UNIVERSITES

«S’il y a avait une glaciation des postes pendant plusieurs années, le niveau scientifique général en serait affecté»: Barthélémy Jobert, président de l’université Paris Sorbonne

Président de l’université Paris Sorbonne depuis mars 2012, Barthélémy Jobert a le privilège de tenir les rênes d’une des plus fameuses universités du monde. S’il tient à l’excellence de la recherche il n’en insiste pas moins également sur la réussite de tous ses étudiants dans le cadre d’une université ouverte à tous. Rencontre avec un historien de l’art pénétré de son époque.

Barthélémy Jobert (photo Paris Sorbonne)

Olivier Rollot : Paris Sorbonne est l’université française la plus renommée dans le monde selon le dernier classement du Times Higher Education. Êtes-vous le président d’une université d’élite ?

Barthélémy Jobert: Avec 21 000 étudiants nous sommes à la fois une université de masse et une université de premier plan en recherche dans le domaine des humanités et des sciences humaines et sociales. Ce classement, qui place une université de sciences humaines devant des universités scientifiques, nous ne le devons pas qu’à notre nom mais à toute la série de disciplines remarquables que nous enseignons, qu’elles le soient à un grand nombre d’étudiants (histoire, philosophie, littérature, langues vivantes, histoire de l’art, etc.) ou plus rares. Nous offrons toutes les langues nordiques (seuls en France) mais aussi la philosophie arabe ou le latin médiéval. Parmi les professeurs que nous allons recruter ce printemps, l’un occupera une chaire d’ « histoire politique de la France contemporaine », et un autre une chaire de « grec-grammaire comparée des langues indo-européennes », par exemple.

O. R : N’est-ce pas coûteux de conserver des disciplines aussi rares ?

B. J : Nous avons la volonté de garder les humanités et de ne pas supprimer de discipline. Pour autant nous pouvons diminuer les effectifs alloués : le grec moderne et la langue et littérature d’oc, qui recevaient moins de vingt étudiants, ont ainsi perdu récemment chacun un poste d’enseignantau profit de disciplines plus demandées ou dans lesquelles l’université veut se développer, comme le portugais, dans le cadre de nos relations avec le Brésil. Nous voulons conserver partout un haut niveau d’excellence de la licence au doctorat.  C’est d’ailleurs pour cela que beaucoup d’étudiants nous rejoignent en master ou après.

O. R : Vous ne participez pas au Campus Condorcet, alors qu’il va réunir la plupart des universités de sciences humaines. Pourquoi ?

B. J : Parce qu’on ne nous l’a pas proposé. Je rappelle que c’est à la base un projet piloté par l’État et la région Ile-de-France autour du relogement de l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales). Aujourd’hui se profilent, à Paris, deux entités dans les SHS : l’une spécialisée, Condorcet ; l’autre ouverte sur les sciences et le droit : notre PRES Sorbonne Universités.

O. R : Parlez-nous un peu de ce PRES qui regroupe les universités Panthéon-Assas et UPMC, le Muséum d’histoire naturelle ou encore l’Insead, autant d’institutions très complémentaires, notamment au niveau du doctorat.

B. J : Notre PRES est un regroupement original dans lequel aucun établissement ne recoupe les autres. Cela nous permet, d’emblée, d’avoir une démarche dynamique de valorisation, sans nous préoccuper de problèmes de concurrence interne, ou de recouvrements de gouvernance.

Dans le cas du doctorat, nous nous sommes lancés dans une valorisation de tous nos établissements, sans que le doctorat de chaque université en soit lui-même affecté, notamment du point de vue disciplinaire.  Tous ensemble nous remettons  ainsi chaque année leurs diplômes à nos quelques 800 docteurs, lors d’une grande cérémonie. Nous publions parallèlement un «Livre des docteurs» , dont l’élaboration nous a permis de collecter déjà plus de 3000 CV en quatre ans. Ceux-ci, à terme, devraient être mis en ligne, modifiables par les docteurs au fur et à mesure de l’avancement de leur carrière, mais aussi accessibles à tous. Cela  fera vivre une communauté d’anciens tout en favorisant leurs activités professionnelles. À terme, et sur la base du volontariat de chaque établissement, toutes nos actions doctorales devraient être regroupées au sein du «Collège doctoral de la Sorbonne» porté par Sorbonne Universités.

