ECOLES DE MANAGEMENT, PERSONNALITES

Frank Bournois va quitter la direction de la CEFDG: entretien-bilan

Depuis 2010, Frank Bournois est à la tête de la Commission d’évaluation des diplômes et des formations de gestion (CEFDG), une institution créée en 2001 et seule habilitée à émettre au ministre un avis en vue de la délivrance du visa, voire du grade de master, aux formations des écoles de commerce. Alors qu’il arrive à la fin de son mandat, il trace en exclusivité avec nous un premier bilan de l’action de sa commission.

Frank Bournois

Olivier Rollot : Vous l’avez dit à votre arrivée à la tête de la CEFDG, votre premier objectif est de donner de la transparence aux étudiants et à leur famille sur l’offre de formation. Comment cela se traduit-il ?

Frank Bournois: Choisir une formation est une décision importante et souvent coûteuse. Il y a donc un risque pour les familles qui ne sont pas informées au moment de choisir des écoles de commerce sans aucune reconnaissance de l’État et en particulier du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Notre site est là pour faire connaître les formations auxquelles nous accordons le visa ou le grade de master. Début 2014, la CEFDG donnera encore plus d’informations avec des indicateurs précis pour chacune des formations. Il faut bien le préciser: la CEFDG accrédite des formations, pas des écoles, et nous constatons parfois que des établissements proposent beaucoup de formations dont peu sont finalement accréditées.

O. R : Considérez-vous que la qualité de l’offre de formation des écoles de commerce a progressé depuis quatre ans ?

F. B : Les écoles accréditées ont beaucoup progressé et il faut saluer leurs efforts. D’abord par une plus grande qualité de leur corps professoral au travers du recrutement de professeurs permanents « à 4 jours », c’est-à-dire travaillant quatre jours par semaine pour l’école. Pour accorder le grade de master, nous demandons ainsi que 50% des heures de cours soient données par des professeurs permanents (30% pour le visa). Les écoles ont également livré un effort colossal en matière de recherche.

O. R : Justement, n’en font-elles parfois pas trop dans le domaine de la recherche ?

F. B : Les écoles ne doivent pas se transformer en « CNRS de la gestion » et leurs enseignants doivent pouvoir également produire des cas pratiques et des ouvrages. Mais il faut un minimum de recherche avec, dans le corps professoral, des docteurs qui ont vocation à publier dans les revues classées. Nous regardons donc la proportion de professeurs permanents docteurs et nous invitons les écoles à la faire progresser. Mais on ne peut évidemment pas comparer une école qui a douze professeurs permanents avec une autre qui en a 150. La première peut avoir vocation à préparer à un diplôme en 3 ans (portant le visa) quand la seconde a une vocation internationale avec octroi du grade de master. De ce fait, nous apprécions la qualité des publications en fonction des finalités et des forces productives de chaque école.

O. R : Combien d’articles, dans quelles revues, faut-il publier ?

F. B : Notre standard est qu’un docteur doit publier au moins 0,5 article scientifique par an. Une école qui compte trente docteurs parmi ses 42 professeurs permanents doit afficher des résultats d’au moins quinze articles par an. Ces publications doivent figurer dans les revues scientifiques de la liste des publications de référence de la Fnege ou de l’Aeres. La réunion de ces deux listes permet d’avoir une grande variété de supports (400 pour la Fnege). Par ailleurs, nous ne divisons par l’article par le nombre de ses signataires quand ils appartiennent à des établissements différents. Nous encourageons ainsi le travail croisé entre grandes écoles et universités. Je crois fondamentalement à l’émulation saine sur le long terme entre nos deux systèmes universités/ écoles.

O. R : Les écoles se plaignent parfois de devoir passer trop d’accréditations avec des méthodes différentes. Que leur répondez-vous ?

F. B : Regarder un éléphant des quatre côtés c’est utile pour bien en faire le tour… Le monde de la multi-accréditation permet de disposer de nombreux coups de projecteur, souvent convergents et complémentaires, sur son travail. Je comprends que les écoles considèrent que cela leur demande beaucoup de temps mais ce n’est pas vrai qu’il y ait dix ou quinze sollicitations par an. Pour le reste, tous les accréditeurs sont dans le même état d’esprit et j’ai par exemple beaucoup d’estime pour le travail pionnier de l’EFMD qui prend en compte, parmi ses premiers critères, le grade de master que nous accordons. En termes de différenciation, nous sommes par exemple sensibles aux coopérations locales des écoles avec les universités, ce que les autres instances d’accréditation ne font pas. A l’avenir, l’auto-évaluation sera source d’informations précieuses mais les écoles n’y sont pas encore toutes prêtes aujourd’hui.

O. R : Avez-vous les moyens de votre mission ? Pour les ingénieurs la Commission des titres d’ingénieur (CTI) semble infiniment mieux structurée.

