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« Nous devons nous faire connaître et toucher de nouveaux publics » : Pierre-Yves Geoffard, directeur de l’École d’économie de Paris

L’École d’économie de Paris – Paris School of Economics (PSE) c’est la réunion des plus prestigieuses institutions de recherche en économie (CNRS, École normale supérieure, Université Panthéon-Sorbonne, Ponts ParisTech, Inra et EHESS) pour créer ensemble en 2006 l’une des meilleures écoles d’économie du monde. Avec succès puisqu’elle est aujourd’hui classée au 8ème rang. Pierre-Yves Geoffard, son directeur, explique comment elle veut aujourd’hui aller plus loin.

Pierre-Yves Geoffard, directeur de l’École d’économie de Paris (photo Julien Benhamou)

Olivier Rollot : On a beaucoup entendu parler de l’École d’économie de Paris lors de sa création en 2006. Beaucoup moins depuis. Pouvez-vous nous indiquer où vous en êtes aujourd’hui ?

Pierre-Yves Geoffard: Le projet de création d’une école regroupant les laboratoires de recherche parisiens en économie remonte à plus de 30 ans. Il s’agissait de les regrouper pour leur donner une visibilité internationale alors qu’ils étaient jusque-là trop éclatés. Aujourd’hui nous sommes une Fondation de coopération scientifique (FCS) qui compte 120 enseignants-chercheurs. S’ils sont issus de nos institutions fondatrices, nous travaillons également avec des partenaires scientifiques comme l’Institut de recherche pour le développement.

L’inauguration de PSE, très médiatisée, a en effet laissé place à une période de structuration, en interne et en lien avec des partenaires publics et privés. Cette construction est moins visible, mais l’accent a été mis sur la visibilité académique de PSE, qui est aujourd’hui acquise.

O. R : Vous comptez également 200 doctorants et, c’est moins connu, 300 élèves en masters. Mais des masters un peu particuliers ?

P-Y. G : Nos trois masters sont effectivement conçus comme un tout avec le doctorat sur une durée totale de cinq ans, un peu comme un PhD. Pour autant tous nos étudiants de master ne poursuivent pas forcément en doctorat et ne deviennent pas tous enseignants. Ils s’orientent vers de nombreux autres débouchés comme les organisations internationales, les administrations publiques et, de plus en plus, les entreprises.

O. R : Aujourd’hui parvenez-vous à attirer des enseignants et des chercheurs venus du monde entier?

P-Y. G : L’enseignement dans nos masters est aujourd’hui dispensé pratiquement entièrement en anglais un ce qui nous a permis d’accroître énormément les candidatures internationales : 70% d’entre elles ne viennent pas de France, et 30 à 40% de nos étudiants de masters sont étrangers, proportion qui monte à 50% en doctorat. Pas moins de 30 nationalités sont représentées avec, par exemple cette année, d’excellents étudiants qui viennent de Colombie, de République Tchèque, ou du Népal !

Quant aux enseignants, ils nous rejoignent d’autant plus volontiers qu’ils savent que nous avons un socle d’étudiants tout à fait exceptionnel. En fait, le système éducatif français peine à « raccrocher » ceux qui ne s’y sentent pas bien et échouent à un moment ou un autre, mais il sait toujours former de très bons élèves. L’implication forte de l’ENS et de l’Ecole des Ponts, deux grandes écoles de premier plan, dans le projet de PSE est à ce titre un élément clé de notre réussite.

O. R : Pour attirer les meilleurs enseignants, notamment en économie, il faut des moyens financiers conséquents. Les avez-vous vraiment ?

P-Y. G : En 2006 nous avons bénéficié d’une double dotation : 12 millions d’euros pour la recherche et 8 millions pour la formation, et nous nous sommes interdits d’en dépenser plus de 20% sur 5 ans. Après 7 ans, de fait, seuls 10% ont été consommés. Nos moyens proviennent donc pour une part de ces fonds qui sont placés. Certes, ils ne nous rapportent évidemment pas les mêmes intérêts quand les taux sont à 5% ou, comme aujourd’hui, plus proches de 2%. Mais ce ne sont pas nos seules ressources : les recherches à PSE sont financées par de nombreux contrats de recherche (ANR, ERC,…). Par ailleurs, nous recevons également des dons, et avons créé plusieurs chaires de recherche, que viennent compléter des dizaines de contrats dits d’expertise.

La politique de recrutement menée par PSE en partenariat avec ses établissements fondateurs est un succès : depuis sa création, plus de 20 chercheurs en poste en dehors de France nous ont rejoints, dont une majorité d’étrangers, et sept d’entre eux figurant dans le top 5% mondial en termes d’impact des publications. La diversité de nos fondateurs nous permet également de nous intéresser à un large spectre de domaines : les autres sciences sociales et notamment l’histoire, avec l’EHESS et l’Université Paris 1, l’économie pour les ingénieurs avec l’Ecole des Ponts ou encore des questions agricoles et rurales avec l’Inra.

O. R : Mais on dit que les enseignants en économie ou gestion sont les plus difficiles à faire venir tant leur niveau de rémunérations est élevé !

