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« Les présidents d’université sont de bons gestionnaires » : Gérard Blanchard, président de l’université de La Rochelle

Président de l’université de La Rochelle depuis 2008, Gérard Blanchard est également vice-président de la Conférence des présidents d’université (CPU), notamment en charge des questions financières. Le regard du président d’une université récente et en bonne santé financière sur un système en pleine évolution.

Blanchard Gérard (Université La Rochelle)

Olivier Rollot : L’université de La Rochelle a fêté ses 20 ans en 2013. Comment la définiriez-vous ?

rard Blanchard: Comme une belle université de petite taille – 7500 étudiants –, pluridisciplinaire qui sait faire réussir ses étudiants en les accompagnant. Sur le passage de 1ère en 2ème année de licence nos résultats sont par exemple de 15% supérieurs à la moyenne nationale. Notre taux de réussite en licence en trois ans est également de 10% supérieur à la moyenne. Le tout avec pas moins de 46% de boursiers : nous sommes un bel ascenseur social. Sur le plan budgétaire et financier, malgré le contexte très difficile et les décisions que cela impose au sein de l’établissement, nous faisons en sorte de ne pas être en déficit. Notre priorité était de réussir le passage à l’autonomie depuis 2009.

O. R : Une université de votre taille ne peut pas être excellente dans tous les domaines de recherche. Lesquels avez-vous choisi de développer en priorité ?

G. B : Dans l’esprit de ce qu’est La Rochelle nous avons privilégié l’environnement dans une démarche résolument pluridisciplinaire (ingénierie, écologie, sciences humaines et sociales, droit, etc.) ; ainsi, nous développons en parallèle, au meilleur niveau national, des recherches en environnement littoral et côtier et en sciences de l’ingénieur pour l’environnement, notamment l’énergétique des bâtiments. Cette stratégie nous a permis de créer plusieurs UMR (unités mixtes de recherche) avec le CNRS. Je dois d’ailleurs souligner le partenariat tout à fait remarquable que nous avons avec le CNRS.

O. R : Vos étudiants sont-ils tous de la région ou arrivez-vous à les attirer de toute la France et même de l’étranger grâce à vos spécialités ?

G. B : Deux tiers de nos étudiants de première année de licence viennent de Poitou-Charentes. En master c’est différent : un peu plus de la moitié vient d’autres régions dont 11% de l’étranger, d’abord de la zone Asie-Pacifique (22,6%). Notre réputation est aujourd’hui bien assise dans nos spécialités, mais aussi dans notre capacité à amener les étudiants à un emploi : nous avons mis en place de nombreux dispositifs d’accompagnement et d’insertion professionnelle. Nous sommes également très impliqués dans le développement des masters en ingénierie du réseau FIGURE.

O. R : Pour attirer plus largement des étudiants vers l’université en master ne faudrait-il pas « sécuriser » leur parcours comme dans les grandes écoles, où l’on est à peu près certain de sortir diplômé une fois qu’on a été admis, alors qu’à l’université on se demande chaque année si on passera dans l’année supérieure ou dans quel master on sera finalement admis ?

G. B : Les choses ont beaucoup évolué dans les universités qui prennent très au sérieux les questions liées à l’orientation, la réussite et l’insertion professionnelle. Heureusement, tout n’est pas joué dès l’entrée à l’université : les étudiants sont bien accompagnés mais ils doivent aussi s’impliquer tout au long de leur cursus. Nos diplômés ont acquis un très bon niveau. On ne communique d’ailleurs sans doute pas assez sur la qualité de nos diplômés, en particulier de master. Notre faiblesse a longtemps été de ne pas assez valoriser leurs compétences alors qu’ils possèdent une capacité d’adaptation qui les rend très intéressants pour les entreprises.

O. R : L’université de La Rochelle c’est aussi une offre importante en DUT : 1100 étudiants dans cinq départements différents. Beaucoup d’universités regrettent qu’ils poursuivent très souvent leurs études dans des écoles plutôt qu’à l’université. Est-ce votre cas ?