O. R : On parle beaucoup aujourd’hui de «licences pluridisciplinaires». Ce PRES va-t-il vous permettre d’en développer ?

B. J : La pluridisciplinarité est aujourd’hui consubstantielle à la complexité du monde contemporain. Nous avons donc travaillé tous ensemble, dans le  cadre de l’« initiative d’excellence » (Idex) que nous avons obtenue l’an dernier, sur le développement d’une nouvelle licence. A la rentrée 2016 nous lancerons un dispositif de « majeure/mineure », multi-sites, très ouvert. Les étudiants pourront par exemple choisir une majeure histoire et une mineure maths ou se concentrer sur une seule discipline. Les cours de mineure seront conçus spécifiquement pour des non spécialistes. Nous avons déjà des bi-licences qui connaissent un vif succès, par exemple en droit et histoire de l’art ou lettre et informatique. Pour autant nous continuerons également à dispenser nos licences traditionnelles.

O. R : Vous avez vous-même enseigné dans la plus célèbre université américaine qu’est Harvard. Ce dispositif de majeure-mineure semble s’en inspirer?

B. J : Nous nous rapprochons effectivement des « collèges » américains avec un large choix donné à l’étudiant pour construire un parcours et s’orienter peu à peu. Le tout dans une université que nous voulons de masse et de qualité qui n’abdique rien de la science et de la recherche. S’il y a une analogie à avoir avec les universités américaines, il faut plutôt la chercher en Californie, avec ces grandes universités publiques que sont UCLA ou Berkeley, plutôt que dans les universités privées de la côte Est comme Harvard.

O. R : Y a-t-il d’autres dimensions qui doivent nous influencer dans l’enseignement supérieur américain ?

B. J : Le système américain n’est pas transposable, notamment du point de vue financier. Harvard est une université qui a 350 ans de tradition de levée de fond et possède un patrimoine unique. Mais l’autre force de ces universités est l’autonomie dont elles bénéficient. On ne peut pas considérer les universités françaises comme autant de lycées ! Chaque université a son histoire, ses disciplines, ses spécificités. Nous sommes par exemple une universitéau centre de Paris avec les contraintes budgétaires que cela suppose en termes d’immobilier.

O. R : On entend souvent que les étudiants américains sont plus autonomes que les Français. Est-ce vrai ?

B. J : Les étudiants français sont largement aussi autonomes que les étudiants américains. La différence serait plutôt à rechercher dans  la vie de campus.

O. R : Vous portez une attention toute particulière à la vie étudiante ?

B. J : Oui et nous venons ainsi de transférer le service d’orientation – le SCUIOP – dans un grand espace plus visible et plus facilement accessible, au cœur de la Sorbonne. Nous travaillons également sur la question de l’orientation professionnelle avec ce qu’on appelle une « éducation au choix » qui comprend des bilans de compétences réguliers de la licence au doctorat. Il ne s’agit pas de « fabriquer » des étudiants possédant un seul métier mais de leur donner les capacités d’en trouver un, quand nous savons qu’un tiers seulement de nos étudiants entreront dans l’enseignement, primaire, secondaire ou supérieur.

Parce que nous nous préoccupons aussi de diversité nous allons également développer un enseignement en langue des signes grâce à une maître de conférences, passionnée par ce sujet, et  à laquelle nous avons donné une année sabbatique pour se former à cela en Grande-Bretagne.

O. R : Cela a fait beaucoup parler : La Sorbonne s’est développée à l’étranger avec une antenne à Abu Dhabi ? Où en êtes-vous ?

B. J : Notre rôle d’opérateur a été confirmé. A l’automne nous y ouvrirons un cursus en physique avec le concours de l’UPMC. Ce sera la première fois qu’il y aura un cursus de ce niveau, en sciences, à Abou Dhabi et même dans le Golfe,  dans le cadre d’une université mixte et laïque. Paris-Sorbonne Université à Abou Dhabi (PSUAD) n’est pas la « danseuse des émirats » qu’on a parfois décrite mais un projet qui est devenu une vraie réalité, celle d’un établissement d’enseignement supérieur émirien, dont la responsabilité scientifique et opérationnelle a été donnée à un établissement français : Paris-Sorbonne.

O. R : Avez-vous de nouveaux projets en matière internationale ?

B. J : Avec l’école de management Kedge et l’université Montpellier 3 nous sommes implantés en Chine, à Suzhou, en partenariat avec la meilleure université chinoise de SHS qu’est la Renmin University of China. Nous allons très vite recevoir, dans cet « Institut-Franco-Chinois » 600 étudiants chinois (ils sont déjà plusieurs centaines) qui y suivront des cours de licence (chinoise) en français et auront vocation à poursuivre  ensuite leur cursus de master et de doctorat (français) en France même. En retour des étudiants français pourront également aller étudier en Chine.

