ECOLES DE MANAGEMENT, EMPLOI / SOCIETE, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Les grandes écoles à la rescousse des décrocheurs

Ce sont chaque année 130 000 jeunes qui quittent chaque année le système éducatif sans aucune qualification selon le Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications). Devant ce qui s’apparente pour beaucoup à un « désastre national », les initiatives se multiplient, comme celle cette année de la Conférence des Grandes écoles (CGE) alors qu’une une ministre déléguée chargée de la Réussite éducative, George Pau-Langevin, a même été nommée.

Pierre Tapie, son président, présente les grandes orientations de la CGE en mettant l'accent sur la lutte contre l'échec scolaire.

Les Instituts Horizon Métiers de la CGE

Pour « raccrocher » au système éducatif ceux qui en sont prématurément sortis, la Conférence des Grandes écoles (CGE) propose la création d’Instituts Horizon Métiers. Les jeunes décrocheurs y passeraient les deux tiers de leur temps de formation en entreprise, pour apprendre une compétence et un métier, et le tiers restant à la « reconstitution du socle fondamental de lecture, de l’écriture et du calcul, associé à une certaine culture historique, artistique et littéraire ». La formation serait assurée au sein des grandes écoles, la CGE considérant qu’une école d’ingénieurs de 600 étudiants peut le plus souvent accueillir une classe de 30 jeunes (ou deux de 15) à un moment donné dans ses locaux. Comme l’explique Pierre Tapie, président de la CGE : « La démocratisation du système éducatif c’est ré inclure dans le système ceux qui sont exclus tout en restant compétitifs vis-à-vis de nos concurrents allemands ou chinois ».

Au sein de ces Instituts Horizon Métiers, les formateurs à la culture générale pourraient être de jeunes retraités associés à de jeunes étudiants ou à des jeunes réalisant là leur service citoyen. « Ensemble ils seraient capables de dessiner des pédagogies originales auprès de jeunes peu scolaires, à partir de leurs expériences professionnelles ou universitaires ; les institutions universitaires réaliseraient l’ingénierie pédagogique », explique la CGE..

Profession « raccrocheuse »

Dès le lycée des établissements, encore trop peu nombreux, prennent en charge les décrocheurs. « Comment j’aide un jeune décrocheur à retrouver le chemin de la réussite ? En lui faisant confiance. » Audrey Maurin, déléguée générale de la Fédération des établissements scolaires publics innovants, la Fespi, est formelle : pour remettre dans le système scolaire les jeunes qui en sortent chaque année il faut avant tout leur donner de la considération. « Nous avons 85% de réussite au bac en acceptant uniquement des jeunes qui ont été refusés partout ailleurs mais que nous savons motivés et auxquels nous accordons une attention de tous les instants. » Si la Fespi ne compte pas que des établissements en charge des problèmes de décrochage, tous pratiquent des méthodes pédagogiques différentes pour aider tous les types de jeunes à réussir, et notamment ceux qui ne se sentent pas à l’aise dans le système éducatif classique et, parfois, décrochent.

Mais il n’y a pas que les établissements publics pour venir en aide aux jeunes décrocheurs. Pour ceux qui en ont les moyens financiers – comptez entre 590 et 1000 euros par mois -, des établissements privés peuvent prendre le relais. Dits « hors contrat » ils ne sont pas obligés de suivre les décisions d’orientation des établissement publics ou privés « sous contrat ». Ainsi Alexandra, 16 ans,  ne pouvait pas accepter la décision d’orientation – en bac professionnel – qu’on  lui imposait et est aujourd’hui scolarisée dans un établissement différent mais lui privé : « C’est une véritable résurrection pour moi. Je m’exprime, je participe. Je crois que je supportais mal d’être dans un collège où personne ne semblait vraiment s’intéresser à moi. Ou alors pour me dire que je n’y arriverai jamais ».

Raccrocher au lycée

La considération, on y revient. Et les petits effectifs. Dans ce qu’on appelle les « micro-lycées » membres du Fespi aussi les classes sont réduites. Et les enseignants soudés : « Nous pensons tous avoir une mission globale, qui est aussi d’éduquer que d’enseigner, reprend Audrey Maurin. Nous travaillons en équipe avec des temps de concertation hebdomadaires. Le tout avec une direction collégiale rattachée à des établissements traditionnels. » Des profs soudés, investis d’une mission, des élèves, parfois âgés de 22 ans, volontaires pour s’en sortir, les recettes paraissent simples mais sont loin d’être appliqués partout dans un enseignement secondaire qui reste très individualiste et où les initiatives innovantes sont rarement récompensées.

Les Fespi favorisent le travail de groupe et l’émulation entre les élèves et leurs professeurs. « Nous construisons de nouveaux rapports avec les élèves, desquels nous apprenons aussi beaucoup. Après un TPE (travaux personnels encadrés) nous sommes tous meilleurs », confie la déléguée générale. Un état d’esprit que rejettent beaucoup d’enseignants, considérant, à juste titre d’ailleurs, qu’ils n’ont pas été recrutés pour cela. « Mais quel bonheur pour ceux qui franchissent le pas et qui revisitent ainsi leurs pratiques pédagogiques », conseille le psychopédagogue Serge Boimare, auteur de « La peur d’enseigner » (Dunod).

Chaque soir Alexandra profite ainsi de la disponibilité de ses enseignants : « Deux heures d’études je trouvais ça long au début mais je peux poser toutes les questions que je veux et on m’explique ce que je n’avais pas compris en cours ». Une disponibilité qui va parfois, dans les établissements membres du Fespi, jusqu’à trouver des lieux d’accueil pour des élèves en rupture de ban avec des familles qui sont souvent à la base des problèmes de l’enfant. « Pour les préserver de l’échec, il faut beaucoup de concertation entre les enseignants, sans attendre le conseil de classe où il est déjà trop tard. Dans nos établissements chaque élève a un professeur référent qui le suit », explique encore Audrey Maurin, qui conclut : « Ce qu’il faut avant tout c’est le temps et la volonté de se parler, entre enseignants, entre enseignants et élèves, avec les parents ».

Raccrocher après le lycée

Créées il y a maintenant près de 20 ans, les 113 « écoles de la deuxième chance » (E2C) scolarisent aujourd’hui plus de 10 000 jeunes sortis, depuis au moins deux ans, du système éducatif sans aucun diplôme. S’appuyant sur un fort partenariat avec les entreprises, les E2C dispensent des cours de remise à niveau, des stages de découverte de l’entreprise et des métiers puis, enfin, de formation professionnelle. La formation, qui dure en général dix mois, est sanctionnée par un « certificat de compétences ». « Sur ces 130 000 jeunes sortis du système, beaucoup sont des lycées alternatifs, dans des formations régionales, en apprentissage, etc, souligne Fabrice Charbonnier, qui dirige l’École de la deuxième chance de l’Estuaire de la Loire. Ils ont quitté le collège sans diplôme mais ne sont pas forcément en déshérence pour autant. »

Bien d’autres initiatives existent et celle de la Conférence des Grandes Ecoles apporte aujourd’hui une pierre précieuse à l’édifice encore fragile du raccrochage scolaire.

Olivier Rollot (@O_rollot)

Plus d’infos sur les écoles innovantes (http://fespi.fr) de la deuxième chance (www.fondatione2c.org), les écoles privées hors contrat (http://www.enseignement-prive.fr), les Instituts Horizon Métiers

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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