G. B : Quand on parle de parcours sécurisé pour les étudiants, l’IUT en est un bon exemple et nous permet de recevoir de bons étudiants qui obtiendront un diplôme professionnel au bout de deux ans et poursuivront très majoritairement leurs études, à l’université, dans une école d’ingénieurs ou une école de commerce (qui sont parfois dans les universités). Bien entendu nous trouvons dommage qu’ils ne poursuivent pas plus nombreux leurs études en licence, puis en master. C’est bien la preuve qu’il faut savoir rester attractifs envers ses propres étudiants mais aussi leur proposer des filières adaptées.

O. R : Parfois on a le sentiment que les IUT ne se sentent pas bien intégrés dans leur université, notamment depuis l’entrée en vigueur de l’autonomie. Comment cela se passe à La Rochelle ?

G. B : Les relations sont très bonnes avec notre IUT. Pour favoriser la collégialité, nous avons intégré les directeurs de composantes (4 dont l’IUT) à notre bureau hebdomadaire où nous traitons tous les dossiers de l’université.

O. R : Le développement de l’apprentissage est aujourd’hui une priorité pour vous?

G. B : L’apprentissage est un enjeu énorme pour les universités. Il permet aux étudiants de créer des liens très forts avec les entreprises, ce qui constitue une autre manière de sécuriser leur parcours. Développer l’apprentissage dans l’enseignement supérieur c’est aussi une façon de le « re-qualifier » vers le haut. De plus l’apprentissage nous permet de renforcer nos liens avec les entreprises et de tisser des réseaux. Enfin, recevoir des publics différents dans la même formation – nous tenons à que tous les étudiants soient ensemble, apprentis ou pas – incite les enseignants à faire évoluer leurs méthodes pédagogiques. Nous avons créé avec la Région un CFA enseignement supérieur public (notamment avec l’Université de Poitiers) et nous avons en même temps réorganisé nos services au sein de l’université pour gérer l’apprentissage de toutes nos formations. Nous avons besoin de développer plus l’apprentissage, c’est pourquoi nous comptons bien multiplier par trois le nombre d’apprentis.

O. R : Beaucoup voudraient aujourd’hui freiner le développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur en fléchant plus largement les ressources vers le bac pro, le CAP ou le BEP. Que leur dites-vous ?

G. B : Comme je l’ai dit, développer l’apprentissage et plus largement l’alternance dans le supérieur, c’est revaloriser l’image des formations professionnelles, repenser nos organisations et les méthodes pédagogiques, renforcer les relations universités-entreprises ; c’est un des leviers du changement. La spécificité de la France par rapport à l’Allemagne, souvent citée en exemple sur l’apprentissage, c’est que nous savons faire de l’apprentissage en post bac et les entreprises en sont extrêmement friandes. Il est donc nécessaire de renforcer l’apprentissage à l’université, c’est d’ailleurs un objectif gouvernemental.

O. R : La loi votée en 2013 sur l’enseignement supérieur et la recherche demande aux universités comme aux grandes écoles de se regrouper dans des ComUE (communautés d’universités et d’établissements) qui vont succéder aux PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur). Quel est votre projet pour La Rochelle ?

G. B : Notre projet de ComUE ne peut se comprendre que dans la perspective de notre participation à ce qu’on appelle les « Initiatives d’excellence » (Idex). Avec les universités de Limoges, Orléans, Poitiers et Tours nous allons établir un projet d’Idex aux thématiques ciblées. La taille de la COMUE Limousin Poitou-Charentes, dont nous faisons aujourd’hui partie, est clairement insuffisante pour avoir des chances de l’emporter : nous ne comptons pas assez de pôles d’excellence dans assez de secteurs. Je pense donc qu’il faut élargir notre structuration à la région Centre. D’autant qu’un milliard d’euros va être consacré – le Président François Hollande vient de l’annoncer -, à de nouveaux Idex régionaux.

