EMPLOI / SOCIETE

Diversité dans l’enseignement supérieur: 12 grandes entreprises veulent utiliser leur taxe d’apprentissage pour faire pression

«L’intelligence est partout, il faut aller la chercher.» Benjamin Blavier, délégué général de l’association Passeport Avenir, a publié il y a quelques semaines un manifeste dans lequel douze grands patrons (Stéphane Richard pour Orange, Guillaume Pépy pour la SNCF ou encore Luc-François Salvador pour CapGemini), s’engagent «pour l’égalité des chances dans l’école et lentreprise». «Les grandes entreprises ont beaucoup muri et nommé des responsables diversité qui sont aujourd’hui associés aux décisions des services des ressources humaines», se félicite Benjamin Blavier.

Les entreprises signataires du manifeste ne veulent plus aujourd’hui laisser à l’enseignement supérieur la seule responsabilité de former des jeunes issus de tous les milieux sociaux. Leur constat est clair et rejoint toutes les études menées en France ces vingt dernières années: «Selon votre naissance, votre entourage, et vos moyens, l’accès aux études supérieures, en particulier celles qui préparent aux responsabilités dans les entreprises et les administrations, reste inéquitable».

Les entreprises les recherchent

Les jeunes diplômés issus de familles moins favorisées s’intègrent même souvent mieux que les autres. «Ils ont surmonté beaucoup d’obstacles et sont meilleurs que les autres pour lesquels cela a été très facile», assure Benjamin Blavier. Sciences Po l’a bien démontré: ses jeunes diplômés passés par sa fameuse filière ZEP bénéficient, une fois sur le marché du travail, de salaires un peu supérieurs à ceux de l’ensemble de ses diplômés. Parce qu’ils visent haut et que les entreprises les recherchent. «Le pluralisme des équipes doit être une réalité, non seulement par exigence morale, mais aussi parce que cette diversité est pour nous un gage d’efficacité et d’innovation», proclament les dix grands patrons signataires.

Donner de l’ambition à tous

Pour que tous les profils aient leurs chances il faut également beaucoup travailler sur leur perception de la réussite: leur dire qu’ils peuvent aller plus loin qu’en BTS, que des prépas leur sont ouvertes et que l’université propose aujourd’hui beaucoup de masters qui n’ont rien à envier aux grandes écoles pour leur capacité à vous intégrer dans le monde du travail. «Les profs ont fait un gros travail pour nous convaincre que nous avions les capacités pour intégrer Sciences-Po. Ils avaient raison», témoignent des anciens de la filière ZEP. «Des professeurs m’ont orienté vers la prépa et donné confiance en moi, d’autres m’ont poussé à aller encore plus loin jusqu’à l’une des toutes meilleures écoles», se souvient cet autre ancien, lui de l’Edhec, issu d’une famille modeste de Montauban.

Avec son association Passeport Avenir, Benjamin Blavier s’efforce donc depuis 2005 de pousser des élèves des bacs technologiques, issus très souvent de familles défavorisées, à suivre des parcours d’excellence : «Ils ont été un peu « cassés » par l’orientation et, même après une prépa, beaucoup de grandes écoles, notamment d’ingénieurs, disent ne pas pouvoir les intégrer. Mais tous les élèves des grandes écoles n’ont pas vocation à devenir chercheurs et celles qui leur proposent des aménagements pédagogiques leur permettent de réussir aussi bien que les autres».

Quels moyens d’action ?

Les entreprises signataires se proposent donc d’intervenir dès la troisième pour favoriser l’émergence de nouvelles élites issues de tous les milieux sociaux. «Nous avons toujours pensé que la valeur d’exemple était primordiale, reprend Benjamin Blavier. Mais les grandes écoles ne parviennent pas assez à former de jeunes issus de la diversité. Quant aux universités elles sont dans le déni total de leur propre incapacité.»

