ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE, ECOLES DE MANAGEMENT

« Le grand atout de TEM c’est d’avoir toujours été proche du monde numérique » : Denis Guibard

Télécom Ecole de Management (TEM) n’est pas une école de management comme les autres : publique, ses frais de scolarité sont les plus bas (5650€ par an à la rentrée 2015) des écoles délivrant le grade de master, centrée sur le management des technologies, ses diplômés sont parmi les plus recherchés, membre de l’Institut Mines-Télécom (IMT) elle bénéficie enfin d’un environnement technologique de premier rang. Rencontre avec son directeur, Denis Guibard.

Denis Guibard

Olivier Rollot : Qu’est-ce qui caractérise d’abord TEM ?

D. G : Le grand atout de TEM c’est d’avoir toujours été proche du monde numérique, la préoccupation de toutes les entreprises aujourd’hui. Nous réfléchissons même aujourd’hui à prendre le numérique dans une dimension « horizontale ». On ne peut plus réfléchir de manière « verticale » – numérique, télécom, informatique, etc. – quand le numérique est partout et que même une entreprise comme Michelin veut devenir une entreprise numérique. Avant d’être un transporteur, Uber est d’abord une plate forme numérique. Les managers que nous formons sont parfaitement intégrés dans cet univers et gagnent dans leur premier emploi, en moyenne, 1800€ de plus par an que la moyenne des diplômés de écoles de management.

O. R : Avec les droits de scolarité les plus bas parmi les grandes écoles de management !

D. G : Ils ont certes augmenté ces dernières années mais restent ultra-compétitifs à 5650€ par an. D’autant que 50% de nos étudiants sont boursiers en première année et ne payent absolument rien. En moyenne ce sont donc seulement 2825€ que payent nos étudiants en première année.

O. R : Aujourd’hui on ne parle que de pluridisciplinarité et de rapprochements entre écoles d’ingénieurs et de management. TEM est au contraire né d’une fission qui a donné naissance à votre école d’un côté et à Télécom Sud Paris de l’autre. Restez-vous néanmoins proches ?

Denis Guibard : Nous partageons un campus commun et les liens restent très forts entre nos deux écoles. Certes nous avons des normes, des modèles économiques, des règles dans le domaine de l’apprentissage différentes mais nous délivrons aussi des cours en commun (en langues, sciences humaines ou dans certains voies d’approfondissement et majeures de 3eme année) et organisons chaque année un Challenge Projets d’Entreprendre® commun pour nos étudiants de deuxième année. Pendant une semaine les étudiants des deux écoles travaillent en commun sur des projets et certains les poursuivent ensuite dans notre incubateur commun. Pour amener également une vision « design » nous sommes également partenaires de l’Esad (Ecole supérieure d’art et de design) de Reims.

O. R : Cette capacité à travailler avec des étudiants de profils différents fait partie de ce que les entreprises demandent aujourd’hui à leurs cadres. Mais pourquoi cela reste-t-il si difficile à obtenir ?

D. G : C’est un problème classique dans les entreprises où les équipes marketing et recherche et développement ont bien souvent beaucoup de mal à se comprendre. C’est un problème de cultures et de langages différents, et de compréhension des enjeux et objectifs de l’autre. Il ne s’agit pas de faire le métier de l’autre mais de le comprendre. C’est tout l’intérêt de s’y habituer en amont, notamment dans le cadre de notre Challenge Projet d’Entreprendre® ou de projets en commun.

O. R : Mais comment donnez-vous le goût de l’innovation à vos étudiants ?

D. G : Le Challenge a lieu au printemps mais c’est dès la rentrée que nous proposons à nos étudiants de suivre une « Semaine de l’innovation » pour apprendre à sortir de leurs schémas naturels. Ensuite le challenge est une sorte d’« hackathon » que nous avons créé il y a maintenant 17 ans et qui peut même permettre à ses lauréats de poursuivre leur projet aux Etats-Unis. C’est le cas de Sarah Cherruault-Anouge, diplômée en 2013, et qui a fondé l’entreprise Auticiel dont le but est de venir en aide aux autistes grâce à des outils numériques.

