ECOLE D’INGÉNIEURS

Ecoles d’ingénieurs : fusionner ou ne pas fusionner, telle est la question

CentraleSupélec vient de s’installer dans de nouveaux bâtiments communs qui marquent la fin d’un long processus de fusion. Comue, universités, écoles de managements et maintenant d’ingénieur poursuivent le même objectif : atteindre une « taille critique » nécessaire pour peser en France et à l’international. Depuis trois ans les fusions entre écoles d’ingénieurs se multiplient autant que les rapprochements avec d’autres établissements au sein des Comue. Avec des réussites mais aussi des échecs. Etat des lieux, des ambitions et des objectifs de tous ces rapprochements.

Pourquoi se rapprocher ? Recherche de « taille critique », protection vis à vis d’universités « intrusives » dans le cadre des Comue, nécessité d’être plus efficaces, les motifs de fusionner sont nombreux pour les écoles d’ingénieurs. « Avoir 1500 ou 2000 élèves par école est un bon point d’équilibre et nous y parvenons avec des fusions qui ont déjà donné naissance à l’IMT Atlantique et à l’IMT Lille Douai. Des rapprochements sont également à l’étude en Ile-de-France, entre Télécom ParisTech et Télécom SudParis, et Rhône Alpes-Auvergne », explique le directeur de l’IMT, Philippe Jamet pour lequel « au-delà de la taille, ces rapprochements permettent également de rénover l’offre des écoles, au carrefour entre numérique et sciences et technologies de l’ingénieur ».

Du côté de CentraleSupélec la fusion devait avant tout permettre de couvrir à peu près tout le spectre de le recherche scientifique avec l’ambition d’atteindre une nouvelle dimension. « Il ne s’agit pas d’une fusion mais d’une création : nous ne voulons pas seulement mélanger deux cultures mais créer une nouvelle école dans laquelle 1+1 ne ferons pas que deux mais créeront davantage de valeur », assurait ainsi le directeur de l’école, Hervé Biausser peu avant la fusion effective.

 

Tensions sociales en vue ! Les processus de rapprochement achoppent d’abord sur des questions de statut. Dans le cadre de la fusion CentraleSupélec le plus compliqué a été le transfert des statuts des personnels de Supélec – de droit privé – vers un statut public. Les tensions sociales ont aussi conduit à l’abandon des rapprochements entre l’université de Nantes et Centrale Nantes ou encore CPE Lyon et Mines Saint-Etienne. L’échec de la fusion Télécom ParisTech / Télécom ParisSud se présente quant à lui un peu différemment. « Ce qui a tendu les relations et bloqué les instances statutaires ce n’est tant pas le projet de fusion proprement dit que les conditions d’indemnisation du déménagement – prévu pour septembre 2019 -, de Télécom ParisTech sur son nouveau site dans le cadre de l’université Paris-Saclay, qui n’ont pas été aujourd’hui jugées satisfaisantes par les personnels », regrette Yves Poilane, le directeur de Télécom ParisTech.

Pour désamorcer tous les conflits possibles il faut un long travail de préparation des esprits. « Nous avons commencé à travailler ensemble début 2013 et les conseils d’administration ont approuvé la fusion en juin 2014. Un an de plus aura ensuite été nécessaire pour présenter un projet abouti et encore un an pour que l’école naisse », confie Sophie Commereuc, directrice de l’école d’ingénieurs SIGMA née de la fusion de deux écoles clermontoises, l’ENSCCF (chimie) et l’IFMA (mécanique), qui analyse : « Il faut du temps pour réaliser une fusion car il faut que toutes les parties prenantes s’emparent du projet et se l’approprient. Les personnels, les étudiants mais aussi les alumni et les entreprises partenaires, tout le monde était convaincu de la pertinence du projet ».

