ECOLE D’INGÉNIEURS, UNIVERSITES

Grenoble INP, université et grande école : retour sur un modèle reconnu dans le monde entier avec Brigitte Plateau, son administrateur général

Grenoble INP est aujourd’hui un institut de renommée mondiale dont la réputation à l’international n’est dépassée que par l’École Polytechnique. Nommée en 2012, Brigitte Plateau est la première femme à diriger un ensemble qui compte six écoles d’ingénieurs et de très nombreux laboratoires de recherche. Son grand défi : amener plus de candidats – et singulièrement de femmes – vers les sciences et les technologies.

Olivier Rollot : Comment définiriez Grenoble INP ? Est-ce une université ou une réunion de grandes écoles ?

Brigitte Plateau: A sa création il y a quarante ans Grenoble INP avait pour vocation de rapprocher écoles d’ingénieurs et universités afin d’ancrer leur enseignement dans la recherche. Vous voyez que nous étions précurseurs. Depuis le modèle s’est développé avec des INP à Toulouse, Lyon et Bordeaux qui fédèrent des écoles d’ingénieurs dont les enseignants sont aussi des chercheurs.

O. R : L’impact de la recherche est primordial dans le « modèle » INP ?

B. P : Nous possédons 22 laboratoires en propre et avec les organismes de recherche et, à la différence de beaucoup d’autres écoles, nous n’employons que des enseignants-chercheurs. Bien sûr nous faisons également appel à des intervenants extérieurs industriels mais ceux-ci ne forment pas l’essentiel de notre corps enseignant. Notre relation à l’industrie se décline sous la forme de nombreux partenariats.

O. R : A l’exception de l’Esisar vos écoles recrutent essentiellement après une prépa. Vous paraît-il opportun aujourd’hui de diversifier encore plus vos voies d’accès ?

B. P : Il y a cette année vingt ans nous avons créé, avec les autres INP, ce qu’on appelle la « prépa des INP ». Nous voulions clairement différencier notre recrutement avec une prépa qui sélectionne en contrôle continu et non pas sur un examen final. Aujourd’hui elle nous procure 10% de nos admis pour 70% qui viennent des prépas classiques et 20% en admission parallèle. Notre objectif est maintenant de maintenir notre qualité de recrutement et nous travaillons à la création d’un Observatoire du recrutement pour valider nos choix.

L’accueil des nouveaux élèves ingénieurs à Grenoble INP (photo Christophe-Levet)

O. R : Aujourd’hui vous êtes satisfaits du niveau de vos étudiants ? Vous ne faites pas partie de ceux qui disent constamment que « le niveau baisse » ?

B. P : Il n’y a pas de fléchissement et nous pouvons même dire que le niveau de nos élèves dans la prépa des INP est en hausse.

O. R : Vous pourriez sûrement développer cette prépa ?

B. P : Dans la période budgétaire actuelle cela ne paraît pas envisageable. Notre objectif est de développer des cursus de formation qui correspondent à tous les profils pour attirer de plus en plus de jeunes vers les carrières scientifiques et techniques dans tous les cycles. En interne ou en développant des partenariats avec d’autres établissements. Les prépas sont très formatrices mais pas forcément adaptées à tous les profils.

O. R : Beaucoup d’étudiants vous rejoignent également après une licence universitaire ?

B. P : Un certain nombre mais, dans le contexte universitaire grenoblois, nous devons prendre bien garde à ne pas faire une concurrence non contrôlée à nos collègues des formations universitaires, et notamment du Polytech. S’ils viennent chez nous cela doit être pour des formations où nous apportons clairement une différentiation.

O. R : Vous avez organisé une journée « Femme Ingénieure » à l’occasion de la Journée de la femme. Le nombre encore restreint de femmes dans les écoles d’ingénieurs, un quart en moyenne, est un défi dont on parle depuis longtemps mais qui dépend aussi des secteurs : dans les écoles d’agronomie les femmes sont ainsi largement majoritaires.

B. P : Les femmes sont un vivier de progression extrêmement fort pour nos écoles. Et dans tous les domaines. On a autant à faire avec la problématique de l’humain quand on travaille dans l’informatique que dans l’agro-alimentaire ! Je suis moi-même informaticienne et, quand j’ai commencé mes études, il y avait autant de femmes que d’hommes. Ensuite tout a changé avec l’image du geek asocial puis l’idée que l’informatique allait se délocaliser. Mais croire que l’informatique, ou d’ailleurs l’électronique, n’est pas faite pour les femmes relève de l’ordre de l’irrationnel. La journée que nous organisons sur la place de la femme ingénieur dans l’entreprise est là pour démontrer que leur insertion est bonne et qu’on peut aujourd’hui concilier vie professionnelle et vie privée dans l’entreprise. Les filles doivent prendre conscience de leur valeur !

 O. R : Grenoble INP se caractérise également par son intérêt de toujours pour l’innovation pédagogique. D’où provient cette attention particulière ?

B. P : Nous possédons effectivement une cellule d’ingénierie pédagogique pionnière qui est un vrai petit bijou et grâce à laquelle nous sensibilisons constamment nos enseignants aux nouvelles pédagogies et aux projets innovants. Si nous avons toujours eu un intérêt particulier à Grenoble pour ces questions c’est sans doute parce que nous nous sommes toujours intéressés à la didactique des sciences, avec l’aventure de Cabri-géomètre, un logiciel de géométrie destiné à l’apprentissage des mathématiques en milieu scolaire. Toute notre communauté scientifique s’intéresse aujourd’hui aux méthodes d’apprentissage et comment les technologies peuvent rendre les étudiants plus actifs dans le cadre, par exemple, de projets interactifs.

O. R : Vous ne faites pas partie de ceux qui demandent à leurs étudiants d’éteindre leur ordinateur quand ils arrivent dans un amphi ?

B. P : Au contraire nous pensons à comment les utiliser avec de plus en plus de documents qu’ils retrouvent directement sur leur PC, une sorte de petit « cloud » d’enseignement. Bien sûr on leur demande en cours de ne pas aller sur Facebook ou d’échanger des mails personnels. Mais nous tenons à les traiter comme des adultes, pas comme des enfants, sinon ils sortiront de chez nous comme des enfants !Si certains ne veulent pas venir en cours ce n’est pas qu’un problème de PC.

O. R : Certains enseignants ne sont-ils pas encore rétifs devant l’utilisation de nouvelles méthodes qui les « dépossèdent » quelque peu de leur rôle historique de seuls dispensateurs du savoir ?

B. P : Il faut que les pédagogies donnent envie d’apprendre et de plus en plus d’enseignants comprennent tout l’intérêt du numérique et de l’interactivité. Notre corps enseignant est de très grande qualité et il comprend que l’enseignement c’est autant du contenu que de l’interaction, du contact, de la valorisation personnelle. Il faut revenir à l’image du maître grec avec une relation personnelle à l’enseignant.

O. R : Impossible de parler aujourd’hui d’enseignement supérieur sans évoquer les massively open online courses (MOOC), ces cours libres d’accès en ligne aujourd’hui très développés aux États-Unis. Quelle est la position de Grenoble INP sur le sujet ?

B. P : Nous travaillons à ce sujet avec l’École polytechnique fédérale de Lausanne, qui a dès une certaine expérience en la matière. D’ici 1 an, 1 an et demi nous mettrons en ligne nos premiers MOOC. Sans doute sur l’hydrologie fluviale, un sujet sur lequel nous avançons dans le cadre d’un réseau francophone.

Olivier Rollot (@O_Rollot)

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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