ECOLES DE MANAGEMENT

Un nouveau statut pour les écoles consulaires : entretien avec Pierre-Antoine Gailly, président de la CCI Paris Ile-de-France

Le tout nouveau statut d’école d’enseignement supérieur consulaire (EESC) a été adopté par le Parlement. A commencer par HEC, les écoles consulaires qui le souhaitent – et pas seulement les ESC – pourront demain adopter ce statut qui préserve la majorité aux chambres de commerce et d’industrie (CCI) tout en ouvrant le « capital » à des investisseurs privés. Entretien avec Pierre-Antoine Gailly, président de la CCI Paris Ile-de-France et cheville ouvrière de la création des EESC.

Pierre-Antoine Gailly préside la Chambre de commerce et d'industrie de région Paris Ile-de-France (photo F. Daburon)

Olivier Rollot : Le statut d’école d’enseignement supérieur consulaire (EESC) a été adopté par le Parlement. C’est le terme d’un long travail !

Pierre-Antoine Gailly : La loi a été adoptée en commission mixte paritaire par les deux assemblées. C’est le terme de trois ans de travail avec des juristes de haute volée avec lesquels nous avons abouti à un premier projet en juin 2012. Il reste maintenant à promulguer un décret qui fixera les modalités du contrat d’objectifs et de moyens qui liera chaque école à sa chambre de commerce. Ce contrat établira en particulier la performance académique attendue et les moyens mis à disposition par les CCI et notamment les fonds propres.

O.R : Quel sera le statut de ces sociétés d’un nouveau type ?

P-A.G : Ce seront des sociétés par action très particulières puisqu’elles n’auront pas le droit de verser de dividendes – tout le profit qu’elles effectueront devra être réinvesti – et que la loi établit que les chambres de commerce et d’industrie ne pourront pas descendre en-dessous de 51% de leur capital. De plus aucun investisseur ne pourra dépasser les 33%.

O.R : Qui pourra entrer au capital ?

P-A.G : Toute personne physique et morale : aussi bien des fondations que des associations d’anciens, des collectivités locales, des entreprises, des particuliers ou même d’autres écoles dans le cadre de participations croisées.

O.R : Toutes les écoles consulaires sont concernées ?

P-A.G : Toute école qui en sent le besoin, notamment pour s’allier avec d’autres est susceptible d’adopter ce statut. Même une école associative s’il est prouvé qu’elle est sous le contrôle d’une chambre de commerce et d’industrie. Il serait bien évident impossible de marier une école qui resterait le service d’une chambre avec une autre sans utiliser le nouveau statut.

O.R : Mais quel est l’intérêt pour une entreprise d’investir dans une école ?

P-A.G : Le même que quand elles investissent dans une chaire par exemple : participer au co-développement de l’école avec la possibilité de développer des actions de recherche et de formations.

O.R : C’est l’une des plus belles marques de l’enseignement supérieur français, HEC, qui va être la première concernée. Comment allez-vous la valoriser ?

P-A.G : Nous commençons juste cette phase mais tout dépendra de ce que nous apportons : la marque, tout le campus ou une partie, l’immobilier ou l’usufruit, les personnels à disposition, etc.

O.R : Les personnels accepteront-ils ce changement de statut? On a vu des conflits à ce sujet dans certaines écoles de management consulaires.

P-A.G : Cela ne devrait pas poser trop de problème dans la mesure où les personnels qui choisiront d’entrer dans ces nouvelles sociétés auront, pendant 15 ans, l’option de revenir dans leur CCI s’ils le souhaitent.

O.R : Et quel sera le mode de gouvernance de ces écoles?

P-A.G : Nous avons le choix entre un conseil d’administration ou un conseil de surveillance mais nous envisageons plutôt la première option. Seront présents dans ce conseil aussi bien des représentants des chambres ou des fondations que des professeurs et des étudiants, sans oublier des personnalités qualifiées françaises et étrangères.

O.R : HEC va avoir deux défis en 2015 : changer de statut mais aussi recruter un nouveau directeur pour succéder à Bernard Ramanantsoa. Là non plus cela ne va pas être facile tant il a apporté à HEC en 18 ans de direction.

P-A.G : Nous avons inauguré avec l’Essec puis ESCP Europe un processus de recrutement de type anglo-saxon qui s’appuie sur un comité de sélection composé aussi bien de représentants de la CCI que de personnalités indépendantes françaises et étrangères. Un comité dans lequel la CCI est minoritaire. Nous nous appuierons sur ce processus pour HEC avec le concours d’un chasseur de têtes de rang mondial.

