ECOLES DE MANAGEMENT

« Les IAE interviennent dans un univers hyper-concurrentiel » : Jérôme Rive

Quand les écoles de management consulaires pleurent leurs financements en berne, les instituts d’administration des entreprises (IAE) rient-ils ? « Nous faisons partie d’un écosystème commun » rétorque Jérôme Rive, président d’IAE France et directeur du plus important d’entre eux, à Lyon. Sélection en master, création d’un « esprit IAE », valeur des bachelors, nouveautés de l’IAE Lyon, il se livre à un large tour d’horizon.

Olivier Rollot (@O_Rollot) : Le réseau des IAE fêtera ses 60 ans en mai 2017. Que prévoyez-vous déjà ?

Jérôme Rive : Nous allons en profiter à la fois pour nous projeter dans l’avenir et faire le point sur notre modèle et ce que nous venons de commencer à mettre en œuvre. Nous allons par exemple étendre les possibilités pour nos étudiants de passer d’un IAE à l’autre, en fonction des spécialités qu’il recherche, dans le cadre du programme IAE Bridge. Nous travaillons également beaucoup sur l’« esprit IAE ». Nous organisons des rencontres « afterwork » pour nos alumni dans toute la France. Et pour faire naître cet « esprit IAE » dès l’école, IAE France organise une Coupe de France des IAE qui mobilise chaque année de plus en plus d’étudiants sportifs.

O. R : Vous vous définissez comme des « écoles universitaires de management ». Vos « cousines », les écoles de management, sont en profonde mutation. Comment les IAE se positionnent-ils face à elles ?

J. R : Nous faisons partie d’un écosystème commun, celui des formations en gestion qui regroupe pas loin de 20% des étudiants français. Un secteur en profonde transformation, marqué par des fusions et l’entrée de nouveaux acteurs privés suite au désengagement des chambres de commerce et d’industrie. Certains semblent lancés dans une sorte de « fuite en avant » avec le développement de nouvelles formations comme les bachelors.

De notre côté nous restons sur nos diplômes nationaux et la double compétence apportée par le master MAE (Management et administration des entreprises). Cette multi compétences est plus que jamais demandée par les entreprises et correspond à la mission originelle confiée aux IAE par Gaston Berger, à savoir démocratiser l’enseignement supérieur et marier les deux disciplines fondamentales que sont la gestion et l’ingénierie.

O. R : Mais pourquoi choisir plutôt un IAE qu’une école de management ?

J. R : Il y a d’abord une question de prix qui peut faire la différence pour des produits de valeur proche à la qualité certifiée. Nous constatons d’ailleurs des flux croisés nombreux entre les IAE et les écoles de management.

O. R : Les IAE recrutent-ils des titulaires de bachelors ?

J. R : Ce sont des flux nouveaux mais tous les bachelors ne se valent pas. La CEFDG (Commission d’évaluation des formations de gestion) garantit la qualité des diplômes des opérateurs privés. Ses certifications (visa, master) sont un critère de choix clé pour les familles.

O. R : Prix, niveau d’entrée, diplômes, identités visuelle, les IAE ne sont pas tous à fait tous les mêmes ?

J. R : Notre modèle pédagogique c’est la salle de classe en TD de 30/35 personnes. Les cours sont fondés sur l’étude de cas. Par définition un diplôme national est partout au même prix, c’est à dire 184€ par an en licence et 256€ en master. Ensuite des services supplémentaires peuvent être facturés. Concernant le niveau, douze des 32 IAE du réseau recrutent après le bac et les autres en cours ou après une licence. Les diplômes proposés sont plus ou moins nombreux mais tous proposent le MAE. Quant au choix de l’identité visuelle, IAE France en a promu une que chaque IAE est libre ou pas de l’adopter.

O. R : Le Conseil d’Etat a interdit toute sélection en master à l’intérieur d’une université dans un arrêt récent. Qu’est-ce que cela signifierait pour les IAE ? Qu’allez vous faire ?

J. R : Les IAE interviennent dans l’univers hyper-concurrentiel de la formation supérieure au management et à la gestion, univers également soumis à une très forte demande sociétale. Dans cet univers, les IAE ont toujours opéré une régulation des flux, afin de garantir une insertion professionnelle optimisée, répondre aux besoins réels des marchés d’emploi et maintenir, dans le cadre d’effectifs maitrisés, une expertise et de méthodes pédagogiques développées depuis plus de 60 ans, avec succès. 

La sélection existe, de fait, au niveau master. Il est vital que de modalités de régulation des flux existent à ce niveau de formation. Il nous apparaît cependant beaucoup plus opportun et judicieux pour l’ensemble des parties prenantes de réaliser ces processus de sélection à l’entrée du diplôme de Master, diplôme en deux ans. C’est le sens même de la réforme de Bologne !

Si nous entendons qu’il convient, actuellement, de sécuriser les établissements dans leur capacité à sélectionner à l’intérieur du master, il nous apparaît fondamental de développer rapidement un cadre juridique permettant de réguler les flux à l’accès du master, en lien avec les capacités d’accueil des établissements, mais également leurs capacités d’accompagnement des étudiants, de façon à ce que tout étudiant intégré bénéficie de la garantie d’une insertion professionnelle réelle et optimisée.

C’est le sens de notre action, et c’est ainsi que nous souhaitons pouvoir continuer à agir, en tant qu’opérateur public de la formation supérieur au management, de façon à défendre l’excellence de diplômes universitaires dans le domaine de la gestion et du management.

