ECOLE D’INGÉNIEURS

Comment évaluer les compétences: entretien avec Alain Ayache, directeur de l’Enseeiht

La notion de « compétences » est de plus en plus au cœur des cursus des écoles d’ingénieurs. La Commission des titres d’ingénieur (CTI) impose notamment à toutes les écoles d’avoir aujourd’hui ce qu’on appelle un « référentiel  compétence ». Directeur de l’Enseeiht de Toulouse, une école membre de l’Inp Toulouse, Alain Ayache revient sur des notions parfois mal comprises mais aussi sur l’évolution des écoles d’ingénieurs.

Alain Ayache

Olivier Rollot : Qu’est ce qui amène les étudiants à venir dans votre école ?

Alain Ayache : Nous sommes très bien classés dans les palmarès mais si nous attirons beaucoup d’étudiants étrangers – 30 % des effectifs – c’est d’abord grâce à l’image d’excellence de Toulouse, notamment en aéronautique.L’ensemble des écoles d’ingénieurs de la région travaillons en concertation. Nous-mêmes faisons partie de l’INP Toulouse avec six autres écoles. Et nous travaillons aussi bien avec l’ESC Toulouse qu’avec l’institut d’administration des entreprises (IAE) ou l’université Paul Sabatier dans le cadre du PRES Université de Toulouse. Il y a de la place pour tout le monde.

O.R : Vous recrutez principalement sur prépas mais pas seulement. Quelle évolution voyez-vous pour les différentes formes de recrutement ?

A.Y : En raison de la stagnation du nombre d’élèves en prépas, nous souhaitons d’ailleurs en recruter plus à l’université, notamment dans les IUT qui recrutent d’excellents bacheliers. À moyen terme, la proportion d’élèves issus de prépas et hors prépas pourrait ainsi être égale dans notre école.

O.R : Vous parlez de problèmes d’effectifs en prépas scientifiques mais n’y a-t-il pas un problème global d’attractivité des filières scientifiques ?

A.Y :Nous souffrons effectivement d’une image dégradée de la profession d’ingénieurs qui rejoint celle de l’industrie. Vous savez, on ne parle que des plans sociaux et jamais des créations d’emploi alors qu’Airbus est à la recherche de 1000 ingénieurs.

O.R : Vous faites partie de ceux qui ont parmi les premiers mis en œuvre l’approche « Compétences » dans leur école. Mais qu’est-ce au juste qu’une compétence ? Comment se différencie-t-elle d’une connaissance ?

A.Y : Qu’il s’agisse de mathématiques, de physique ou d’histoire on s’appuie sur les connaissances depuis des centaines d’années. On sait les évaluer et longtemps on en est restés là sans se demander à quoi elles pouvaient bien servir. Aujourd’hui il s’agit de mettre les étudiants en situation pour leur apprendre à mobiliser leurs connaissances dans une situation donnée afin d’en faire des compétences.

O.R : Mais pourquoi adopter l’approche « Compétences » dans les écoles d’ingénieurs aujourd’hui ?

A.Y : Pour trois raisons. La première est que le processus de Bologne nous l’impose afin d’avoir un langage européen commun entre tous les établissements de formation. Ensuite, la nécessité de répondre aux besoins du monde industriel. Quand une entreprise recherche un ingénieur elle se demande si elle est la personne adaptée et termes de compétences. Elle ne s’intéresse pas à ses connaissances. Enfin, nos propres élèves sont demandeurs car ils veulent savoir pourquoi ils font des maths, pourquoi ils apprennent tel ou tel théorème et à quoi cela pourra bien leur servir plus tard.

O.R : Comment évaluez-vous les compétences ?

A.Y : Il ne peut y avoir de compétences sans connaissances ! Pour chacune des connaissances que nous apportons, nous disposons d’un référentiel qui nous permet d’apprécier à quelles compétences elles mènent. Comment un cours d’électrotechnique permet d’apprendre à modéliser des systèmes, comment un autre favorise le travail de groupe, etc. Ensuite, la difficulté c’est l’individualisation. Les compétences sont personnelles et chacun les développera différemment selon son profil, selon qu’il est plus manuel que théorique par exemple. Les mises en situation – stages ou travaux pratiques – permettent de valider les compétences.

O.R : Le sujet des compétences n’est pas qu’un problème technique. On reproche parfois à cette approche la sujétion qu’elle impliquerait vis-à-vis de l’entreprise. Qu’en dites-vous ?

A.Y : C’est un grief qu’on ne peut pas nous faire car nous sommes une école d’ingénieurs, dont le but est bien de préparer à un métier. De plus, la démarche compétence nous permet de faciliter la construction d’un projet professionnel avec des étudiants qui sont conscients de l’intérêt de suivre tel ou tel cours. Mais il est aussi vrai que certains professeurs disent ne pas savoir comment gérer une approche qui génère de 20 à 25% de travail supplémentaire par rapport à la démarche «connaissances» classique.

O.R : Vous dites que vos élèves sont séduits par la démarche. Mais comment amenez-vous des élèves issus de prépas – 80% de vos promotions – à être acteurs de leur cursus quand, jusque-là, ils ont été plutôt passifs ?

A.Y : En fait ils ne veulent plus de gavage de connaissances et, dans les six mois après leur arrivée, passent pour la plupart très bien à un nouveau système. Ils y sont aussi aidés par la présence d’étudiants issus de l’université qui sont souvent plus débrouillards.

O.R : Au-delà des compétences vous travaillez de plus en plus en mode projet. Pouvez-vous expliquer en quoi cela consiste ?

A.Y : La pédagogie projet est directement liée à la mise en œuvre de l’approche compétence. En effet, c’est un outil très efficace d’évaluation de l’acquisition des compétences dans le cadre de la mise en situation des étudiants à travers les projets. A l’Enseeiht, trois grands types de projets sont proposés : des projets pédagogiques qui permettent de mettre en œuvre des connaissances directement issues du cursus, des projets recherche dans lesquels les étudiants abordent des domaines des laboratoires de recherche de l’école et des projets industriels proposés par les entreprises et co-encadrés par des enseignants et des ingénieurs.

O.R : Certains disent qu’on cède trop facilement aux « caprices » des étudiants, qu’ils devraient déjà être très contents d’avoir la chance d’étudier dans des écoles ou des universités de si haut niveau. Qu’en pensez-vous ?

A.Y : Il ne me semble pas que l’on cède aux « caprices » des étudiants. Je dirais plutôt que l’enseignement supérieur doit adapter ses méthodes pédagogiques aux qualités et défauts de la génération Y. Contrairement à ma génération, où on acceptait très passivement l’enseignement qui nous était proposé, les jeunes que nous formons aujourd’hui sont plus exigeants. Impliquer un étudiant dans sa formation (à travers un projet professionnel, l’approche compétence, la multiculturalité, l’ouverture internationale, etc.) participe à sa motivation. Pour un enseignant, il est bien plus agréable et surtout efficace d’assurer un enseignement devant des étudiants acteurs et motivés.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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