P-Y. G : Nous nous battons dans un secteur où la concurrence internationale est féroce. Aux Etats-Unis, un docteur en économie titulaire d’un PhD démarre sa carrière à 80 000€ par an et peut même aller, dans certaines business schools, jusqu’à 200 000 $ ! Comment le retenir en France sur un poste CNRS à 1 700 € par mois ? C’est indécent ! PSE peut contribuer à réduire l’écart, mais certainement pas complètement. D’autant que le coût de la vie à Paris est élevé. Dans notre secteur comme ailleurs la mondialisation a accru les inégalités entre les professeurs « stars » et les autres.

Heureusement que Paris a de vrais attraits, qu’il s’agisse d’y vivre, de travailler avec des collègues de haut niveau mais aussi, je le répète, avec des étudiants largement aussi bons que dans les meilleures institutions mondiales. Même si notre objectif est qu’ils fassent leur thèse à PSE, les portes leur sont d’ailleurs grandes ouvertes quand ils postulent à un PhD dans les meilleurs universités, aux Etats-Unis ou ailleurs.

O. R : Tous les articles académiques des chercheurs de PSE sont signés sous la marque « Paris School of Economics » ?

P-Y. G : C’est essentiel pour notre visibilité : les chercheurs signent de leur nom, puis de PSE puis enfin de leur employeur statutaire. Nous sommes ainsi aujourd’hui au 8ème rang mondial dans le classement international des chercheurs en économie RePEc (Research Papers in Economics) qui recense les publications et analyse leur impact. Nous sommes en très bonne compagnie, mais cela ne va pas être facile de progresser davantage quand on sait que devant nous, il ne reste plus qu’Harvard, Princeton, Berkeley, New York University ou encore Oxford.

O. R : Vous ne vous sentez pas un peu trop élitistes parfois ?

P-Y. G : Mais la recherche scientifique est élitiste, chaque chercheur est constamment évalué par ses pairs. Un système d’ailleurs de plus en plus dur où la reconnaissance académique ne suffit plus et où il faut pour certains que la rémunération suive la renommée.

O. R : Mais PSE pourrait-il s’ouvrir plus largement et recevoir d’autres types d’étudiants ?

P-Y. G : Nous devons réfléchir, avec nos partenaires Paris 1 Panthéon-Sorbonne ou PSL*, à la manière dont PSE pourrait intervenir dès les premiers cycles. La recherche doit pouvoir servir ailleurs que dans les formations à la recherche et nous ne formons pas que nos futurs collègues. Notre force c’est de former à un monde mouvant. Nous devons nous faire connaître et toucher de nouveaux publics en ouvrant la carte des enseignements avec de nouveaux masters ou de la formation professionnelle. D’autant qu’en 2016 nous bénéficierons de tous nouveaux bâtiments sur le campus Jourdan.

O. R : Vos membres fondateurs sont eux-mêmes partie prenantes de plusieurs ComUE (communauté d’universités et d’établissements). Cela ne risque pas d’être difficile de travailler avec autant d’institutions parfois concurrentes ?

P-Y. G : Être à la fois dans Hesam (Paris 1 et EHESS), Paris Sciences et Lettres (l’ENS) ou ParisTech (École des Ponts) nous permet au contraire d’être au cœur d’un environnement intellectuel exceptionnel, et de pouvoir proposer aux enseignants-chercheurs qui souhaitent rejoindre PSE d’envisager d’intégrer Paris 1, l’ENS, ou l’EHESS selon leur profil. Maintenant que nous avons construit la marque PSE, nous pouvons établir des partenariats qui vont bien au-delà de nos ressources.

O. R : On dit souvent que l’économie et la gestion sont deux disciplines qui se regardent en chien de faïence. Quels sont aujourd’hui les liens ?

P-Y. G : La différence est moins marquée qu’avant car les deux disciplines se rapprochent. Par exemple autour de l’économie comportementale, quand les économistes ont une vision plus large de la rationalité qui les rapproche du marketing. La notion de « rationalité limitée » du consommateur permet de mieux comprendre les comportements des individus dans de nombreuses situations (choix de santé, d’assurance, d’épargne,…). La recherche de ce qu’est « l’économie du bonheur » demande l’étude de déterminants (conditions de vie, santé, éducation, etc.) qui vont bien au-delà des seuls revenus.

Certains de nos chercheurs publient d’ailleurs dans Marketing Science car leurs recherches permettent d’éclairer les comportements futurs des consommateurs. Autre sujet : comment l’augmentation individuelle des revenus, dans telle ou telle région du monde, va-t-elle influer sur la demande de voitures ou de transport aérien ? Gestion ou économie, peu importe ! car l’objectif commun est de mieux comprendre le monde.

O. R : C’est même au cœur de votre mission.

P-Y. G : « La science économique au service de la société » c’est sur cette mission qu’est née la fondation et nous gardons une confiance importante dans  la théorie économique. Complétée par des démarches empiriques novatrices, la théorie économique reste formidablement structurante pour penser les sociétés contemporaines.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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