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L’ère des MOOC est ouverte

Avec le développement des massively open online courses (MOOC), ces cours en ligne gratuits dispensés aux États-Unis par les plus grandes universités, le e-learning est devenu le sujet d’intérêt majeur des acteurs de l’enseignement supérieur. En annonçant qu’elle rejoint Coursera, l’École polytechnique ouvre bien grandes les portes des MOOC à la française.

  • On doit cette terrifiante allégorie d’un MOOC transformant tout sur son passage dans l’enseignement supérieur à Michael Branson Smith, un professeur assistant de communication du York College de New York. Parmi les spécialistes cités en bas de l’affiche, George Siemens est un théoricien de l’apprentissage dans une société basée sur le numérique (ce qu’on appelle le « connectivisme »).

 

Aux États-Unis ils s’appellent Coursera, Udacity ou edX, au Royaume-Uni FutureLearn s’apprête à se lancer, tous mettent en ligne des centaines de cours gratuits. En France les MOOC n’existent aujourd’hui quasiment pas mais tout le monde en parle. En annonçant, qu’elle allait mettre gratuitement en ligne quelques cours à la rentrée 2013 sur une partie qui lui sera dédiée du site Coursera (lire plus bas), l’École Polytechnique rejoint un mouvement qui a débuté aux États-Unis en 2011 quand l’université de Stanford a ouvert son premier cours en ligne sur l’intelligence artificielle.

Auparavant, la Khan Academy mettait bien des cours en ligne mais ne se prenait pas pour une grande université pour autant. A la suite de Stanford, ce sont toutes les grandes universités américaines qui ont rejoint un mouvement qui a littéralement frappé le monde de l’enseignement de stupeur. Mais comment les universités américaines peuvent-elles mettre – gratuitement – en ligne des contenus qu’elles font normalement payer cher, très cher, à des étudiants triés sur le volet ? « La création de MOOC est réservée à de grands établissements qui inventent ainsi de nouveaux business models : l’enseignement est gratuit à l’entrée mais payant à la sortie, lorsqu’il faut délivrer un diplôme ou un certificat à ceux qui ont suivi gratuitement les cours en ligne », répond Jean-François Fiorina, le directeur adjoint du groupe Grenoble École de management. .

Former ceux qui ne se forment pas

Quand Stanford a ouvert son premier cours en ligne, elle a attiré 140 000 étudiants. Et même si seulement 10% ont suivi ensuite effectivement ce cours jusqu’à son terme c’était déjà un doublement de la population étudiante de Stanford et de leur impact en termes de transmission du savoir ! « Les MOOC peuvent ainsi permettre de découvrir de nouveaux potentiels qui ne se seraient jamais manifestés sinon et que nous pouvons ensuite signaler à des recruteurs ou attirer sur nos campus pour y suivre des MBA ou des Msc », reprend Jean-François Fiorina.

En France, et jusqu’à l’arrivée de l’École Polytechnique à la rentrée, l’initiative la plus aboutie de MOOC portait le joli nom d’ITyPA (pour « Internet Tout Y est Pour Apprendre »). Un cours gratuit en ligne a attiré 1300 fidèles pendant plus de dix semaines est né à l’automne dernier à l’initiative de Centrale Nantes et Télécom Bretagne. « Nous avons présenté des cours en direct pour que ceux qui apprennent apprennent à apprendre sur Internet », explique l’un des quatre concepteurs du projet, Morgan Magnin, qui enseigne à Centrale Nantes. Un projet qui n’aura guère coûté que beaucoup de temps – 150 heures de travail ! – et permis de tester des méthodes et de l’interactivité sur les 1300 étudiants inscrits. « Tous les cours sont encore en ligne mais nous tenions à les proposer d’abord en direct pour réunir un large public et les faire réagir sur les réseaux sociaux. »

Promouvoir son université ou son école

Si l’initiative de Centrale Nantes et Télécom Bretagne a marqué les esprits, elle est aussi le résultat d’un compromis entre plusieurs établissements qui auraient pu, s’ils avaient été seuls, en profiter pour mettre en avant leurs spécificités. « Les MOOC constituent un modèle économique dont les retours sont indirects : la distribution gratuite du savoir permet de faire connaître la qualité d’un enseignement. Auprès des étudiants mais aussi auprès d’entreprises qui apprécient de plus en plus d’avoir des contenus exploitables en ligne pour former leurs personnels », explique Jean-Guy Bernard, le directeur général d’un groupe EM Normandie, qui va mettre en ligne ses premiers MOOC en juin 2013.