O. R : Apprend-on à coder à TEM ?

D. G : Tous nos étudiants travaillent sur les systèmes d’information et je souhaiterais qu’on fasse du codage mais avec des langages de  haut niveau. Il leur faut pouvoir comprendre ce qu’il y a « sous le capot » d’une application ou d’un système informatique pour comprendre ce qui est faisable ou pas. Certains de nos étudiants choisissent même une majeure en pilotage des systèmes d’information qui va les amener à travailler chez Deloitte ou Solucom par exemple.

O. R : Dans le contexte technologique où vous opérez, vos étudiants doivent-ils forcément être titulaires d’un bac S ?

D. G : Non. Nous prenons même des bacheliers L. Un bac S n’est indispensable que s’ils se lancent ensuite dans un double diplôme manager-ingénieur que nous organisons aussi bien avec Télécom Sud Paris qu’avec les Ecoles des Mines d’Alès ou Douai.

O. R : Dans quel domaine pourriez-vous significativement progresser ?

D. G : Sans doute dans notre dimension internationale. Nous n’avons pas assez de professeurs étrangers visitant (« visiting professors ») et je voudrais que nos partenariats avec des universités étrangères aillent au-delà du simple échange d’étudiants. Nous cherchons donc des partenaires qui nous ressemblent comme l’est Virginia Tech, une université américaine dans laquelle nous envoyons chaque année 40 étudiants pendant six mois, et avec laquelle nous avons conclu un accord il y a deux ans. Mais nous nous voulons pas aller plus loin et envoyer tous nos étudiants dans ce qui serait alors une sorte d’extension de l’école  à l’étranger, intégrée à une université locale.

O. R : Vous étiez auparavant directeur du développement durable chez Orange. Est-ce une dimension que vous allez développer également à TEM ?

D. G : La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et le  développement durable sont des axes auxquels je tiens beaucoup. Je suis d’ailleurs président de la commission « développement durable et RSE » de la Conférence des grandes écoles. J’ai la conviction qu’on ne peut plus  former les cadres de demain sans qu’ils apprennent à mesurer et maîtriser  les impacts économiques, environnementaux, sociétaux et sociaux de leurs actes. Je ne veux pas pour autant créer des diplômes dédiés mais irriguer l’ensemble des cursus avec ces dimensions.

O. R : Où en êtes-vous de l’intégration de TEM dans l’université Paris-Saclay ?

D. G : En 2008 c’est nous qui n’avons pas voulu y aller. Ensuite, quand un de mes prédécesseurs a voulu revenir sur cette position, HEC avait affiché sa volonté d’être « la » business school de Paris Saclay. Aujourd’hui on progresse et nous allons nous rencontrer avec Peter Todd, le nouveau directeur d’HEC, pour en parler. Ne pas être dans Paris Saclay nous coupe de nos partenaires de l’Institut Mines Télécom qui en sont déjà membres comme de nos partenaires d’Evry qui ont vocation à y entrer. Nous aspirons également à contribuer à la démarche d’excellence de Paris-Saclay, à  élargir nos partenariats dans ce cadre et à bénéficier en retour de l’image. Nous nous ne pouvons pas rester en dehors mais c’est un travail de longue haleine.

O. R : Vos effectifs sont relativement modestes – 1500 étudiants dont 1100 uniquement pour le programme grande école -, peuvent-ils augmenter à l’avenir ?

D. G : Nos effectifs représentent à peu près un tiers de ceux des autres écoles. Les promotions de la grande école sont de 220 élèves en première année et de 290 à 300 en tout en fin de cursus avec l’apport des admissions parallèles dans le cadre des  Concours Passerelle et Passworld et des doubles diplômes manageurs-ingénieurs.