F. B : Nous sommes structurés mais notre budget est de… 0 euro et nous ne demandons rien aux écoles que nous évaluons à la différence d’autres organismes. Tous ceux qui sont membres de la CDEFG le font bénévolement et nous ne recevons aucun budget dédié. Mais nous disposons de la structure administrative qui nous soutient remarquablement au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Nous ne faisons donc des missions in situ que pour la première demande d’accréditation; les dossiers sont très renseignés et les informations circulent vite dans le small world des écoles. Quant à la CTI, elle a été créée par la loi en 1934 quand notre création ne date que de 2001 par décret. Elle a donc un peu d’avance sur nous.

O. R : Comment différenciez-vous une formation bac+5 qui mérite le master d’une autre qui doit se contenter du visa ?

F. B : Le visa est une étape possible vers le master mais tous n’ont pas vocation à l’obtenir pour autant. La grande différence sera le niveau en recherche. Une formation peut se contenter d’être très professionnelle et d’avoir un visa que nous accordons à environ 90 formations de bac+3 à bac+5. Le visa et le grade de master constituent les deux plus hautes reconnaissances par le ministère l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

O. R : Mais justement, vous n’êtes pas les seuls à donner un « sceau » de l’État. Il y a également le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Comment peut-on s’y retrouver ?

F. B : Les entreprises comme les particuliers doivent saisir qu’il y a d’un côté une accréditation par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et, de l’autre, des formations inscrites au RNCP qui constituent une certification du ministère chargé de la formation professionnelle. Toutes les formations visées par la CEFDG sont de droit inscrites au RNCP. On trouve cependant au RNCP près de vingt fois plus de formations que celles accréditées par la CEFDG. Des formations, qui ne tenteraient pas de se présenter devant notre commission, peuvent se retrouver inscrites au RNCP (sur d’autres critères) et se retrouvent ainsi certifiées par l’État au même niveau qu’HEC. Des formations peuvent être inscrites au RNCP sans corps professoral permanent. Ces deux processus de validation par l’État méritent d’être comprises avec leurs conceptions et finalités différentes.

O. R : Autre sujet: les moyens. Beaucoup d’écoles de commerce semblent rencontrer des difficultés financières, qui justifient parfois des fusions. Comment analysez-vous leur situation ?

F. B : Les écoles ont fait des efforts qui coûtent cher et ce sont des challenges et  une tâche ardus que de les gérer aujourd’hui avec de nouvelles gouvernances, avec des chambres de commerce et d’industrie qui ont moins de moyens et avec un fundraising qui ne fonctionne pas très bien en France. Vous savez: diriger une école de commerce est un métier exigeant qu’on ne peut pas découvrir du jour au lendemain. Il faut aimer l’intimité du fonctionnement des entreprises, côtoyer les dirigeants qui transforment leurs organisations, connaître les subtilités de la vocation d’enseignant chercheur en gestion.

O. R : Vous regrettez que la formation continue ne soit pas suffisamment source de revenus pour les écoles.

F. B : Je suis très préoccupé par la façon dans les business schools se sont désengagées de la formation continue au profit de consultants de cabinets de conseil, plus ou moins grands d’ailleurs. Si les entreprises n’envoient pas leurs managers, cadres supérieurs et dirigeants se développer dans les écoles, à quoi servent-elles? C’est une négation patente de leur valeur ajoutée alors que c’est une reconnaissance sublime pour l’école collectivement et une gratification personnelle pour les enseignants que de travailler en formation continue. En se confrontant par les échanges aux préoccupations, aux innovations et aux pratiques émergentes, l’executive education permet aux professeurs d’éprouver plaisir, fierté et sentiments de progrès auprès de publics variés et exigeants en diffusant des concepts, en inventant, en testant des pratiques de gestion, en contribuant indirectement à la prise de décision… Le nombre d’enseignants-chercheurs motivés et acceptés par ces publics exigeants décroit. Nous sommes en train de prendre du retard vis-à-vis de l’environnement international.

O. R : Une dernière question : votre mandat s’achève en septembre 2013. Pensez-vous vous représenter à la tête de la CEFDG ?

F. B : La CEFDG est une instance d’évaluation aux enjeux importants dans un environnement en mutation, à vrai dire en révolution. Si un président n’a pas eu une vision pendant les quatre années de son mandat, ce ne sera pas en six ou sept ans qu’il le fera. Même si cela me ferait extrêmement plaisir d’en effectuer un second, je pense qu’un seul mandat réalisé avec passion et engagement est une excellente décision. Cela permet un renouvellement des idées, un prolongement des travaux, une rénovation des regards, bref une consolidation de la pratique de l’évaluation publique. Je vais beaucoup regretter les échanges riches humainement et professionnellement avec les membres actuels de la Commission et avec les directeurs des écoles mais je ne serai pas candidat à ma succession. Je souhaite désormais me consacrer à ma passion pour le management général, les comités de direction et la préparation des dirigeants de nos grands groupes internationaux.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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