Produire aujourd’hui du contenu en ligne français est également une nécessité absolue pour Morgan Magnin : « Nous ne pouvons pas nous contenter de regarder un contenu standard venu des États-Unis alors que nous avons nos expertises à mettre en avant ». « Les MOOC, même avec des chats, des forums, ne sont qu’un modèle de transmission du savoir sans adaptation aux réalités françaises et européennes », confirme Stéphan Bourcieu, directeur général du groupe ESC Dijon Bourgogne qui réfléchit à mettre en ligne un cours sur le vin – l’un des points forts de son école – pour « affirmer notre position de leader dans une optique internationale ».

  • Créé par des étudiants d’ESCP Europe LearningShelter met en ligne des cours payants dispensés en direct aux élèves et étudiants.

 

MOOC ou e-learning : les étudiants créent leur propre contenu

Si l’EM Normandie se lance si vite dans les MOOC, quand d’autres hésitent, c’est qu’elle est une pionnière du e-learning avec un programme grande école entièrement en ligne. « Tout le problème est de rassembler suffisamment souvent nos étudiants ensemble en cours, ce qui n’est pas facile quand certains sont à Atlanta et d’autres en Chine », explique Elsa Belloncle, la responsable du programme, qui a dû inventer toute une pédagogie adaptée au e-learning : « Nous demandons à nos étudiants de très bien préparer leur cours pour ne pas tous poser les mêmes questions quand ils ont leur enseignant devant eux par écran interposé ». Des cours sont également filmés et le programme comprend des forums thématiques où les enseignants répondent régulièrement aux questions. « Au final de vraies amitiés se lient entre les étudiants, comme dans une promotion classique », se félicite encore Elsa Belloncle, qui va bientôt diplômer sa première promotion : « Et là les étudiants seront présents dans l’école pour que nous validions leurs compétences ».

De l’e-learning, des forums et du « présentiel », c’est ce qu’on appelle le « blended learning » (on attend la traduction française). Parce que ses étudiants continuent à interagir après la fin des cours, Morgan Magnin parle lui de modèle « connectiviste » : « Beaucoup d’étudiants mettent en ligne des ressources et la communauté s’auto régule. Alors que les élèves ingénieurs ont l’habitude de se voir définir des objectifs précis il est important de les sensibiliser à un autre mode d’apprentissage où ce sont les apprenants qui définissent les objectifs et s’organisent en réseau ».

  • La présentation du master en ligne de l’EM Normandie

Quel rôle pour les enseignants ?

Les enseignants français paraissent encore souvent réticents à cette mise en avant gratuite. Ils semblent parfois donner l’impression d’avoir peur d’être remplacés, comme c’est déjà largement le cas pour les enseignants de langue avec des plates-formes comme 7speaking. « Les MOOC ne peuvent pas remplacer une école mais peuvent constituer un apport à la pédagogie. Dans une certaine mesure, ils peuvent constituer un substitut aux manuels », veut les rassurer Stéphan Bourcieu alors que Jean-François Fiorina est lui enthousiaste : « Les MOOC sont un formidable outil de développement de ce qu’on pourrait appeler la « nobélisation » des enseignants. Avoir été écouté et lu par des centaines de milliers d’étudiants confère une notoriété qu’il faut ensuite pouvoir exploiter dans le cadre de ses recherches ».

Une « nobélisation » qui n’est peut-être tout simplement pas inscrite dans les gènes de l’enseignant français. « Quand on visite le bureau d’un enseignant américain, on est tout de suite frappé par le nombre de trophées qu’il met en avant », se souvient encore Morgan Magnin, conscient également de la concurrence que les MOOC risque d’introduire entre les enseignants : « Quand trente cours de mécanique seront en ligne, seuls deux ou trois trouveront leur public. Il va falloir apprendre à les marketer ». Avec l’émergence des MOOC, l’ère du « professeur star » est ouverte…

Olivier Rollot (@O_Rollot)

  • Lire aussi « MOOC : la standardisation ou l’innovation » une tribune de Dominique Boullier professeur de sociologie à Sciences Po et coordinateur scientifique du MediaLab sur InternetActu
  • L’École polytechnique sur Coursera
  • À la rentrée 2013 l’École Polytechnique sera le premier établissement d’enseignement supérieur français à diffuser gratuitement des cours en ligne sur la plate-forme Coursera aujourd’hui leader dans le monde avec plus de 2,7 millions d’usagers. Seront tout de suite accessible à l’adresse https://www.coursera.org/#ep un cours de mathématiques appliquées proposé par Sylvie Méléard et Jean-René Chazottes (« Introduction à la théorie et au calcul des probabilités »), un cours de mathématiques de François Golse et Yvan Martel (« Initiation à la théorie des distributions ») et un cours d’informatique donné par Dominique Rossin et Benjamin Werner (« Conception et mise en œuvre d’algorithmes »). Il s’agit là pour l’École polytechnique d’un « premier pas dans le cadre d’un projet collectif ambitieux de l’Idex Paris-Saclay portant sur l’e-learning ».

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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