Mais nous ne souhaitons pas pour autant nous développer. D’abord faute d’infrastructures suffisantes. Aujourd’hui la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG) demande beaucoup d’heures en présentiel et il faudrait pouvoir passer à de nouvelles méthodes pédagogiques pour nous développer dans les mêmes locaux. Ensuite parce qu’il est peu probable que l’Etat augmente notre dotation dans les années à venir. Tout dépend ensuite du développement de nos ressources propres. Elles représentent environ aujourd’hui un tiers de notre budget quand la dotation de l’Etat représente les deux autres tiers.

O. R : Pourtant vous avez sûrement le potentiel pour recruter plus.

D. G : Certainement. Nous n’avons d’ailleurs pas souffert de l’augmentation des places offertes aux élèves de prépa par les écoles du « top 10 » l’année dernière. Nous faisons toujours le plein sans avoir eu besoin pour autant de baisser notre barre d’admissibilité ou de reculer le rang du dernier intégré.

O. R : Quelles ressources propres pouvez-vous développer ?

D. G : Elles sont de cinq natures. On peut déjà oublier peu à peu la taxe d’apprentissage dont la collecte a chuté suite aux modifications du cadre légal. Les droits de scolarité n’augmenteront pas non plus beaucoup dans la mesure où nous sommes une école publique, dépendant du ministère de l’Economie, et que nous revendiquons un politique sociale. La piste la plus intéressante est celle de la recherche partenariale.

Nous venons ainsi de monter notre première chaire, consacrée aux « réseaux sociaux et objects connectés », avec Huawei et Seb. Même si cela ne finance pas à proprement parler l’école cela permet d’augmenter sa production de recherche. Nous sommes également partie prenante de la Fondation Télécom qui permet notamment de lever des fonds auprès des alumni,  mais nous sommes une école récente – créée en 1979 – qui n’a longtemps eu que de petites promotions. Dans ce contexte, nos levées de fonds restent pour l’instant limitées .

O. R : Et la formation continue pouvez-vous la développer ?

D. G : C’est la cinquième source de ressources propres. Nous avons créé un Executive MBA en 2013 et avons également des MSc et mastères spécialisés mais aussi des programmes spécifiques comme celui que nous avons monté avec Sopra/Steria. Nous ne sommes pas intéressés par la formation continue courte mais plutôt par la formation continue, certifiante ou même diplômante. Nous disposons de l’ingénierie pédagogique nécessaire pour traiter partout de la transformation numérique.

O. R : A côté de votre programme grande école vous avez créé un bachelor en 3 ans qui vient de diplômer sa première promotion. Comment est-il orienté ? Que font ses titulaires après ?

D. G : Ce bachelor est clairement orienté vers les nouvelles technologies, l’innovation et l’international. La moitié des étudiants passe également un semestre entier au sein du Dublin Institute of Technology et nous travaillons au développement d’autres partenariats internationaux.

Parmi les 29 premiers diplômés, seulement trois ont décidé de se lancer tout de suite sur le marché du travail, deux en France et un à Singapour. Huit ont rejoint notre programme grande école et les autres différents établissements en France ou à l’étranger. La culture française pousse vers le bac+5. C’est un vrai défi de faire reconnaître par les entreprises et le public la valeur des diplômes professionnalisants à bac+2 ou bac+3.

O. R : L’Institut Mines-Télécom compte douze écoles dont onze d’ingénieurs. Vous ne vous sentez pas parfois un peu isolés ?
D. G : Nous sommes souvent en avance, que ce soit sur l’apprentissage ou les bachelors, et développons des synergies ensemble, comme par exemple les doubles diplômes ingénieur-manager qui sont au nombre de 10. Sous tutelle du ministère de l’Economie, nous participons à sa démarche sur « L’industrie du futur ». Dans ce cadre nous sommes même devenus le partenaire de la Technische Universität München au sein de l’Académie franco-allemande pour l’industrie du futur.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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