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« La place de l’enseignement des langues dans la formation des dirigeants est fondamentale » : Xavier Cornu, directeur général adjoint enseignement, recherche et formation de la CCI Paris Ile-de-France

Directeur général adjoint enseignement, recherche et formation de la CCI Paris Ile-de-France, Xavier Cornu supervise à ce titre trois des plus grandes écoles de commerce françaises (HEC, Escp Europe et l’Essec) mais également 20 autres écoles dans tous les domaines professionnels. Central dans la formation aujourd’hui, l’enseignement des langues reste pour lui insuffisamment valorisé.

Xavier Cornu

Olivier Rollot (@O_Rollot) : Quelle place doit occuper l’enseignement des langues dans la formation des dirigeants de demain ?

Xavier Cornu : Pour moi, comme je le dis depuis longtemps avec un succès relatif, cette place est fondamentale. Elle l’a toujours été  et le devient encore davantage dans un espace européen sans frontières et une économie mondialisée. Apprendre une autre langue que la sienne – qu’il convient de maitriser le mieux possible – c’est comme lire une histoire. L’histoire d’un autre pays, de l’évolution à travers les siècles, de son identité, de sa culture, de son système politique, de son économie, de sa géographie, de ses conflits intérieurs et extérieurs, des hommes et des femmes qui le composent.

Apprendre une et surtout plusieurs autres langues que la sienne, c’est faire preuve d’ouverture, de curiosité, d’adaptabilité, d’humilité et d’altérité. C’est aussi le refus des certitudes sclérosantes, de l’immobilisme, de l’égocentrisme et du néfaste repli sur soi. C’est une preuve de ténacité et le signe d’une réelle capacité de travail. C’est en fait se penser en « citoyen du monde » capable de comprendre, de comparer et d’accepter les différents systèmes de valeurs sans, bien évidemment, abdiquer de son regard critique.

Voilà les objectifs que j’assigne à l’enseignement des langues dans notre pays et singulièrement dans les écoles de gestion. Ils sont, je le sais, très ambitieux tant pour les professeurs que pour les étudiants, questionnés pour certains d’entre eux dans leurs pratiques.

O. R : La maîtrise de l’anglais suffit-elle aujourd’hui pour mener une carrière internationale ?

X. C : La connaissance de l’anglais, que certains imaginent à tort comme un pré-requis pour les diplômés des écoles de gestion françaises, est incontournable. Je parle ici de maîtrise et non de connaissance approximative dont trop nombreux se contentent encore aujourd’hui. De toutes façons, l’anglais est la langue mondiale d’échange. C’est un fait établi qui doit, sans peur ni regret alimenté par des discours passéistes, nous conduire à veiller, encore et encore, à l’amélioration de son apprentissage dans l’enseignement supérieur.

Mais tout ne peut se résumer à l’anglais qui devient une condition nécessaire mais pas suffisante dans la mondialisation. La « banalisation » de l’anglais renforce paradoxalement la nécessité de maîtriser d’autres langues pour améliorer ses compétences. Elle favorise ainsi le multilinguisme.

Le multilinguisme, ce n’est pas la lutte des langues entre elles, c’est l’acceptation de la diversité, c’est le respect des identités nationales, pluri-régionales et quelquefois infra-régionales. La mondialisation le favorise. En effet, comment vivre, travailler, développer des échanges avec la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil, le continent africain sans connaître les langues de ces pays ?

O. R : Mais en Europe même cela en vaut-il vraiment la peine de faire cohabiter autant de langues ?

X. C : Le multilinguisme est pour l’Union européenne un facteur déterminant de sa compétitivité. Il participe aussi de manière fondamentale à la construction d’une identité européenne partagée et alternative aux modèles américain ou chinois.

L’Europe a raison, pour faire vivre son modèle, d’afficher clairement son objectif de multilinguisme. L’un des buts de la politique linguistique de l’Union européenne est que tous les citoyens européens maîtrisent au moins deux langues en plus de leur langue maternelle.

Si seuls le français, l’anglais et l’allemand sont utilisés comme langue de travail au sein de la Commission européenne, l’Union reconnaît officiellement 24 langues officielles dans lesquelles son site internet « europa.eu » est décliné. Le hongrois y côtoie le grec ou le gaélique, langue que l’Irlande a d’ailleurs tenu à faire reconnaître officiellement.

O. R : Donc chaque étudiant doit absolument apprendre, ou plutôt « maîtriser », plusieurs langues aujourd’hui.

X. C : Dans le contexte que je viens d’évoquer, il est clair que l’apprentissage de plusieurs langues est une nécessité absolue pour nos étudiants. Il leur apprend à « entendre » au sens latin du terme. Il leur permet d’utiliser des grilles de lecture culturelles différentes et de s’entrainer à une démarche d’analyse qui intègre tout aussi bien des éléments économiques qu’une dimension sociologique et culturelle. Comme l’a dit Juan Ramon Jimenez, Prix Nobel de littérature en 1956. « Qui apprend une nouvelle langue acquiert une nouvelle âme ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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