O. R : Cela ne risque pas d’être très difficile de travailler avec trois régions différentes  qui rassemblent 80 000 étudiants et 6 000 enseignants-chercheurs ?

G. B : Bien sûr que ce sera compliqué, mais il faut impérativement créer ces dynamiques de structuration dans le cadre des réformes récentes qui impliquent d’avoir une visibilité nationale. Il faut aussi travailler avec les organismes, notamment le CNRS dont la délégation régionale correspond d’ailleurs au périmètre des trois régions. Nous sommes présents sur cinq villes moyennes et nous travaillerons sur une logique de réseau qui peut être très performante. La question de la fusion entre nos différents établissements ne se pose absolument pas. Concernant la taille, il y a déjà plusieurs COMUE qui dépassent 120 000 étudiants.

O. R : Mais y avait-il vraiment besoin d’une nouvelle loi ? Vous n’avez pas parfois le sentiment de passer plus de temps à réfléchir sur des textes législatifs qu’à gérer vos établissements ?

G. B : La nouvelle loi sur l’enseignement supérieur et la recherche est bien plus fondamentale que la précédente, dite LRU [Libertés et Responsabilités des Universités], car elle va beaucoup plus loin sur la problématique des politiques de sites et de restructuration du paysage national. Elle était attendue par la communauté universitaire car elle insuffle plus de démocratie dans les instances de direction des universités et des regroupements.

O. R : Avec toutes ces réformes, le rôle des présidents d’université ne devient-il pas un peu plus complexe chaque jour ?

G. B : Depuis le passage à l’autonomie, je n’ai pas peur de le dire, les présidents d’université sont devenus des managers. Avec la nouvelle loi, ils seront de plus en plus des acteurs territoriaux importants. Il faut donc que les présidents élus dans les universités aient à la fois un fort niveau d’expertise et une vraie personnalité. Être président d’université demande aussi d’avoir un vrai sens politique.

O. R : De plus la constitution de votre ComUE transrégionale va prendre sans doute pas mal de temps pour vous entendre. Vous pensez pouvoir déposer mi- juillet 2014 les statuts de votre ComUE, comme la loi le demande ?

G. B : Encore une fois, notre objectif est de construire un projet d’Idex, la ComUE en sera la conséquence. C’est ainsi que les responsables des établissements des cinq sites abordent la question, même si en pratique nous allons traiter les deux sujets simultanément. Je soutiens très fortement cette hypothèse Idex + ComUE et bien évidemment nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour rendre nos statuts dans les temps.

O. R : Toujours sur la ComUE, comprendra-t-elle tous les établissements d’enseignement supérieurs des trois régions, y compris des écoles privées ?

G. B : Notre feuille de route est complexe : assurer un regroupement inédit de 5  universités sur 3 régions. C’est la raison pour laquelle nous envisageons de n’associer que les écoles d’ingénieurs publiques. Si d’autres veulent nous rejoindre plus tard, il faudra qu’ils aient les mêmes valeurs et rejoignent notre projet partagé.

O. R : La délivrance des doctorats doit elle être dévolue à la ComUE ?

G. B : Ce n’est pas obligatoire, même si c’est assez logique. Ce qui est nécessaire, c’est de coordonner les politiques des écoles doctorales.

O. R : Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche demande aux universités de réduire le nombre des appellations de master (lire plus bas). Ce n’est pas antinomique avec leur autonomie ?

G. B : La volonté de la Ministre de réduire le nombre d’intitulés de licence était légitime, les lycéens et leurs familles étaient perdus devant ce qui leur apparaissait comme un fouillis. La logique qui prévaut pour les masters est différente et nous regrettons que seule une volonté de réduction du nombre apparaisse. Pour la CPU, il aurait été utile de conserver les spécialités et que la réduction du nombre de mentions soit effectuée selon des critères de lisibilité pour l’employeur et dans une optique de visibilité internationale. Notre attractivité est directement liée aux performances de la recherche en liaison avec l’offre de formation. Nous voulons être jugés sur notre capacité à faire réussir les étudiants et à leur assurer une bonne insertion professionnelle. L’État attend de nous que nous diplômions 50% d’une classe d’âge mais aussi que ces diplômés s’insèrent sur le marché du travail.