Le Brésil est notre deuxième grande terre de développement avec de multiples coopérations. Avec la Fondation Vargas nous avons par exemple développé des programmes qui permettent à des étudiants  brésiliens de venir suivre des cours de français et de culture française à Paris pendant les vacances universitaires et nous allons bientôt recevoir de futurs professeurs du secondaire brésilien, au niveau licence,  pour les former en sciences, à l’UPMC, et en lettres chez nous. Notre objectif est de structurer nos relations avec quelques grandes  institutions d’enseignement supérieur de Chine ou du Brésil à partir des flux d’étudiants, pour tisser  ensuite des relations au niveau recherche, entre enseignants et chercheurs. Nous voulons par ailleurs, avec Sorbonne Universités, étendre ces dispositifs à l’Inde et à l’Afrique du Sud. Cela ne nous empêchera pas de continuer à entretenir des liens étroits avec d’autres pays, ceux avec lesquels nous travaillons  depuis longtemps comme par exemple, bien sûr, en Europe.

O. R : On a beaucoup parlé d’organisation de l’enseignement supérieur dans le cadre du débat sur la future loi mais c’est finalement la question des moyens qui inquiète le plus la communauté universitaire. Quelle est la situation financière de votre université ?

B. J : Nous avons été à l’équilibre financier en 2012 comme en 2011 et notre ambition est de l’être également en 2013. J’ajoute que nos comptes 2012 ont été certifiés « sans réserve » par nos commissaires aux comptes, ce qui est le cas de peu d’universités.  Mais nous ne prévoyons  cette année, après ponction de notre dotation par l’Etat,  que 91 000 euros d’excédent sur un budget de 160 millions d’euros : il faut donc porter une attention permanente au pilotage de nos dépenses et nous serions vite dans une situation compliquée s’il y avait de nouveaux prélèvements par nos tutelles. Si nous sommes actuellement excédentaires c’est grâce à de sévères mesures d’économie comme une diminution des heures complémentaires ou des frais de jurys de thèse. Nous  sommes ainsi à l’équilibre dans notre activité de base qui est l’enseignement tout en bénéficiant de ressources propres, que ce soit notre implantation à Abou Dhabi ou la formation continue.

O. R : Vous n’êtes pas contraints de geler l’attribution de certains postes comme on l’entend ailleurs ?

B. J : Notre gestion rigoureuse nous permet justement de ne pas geler de poste pour le moment. Nous sommes convaincus que la qualité de l’université réside d’abord dans ses personnels, aussi bien administratifs qu’enseignants, et que son maintien passe en particulier par le renouvellement , en permanence, du corps professoral. Il faut aussi des débouchés pour les jeunes qui se lancent dans des thèses. S’il y a avait une glaciation des postes pendant plusieurs années beaucoup de jeunes en seraient dissuadés. Et c’est le niveau scientifique général du pays qui en serait affecté.

O. R : Quand on pense à La Sorbonne on pense au boulevard Saint-Michel mais vous êtes également implantés Porte de Clignancourt.

B. J : À la rentrée 2013 nous ouvrirons  complètement l’ensemble des bâtiments du Centre Clignancourt avec, outre de nombreux amphithéâtres, salles de cours et de séminaires et bureaux pour chercheurs,  un auditorium, une bibliothèque, un gymnase, des salles de sport, des locaux consacrés à la vie étudiante, associative et syndicale. Y seront dispensés les cours des deux premières années dans les principales disciplines. Le Chœur et l’Orchestre de Sorbonne Universités, entièrement composés d’étudiants venus très majoritairement de Paris-Sorbonne, y seront implantés ainsi que notre UFR de musique et de musicologie. Nous créons là un véritable campus intégré (une résidence du CROUS a été bâtie à côté), autour duquel la mairie du XVIIIème travaille actuellement à la création de boutiques et de restaurants. Mais nous avons d’autres projets, que ce soit dans les locaux de la Sorbonne même ou dans notre centre Malesherbes, là encore autour de la vie étudiante.

O. R : Impossible de ne pas parler aujourd’hui des MOOC (massively open online courses), ces fameux cours en ligne gratuits que dispensent largement aujourd’hui les universités américaines. Avez-vous des projets de MOOC ?

B. J : L’enseignement à l’américaine est largement fait de juxtaposition de cours quand nous sommes beaucoup plus structurés dans le cadre d’un édifice global qui s’accorde mal avec la notion de MOOC. Cela dit, les deux grandes plates-formes américaines de MOOC, Coursera et EdX  nous ont approché pour y dispenser des cours, et en français. Nous y réfléchissons et prendrons une décision en juin ou en septembre dans le cadre du PRES Sorbonne Universités.

Le développement des MOOC va dans le sens de l’ouverture de l’université vers le monde contemporain. Notre public ce ne sont pas que des étudiants. Nous avons par exemple débuté cette année un partenariat de conférences avec France Culture qui génère, nous dit-on,  des centaines de milliers de podcasts. La vocation de l’université est de rayonner dans l’espace social. Un rôle que ne joue pas assez l’université en France aujourd’hui. Un territoire que nous devons occuper si nous voulons élever le débat.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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