nos étudiants c’est intéressant d’être face à des professionnels susceptibles de les recruter ensuite. Pour les consultants, c’est important de comprendre comment une grande école fonctionne et de faire partager ses enjeux. Safran travaille avec notre bureau des élèves et notre réseau des anciens, etc. Ce sont des entreprises qui ont une vision globale de ce que doit être la relation entre une entreprise et une école.

O. R : Oui mais encore faut-il venir chez vous. La question des transports ne reste pas le point faible de Paris Saclay ?

E. C : Le RER B comme le trafic routier sont aujourd’hui déjà saturés alors qu’en 2015 vont arriver des salariés des laboratoires d’EDF puis l’Ensae, etc. Tout cela alors que le métro ne sera construit qu’en 2023. Nos étudiants ont même proposé de construire un télécabine, comme c’est le cas dans de plus en plus de villes dans le monde, pour améliorer les déplacements sur le site de Paris-Saclay.

O. R : Une dernière question : vos frais d’inscription et de scolarité vont sans doute doubler dans les deux ans. Pourquoi ?

E. C : Il nous reste à obtenir l’accord formel de notre ministère de tutelle, la Défense, pour une partie, mais le conseil d’administration de l’Ensta ParisTech a déjà voté en faveur d’une augmentation de ses droits d’inscription et de scolarité qui conduit à leur doublement en 2015. En 2014 les frais  de scolarité vont en effet passer à 450€ puis, en 2015, les droits d’inscription à 1850€ soit au total 2300€. Nous nous situerons alors au même niveau que les écoles de l’Institut Mines Télécom ou des Ponts ParisTech. Les boursiers resteront totalement exonérés et la mesure ne touchera pas les étudiants déjà inscrits.

Nous devons prendre cette mesure car nous sommes bien obligés de constater que, sur nos trois sources de financement que sont les subventions, les ressources propres et les droits la première est sans essor possible avec les budgets restreints qu’on connaît. Nous cherchons donc des ressources qui passent par le développement de la recherche, des chaires ou encore des Mastères Spécialisés mais aussi par cette augmentation des droits dont nous prendrons bien garde à ce qu’elle ne touche pas les familles modestes mais aussi celles qui sont à des seuils de revenus.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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