Si dans le secondaire les entreprises risquent encore d’avoir quelques problèmes à se présenter dans des établissements encore pas assez ouverts sur le monde du travail, elles disposent d’un moyen de pression puissant dans l’enseignement supérieur : le versement de la taxe d’apprentissage, une contribution dont elles peuvent choisir les bénéficiaires et pour laquelle les écoles se battent. «Pour répartir une partie de cette taxe, nous allons créer un observatoire des pratiques des établissements d’enseignement supérieur pour vérifier s’ils s’engagent vraiment dans la voie de la diversité», explique encore Benjamin Blavier. Ensuite les entreprises membres s’engageront financièrement auprès des écoles et universités qui feront «le pari de la réussite pour tous». Avec de sérieux moyens de pression…

 

  • 12 patrons s’engagent pour l’égalité des chances dans l’école et dans l’entreprise : le manifeste complet
  • Stéphane Richard (Groupe FT Orange), Stéphane Roussel (SFR), Franck Bouetard (Ericsson France), Patrick Sévian (Sagemcom), Luc-François Salvador (Groupe CapGemini), Nonce Paolini (Groupe TF1), Guillaume Pepy (Groupe SNCF), Christian Nibourel (Accenture France & Benelux), Jean-Marie Simon (Atos), Laurent Fournier (Qualcomm France), Michel Combes (Alcatel-Lucent), Olivier Piou (Gemalto).
  • L’École, puis l’entreprise, devraient être les lieux où le talent et le travail priment, pour permettre à chacun de s’épanouir.
  • Pourtant, les inégalités et les discriminations frappent, durement, ce rêve français, au détriment des jeunes issus des milieux populaires. Selon votre naissance, votre entourage, et vos moyens, l’accès aux études supérieures, en particulier celles qui préparent aux responsabilités dans les entreprises et les administrations, reste inéquitable.
  • Nous, chefs d’entreprise, croyons en la diversité des talents, et voulons que nos futures équipes dirigeantes soient représentatives de l’ensemble des composantes de notre pays. Le pluralisme de nos équipes doit être une réalité, non seulement par exigence morale, mais aussi parce que cette diversité est pour nous un gage d’efficacité et d’innovation.
  • Nous ne voulons pas transiger sur le niveau d’excellence qui nous est nécessaire. La compétition économique dans laquelle s’inscrivent nos entreprises exige des talents très bien préparés au management, à l’international, et à la recherche. Les grandes écoles et les universités, nos partenaires, savent cela.
  • Encore faut-il que chacun ait sa chance. L’intelligence et le talent sont partout, y compris bien sûr dans les territoires défavorisés de la République, mais nous sommes convaincus que la situation ne peut pas être surmontée si l’École et l’entreprise n’agissent pas de concert  dans ce chantier de restauration de l’égalité.
  • Nous voulons, sans contrepartie, accompagner l’École dans sa mission de promotion sociale. Ensemble, nous nous mobilisons pour :
  • Faciliter dans nos entreprises, pour tous les jeunes, et tout particulièrement ceux issus des milieux populaires, la découverte des métiers et l’accès au monde professionnel, à travers notamment le recours aux stages, à l’alternance, ou aux visites d’entreprise ;
  • Agir contre les stéréotypes, dès l’école, puis à l’embauche et dans l’évolution de carrière, pour garantir que, à compétences égales, le genre, l’origine ethnique ou l’origine sociale ne puissent pas être des facteurs discriminants dans l’accès aux plus hauts postes en entreprise ;
  • Impliquer nos collaborateurs bénévoles dans des actions d’accompagnement des jeunes de milieux populaires, durant leur scolarité, pour faciliter la réussite de parcours scolaires exigeants, à travers notamment notre association commune, Passeport Avenir ;
  • Elaborer avec l’École, dans le souci de l’intérêt général, les contenus de nos interventions, pour qu’elles complètent, sans le suppléer, le travail des équipes pédagogiques, des familles et des associations d’éducation populaire ;
  • Collaborer plus étroitement avec les établissements d’enseignement supérieur qui favorisent, concrètement, l’accès de tous à la réussite scolaire, en construisant des programmes d’action positive et d’ouverture sociale destinés à accueillir tous les talents.
  • Dès 2013, nous voulons renforcer notre action commune, en concrétisant encore plus notre engagement par le biais de la taxe d’apprentissage. Nous prenons l’engagement de lier, pour partie, le versement de celle-ci aux actions et aux résultats des écoles et universités qui feront avec nous, dans la réalité des faits, le pari de la réussite pour tous.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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