O. R : Parlons plus spécifiquement de l’IAE Lyon. Vous lancez beaucoup de nouveaux masters à la rentrée

J. R : Le nouveau cadre d’accréditation des universités nous permet plus facilement de créer des parcours de masters alors que nous savions que certaines professions – banque, assurances, etc. – attendaient depuis longtemps ces nouvelles formations. La demande des entreprises est telle que la plupart de ces nouveaux parcours de masters s’effectueront en contrat d’alternance. En tout nous aurons à la rentrée 2016 treize mentions de master différentes qui débouchent sur plus d’une cinquantaine de parcours.

O. R : Vous proposez également un DBA (doctorate of business administration). En quoi cela consiste-t-il ?

J. R : L’Executive DBA est un diplôme post MBA sur lequel les IAE de Nice, Lyon et Bordeaux ont travaillé et qui diffère du PhD (le doctorat académique anglo-saxon) en attirant des managers souhaitant créer de la connaissance et la publier.

O. R : Vous organisez même des séminaires « philosophie et management » !

J. R : Nous y réunissons dirigeants d’entreprise et philosophes et 60% des auditeurs qui viennent assister à ces séminaires sont des cadres. Nos publics sont motivés par la construction de sens et c’est dans notre mission de faire se rencontrer ces publics.

O. R : Vous avez aussi créé  un cours en ligne gratuit, un MOOC, consacré à la cartographie des processus métiers.

J. R : Nous venons de lancer la deuxième version avec un deuxième niveau d’expertise et la possibilité de recevoir une certification. Ce MOOC permet de réaliser une véritable cartographie personnelle tout en étant accompagné par des professionnels de l’université. La première année nous avons eu 2500 participants, dont 1000 ont obtenu une attestation de réussite.

O. R : La formation continue est aujourd’hui au cœur des projets de l’enseignement supérieur. Vous qui en faites depuis longtemps pensez-vous vraiment que ce soit un tel réservoir de croissance pour les établissements ?

J. R : Il faut tenir un discours de réalité. La formation continue est un marché ancien d’où ne va pas tomber subitement une manne. C’est un marché sous très vive tension sur lequel la notion de marque est fondamentale. Aujourd’hui on l’agite comme si tout le monde pouvait en faire quand les IAE en font depuis leur origine. Nous proposons des produits diplômants spécifiques tout en évoluant vers leur modularisation dans le cadre du compte personnel de formation (CPF).

O. R : Avec la réforme de la formation professionnelle de 2014, c’est devenu plus difficile de faire de la formation continue ?

J. R :  Il faut travailler à des montages financiers plus complexes avec les opérateurs, développer des formations inter et intra entreprises. Il y a aussi la question de l’inventaire des formations éligibles au CPF qui a été parfois complexe. Mais nous sommes convaincus que les individus vont investir de plus en plus dans leur formation et qu’il faut les accompagner pour associer des financements multiples. Lors de nos dernières journées portes ouvertes, l’atelier financement était d’ailleurs le plus couru. La formation continue aujourd’hui c’est aussi faire de l’accompagnement de projet, du coaching ou des bilans de compétences. Tout un nouveau savoir faire à développer.

A la lisière de la formation initiale et de la formation continue nous avons aussi beaucoup de jeunes en contrats de professionnalisation. Des jeunes qui passent deux ans dans une entreprise et qui sont presque des auditeurs de formation continue. Aujourd’hui on hybride aussi les publics.

O. R : Les IAE ont la particularité au sein de l’université de se financer pour une grande partie. A l’IAE Lyon quelle est la part de ce financement autonome ?

J. R : Sur les 7 millions d’euros de ressources propres seulement 95 000€ viennent de notre université, le reste est constitué de ressources que nous développons. Mais au total notre budget consolidé, y compris les salaires et les charges locatives, est de près de 32 M€.

O. R : La dimension internationale est une autre spécificité de votre IAE.

J. R : Dès 1984 nous y avons travaillé et nous avons aujourd’hui 150 accords dans le monde avec des universités dont la moitié sont accréditées internationalement. Chaque année 250 de nos étudiants partent suivre un cursus académique dans le monde et 400 un stage. Ceux qui ne peuvent pas partir suivent des séminaires obligatoires. Nous avons, en matière d’emploi et de stages à l’international, développé tout un réseau de « career centers » avec nos partenaires pour échanger des offres intéressantes.

Mais nous avons surtout des programmes délocalisés. Depuis 26 ans nous proposons ainsi un MBA en français à Prague et nous en avons ouvert également en Pologne, en Chine ou encore en Hongrie. En tout nous formons aujourd’hui 1500 étudiants à l’étranger dont la plus grande partie en formation continue. Ils sont essentiellement en masters mais également dans la licence professionnelle que nous avons ouverte au Vietnam.

O. R : Qu’est-ce que cela vous apporte ?

J. R : La moitié de nos enseignants partent dans le cadre de ces programmes et obtiennent ainsi tout un bagage d’interculturalité qui fait monter cette dimension chez tous nos enseignants, donc dans tous nos programmes. Mais l’international n’a jamais été considéré par nous comme une source de financement. Nous venons d’ouvrir un master consacré à l’industrie pharmaceutique à Dakar. Partout il s’agit avant tout pour nous de soutenir les entreprises lyonnaises qui s’installent dans ces pays et veulent former leurs équipes à nos pratiques de management.

O. R : Dans cet objectif d’internationalisation, allez-vous tenter d’obtenir des accréditations internationales ?

J. R : Notre master Management international est accrédité Epas par l’EFMD et nous travaillons à réunir les différents programmes de management international qui le sont pour développer un consortium et mieux les faire connaître et progresser ensemble par un échange de bonnes pratiques. Ces reconnaissances sont fondamentales et nous sommes aujourd’hui éligibles Equis avec un audit qui aura lieu dans moins d’un an. 50% de nos partenaires bénéficient de ces accréditations et nous demandent de plus en plus que nous les justifions également.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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