O. R : Avec le remplacement de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres) par le Hceres (Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), la nouvelle loi votée cet été sur l’enseignement supérieur et la recherche prévoit un passage de l’habilitation  des formations à l’accréditation des établissements. Là pour le coup vous aurez plus d’autonomie puisque vous pourrez librement créer des diplômes ?

G. B : Chaque université définit librement son offre de formation : c’était déjà au cœur de notre autonomie bien avant la RCE [« responsabilités et compétences élargies » prévues par la loi sur l’autonomie des universités en 2007]. Certes de façon très encadrée, mais cela a toujours existé. L’accréditation est une excellente réforme car elle est basée sur la philosophie suivante : si l’HCERES et le ministère reconnaissent qu’un établissement a les capacités pédagogiques de délivrer des diplômes dans un champ donné, alors l’établissement est libre d’organiser sa pédagogie (en respectant un cadre donné). L’évaluation n’ayant lieu qu’après. C’est la fin des volumineux dossiers d’habilitation qui détaillaient à l’heure près les maquettes d’enseignement.

O. R : Vous représentez la Conférence des présidents d’université (CPU) dans les négociations qu’ont les universités avec le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche sur leurs finances souvent dégradées. Où en est-on ?

G. B : Le problème principal que nous avons à résoudre est celui de l’actualisation de notre masse salariale, ce qu’on appelle le « Glissement Vieillesse Technicité » (GVT), qui augmente dans la quasi-totalité des universités. L’État a accepté d’ouvrir des négociations pour compenser le GVT et nous verrons ce que nous pouvons obtenir.

L’autre grand souci récurrent est la sous-dotation budgétaire dont souffrent encore beaucoup d’universités. Or pour la CPU, il est n’est pas envisageable de prendre à certaines, réputées mieux « dotées », pour donner à d’autres.

Mais je tiens à réaffirmer que, dans une conjoncture particulièrement difficile depuis 5 ans, les présidents ont su gérer leur université avec efficacité et présenter des comptes financiers à l’équilibre dans la très grande majorité des cas, voire redresser des situations très difficiles. C’est la preuve que nous sommes de bons gestionnaires.

O. R : Les problèmes financiers des universités reviennent souvent en haut de l’actualité. Vous n’avez pas peur que ce soit au détriment de leur attractivité ?

G. B : Tous les acteurs de l’Etat sont confrontés à des difficultés financières. Notre rôle est d’y adapter positivement nos établissements, nous devons faire des gains de productivité, rationaliser nos achats par exemple. Mais nous devons aussi trouver d’autres sources de financements tout en accomplissant mieux nos missions de service public. Par exemple, en nous investissant plus dans la formation tout au long de la vie, en direction des publics en échec mais aussi dans le vaste champs de la formation professionnelle. Malgré ces changements difficiles, la recherche et l’enseignement proposés dans les universités restent excellents ; d’ailleurs les étudiants étrangers ne s’y trompent pas, leur présence chaque année plus importante, en master et en doctorat, le confirme.

 

  • Demain beaucoup moins de masters
  • C’était l’une des priorités de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche : réduire le nombre de masters. De 6 000 on va donc passer progressivement à un peu plus de 250. Question pratique : que va par exemple devenir un master « Management du luxe » ? Dans la liste des masters possibles va-t-il devenir « Management » (appellation un peu large), « Management sectoriel » (appellation illisible) ? De toute façon les masters posséderont toujours des parcours plus précis et il y a gros à parier qu’on les appellera vite plutôt sous le nom de leur parcours que sur un intitulé large qui ne parle pas à grand monde. Bonne idée pour les licences, la limitation du nombre de mentions de masters le semble définitivement beaucoup moins pour les masters.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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