Comment rapprocher les projets pédagogiques ? Au-delà des questions sociales, qui concernent tous les personnels, les tensions sont également fortes dans la partie académique des écoles. Car une école fusionnée c’est forcément un seul cursus. S’il était au début prévu de conserver les deux diplômes de Centrale et Supélec, il est vite apparu nécessaire d’en arriver à un seul. Pour autant le nouveau cursus unique n’en conduira pas moins à des profils plutôt Centrale ou Supélec sans qu’ils soient pour autant séparés. « Il faut que nos partenaires retrouvent les diplômes auxquels ils sont habitués avec les mêmes qualités qu’auparavant. Nous ne voulons surtout pas gommer les forces des diplômés de chaque école. Toutes deux ont une très forte culture d’ingénieur avec un très fort positionnement « système » – plus « physique » à Supélec, plus « entreprises » à Centrale – avec des approches très semblables pour des fonctions assez différentes au total », explique Hervé Biausser.

Un objectif à atteindre qui signifie beaucoup de travail en amont. « Nous allions saturer nos équipes d’enseignants-chercheurs sous la charge de travail de construction d’un projet pédagogique commun. Même des frères jumeaux, ce que sont un peu nos deux écoles, voient leur physionomie évoluer avec le temps. Et un projet pédagogique c’est ce qu’il y a de plus intime dans une école ! », remarque Yves Poilane qui développe : « Chaque enseignant-chercheur s’approprie son cours et celui d’un autre enseignant-chercheur sur le même sujet n’est jamais le même. La question est alors : comment créer le meilleur cours en prenant le meilleur de chacun ? Dans le pire des cas on est partis pour deux ans de discussion pour converger ».

Garder son indépendance. A tout prix ? Les plus belles « marques » de l’enseignement supérieur français sont aussi les plus réticentes à accepter de perdre leur identité. Si le refus de l’Ecole polytechnique de se « fondre » dans l’université Paris-Saclay est emblématique, Mines ParisTech s’est également opposé farouchement à son intégration au sein de l’Institut Mines Télécom. Lui préférant une intégration plus « douce » au sein de la Comue parisienne PSL quand l’IMT est largement partenaire de Paris-Saclay où un déménagement de l’école avait d’ailleurs un temps été envisagé. « Nous tenons à rester à Paris avec nos partenaires de PSL et des incubateurs comme Station F. Avec notre excellence dans la recherche nous nous sentons en adéquation avec les écoles de PSL comme l’ENS Paris et notre conseil d’administration a d’ailleurs ratifié à l’unanimité la nouvelle convention qui nous lie à PSL », explique Vincent Laflèche, le directeur de l’école qui reste néanmoins associée à l’IMT.

Mieux se positionner dans les classements. Si l’Ecole polytechnique s’est lancée dans l’aventure Paris-Saclay, si le rapport Attali a ensuite préconisé la constitution d’une fédération d’écoles autour de l’X c’est avant tout pour progresser dans les classements internationaux. « Il ne faut pas se voiler la face : aujourd’hui les étudiants internationaux qui choisissent de partir de leur pays pour étudier regardent ces classements. Aussi nous ne pouvons pas les négliger », expliquait ainsi en 2014 la présidente de l’Ecole polytechnique de l’époque, Marion Guillou. Une analyse qui reste plus que jamais d’actualité, notamment au sein d’un PSL dans lequel les établissements membres commencent à jouer le jeu de la signature unique de tous les articles de recherche (aux alentours de 54% des articles). « Nous sommes très fiers du rang de PSL dans le dernier classement du Times Higher Education (26ème la réputation). Maintenant l’objectif est d’entrer en 2018 dans le classement de Shanghai », confie Vincent Laflèche avant de conclure : « Ces classements sont de « belles carottes » qui vont inscrire PSL dans la durée ». Le dernier classement du Times Higher Education confirme-t-il vraiment ses espérances ? Certes PSL se classe à la première place française mais est seulement 72ème quand l’ENS Paris seule, sa plus fameuse composante, était 66ème en 2016. Non les Comue, les fusions, les rapprochements ne suffiront pas à elles seules à nous faire remonter dans les classements…

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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