Nous savons que la « perle rare » ne sera pas facile à trouver pour succéder à Bernard Ramanantsoa qui a fait faire à HEC un sacré parcours. On peut même affirmer que c’est grâce à lui que la France a imposé aux anglo-saxons un standard de formation international. Il y a encore dix ou douze ans, les business schools anglo-saxonnes critiquaient nos grandes écoles : aujourd’hui elles ont toutes adopté  leur programme phare, le« master in management », qui est ainsi devenu la norme internationale. Dans ce cadre nous pouvons être fiers d’animer « l’écurie de tête » avec HEC, l’Essec et ESCP Europe.

O.R : Comment résumeriez-vous ce modèle de formation « à la française » qui s’est finalement imposé ?

P-A.G : La norme que nous avons contribué à imposer c’est celle qu’on peut former, dès la formation première, des managers complets. Les grandes écoles de management ont cette capacité à faire émerger des personnalités qui ont à la fois toutes les compétences académiques, connaissent l’entreprise grâce à des périodes de stage ou d’apprentissage et ont la capacité à se mouvoir dans un environnement international.

Contrairement à un modèle de formation anglo-saxon, fondé sur les lettres et les sciences humaines puis sur un MBA à 30 ans, nous formons des jeunes qui, à 25 ans, ont une tête bien faite et sont autonomes. Aujourd’hui nous conservons ce modèle tout en accueillant de plus en plus d’admis sur titre qui viennent du monde entier. Les Anglais ont d’abord pris le wagon du MBA à l’américaine avant d’adopter le master in management à la française.

O.R : Le modèle des grandes écoles de commerce françaises est internationalement reconnu mais en butte à des réformes gouvernementales qui vont l’affaiblir : les ressources des CCI vont baisser, la taxe d’apprentissage être moins accordée aux établissements d’enseignement supérieur par exemple. Vous ne vous sentez pas mal aimé » par le gouvernement ?

P-A.G : Pour ce qui est de la réforme des moyens accordés aux CCI rien n’est encore définitivement voté. Mais on peut affirmer que le gouvernement est ingrat vis-à-vis d’écoles de commerce qu’il considère comme privées alors que 95% d’entre elles – je parle des grandes écoles – dépendent d’établissements publics. Pour autant, je ne suis paranoïaque : le gouvernement cherche de l’argent partout où il y en a, sans s’en prendre particulièrement aux écoles. Il devrait considérer notre modèle : 10 à 15% du budget des écoles consulaires provient de leur CCI quand c’est plutôt 60 à 80% de leur budget que l’État verse à Sciences Po, Dauphine ou aux instituts d’administration des entreprises (IAE).

Mais tout cela ne nous empêchera pas de continuer à faire ce que nous faisons bien. Il faut diversifier nos sources de financement et c’est pour cela que nous avons adopté ce nouveau statut. La situation n’est pas simple aujourd’hui mais nous sommes comme dans une entreprise, il y a des hauts et des bas. On se bagarre !

O.R : Comment allez-vous surmonter la baisse annoncée des ressources tirées de la taxe d’apprentissage ?

P-A.G : Là on peut vraiment parler de réforme à contre-courant : d’un côté on proclame partout que l’apprentissage est la formule à développer, de l’autre on coupe les moyens alloués à l’enseignement supérieur pour favoriser les niveaux IV et V [CAP, BEP, bac pro…]. Pour notre part nous sommes présents à tous les niveaux et nous faisons d’aménagement du territoire comme de la diversité.

Au moins une entité a compris les enjeux et comment nous devions faire partie commune : le Conseil régional d’Ile-de-France, dirigé par Jean-Paul Huchon, a maintenu tous ses financements envers nos apprentis.

O.R : Une autre ressources que vous prospectez, avec succès pour HEC, est celle du fundraising. Mais toutes les écoles peuvent-elles vraiment faire du fundraising comme HEC ?

P-A.G : Bien sûr avec des cibles différentes. La Fondation HEC a été créée en 1971 mais il aura fallu attendre 2005, et une nouvelle loi fiscale, pour qu’elle prenne son envol. Si notre Fondation est parvenue à collecte finalement 120 millions d’euros en 5 ans c’est parce que nous avons travaillé avec professionnalisme, y compris en nous intéressant aux communautés d’anciens HEC installées dans les pays anglo-saxons qui ont moins de limite psychologique au don. Maintenant des professionnels sont à la tête de toutes nos fondations et nous constatons déjà que ça démarre partout.

O.R : Du côté des coûts qui ont explosé ces dernières années dans les écoles de commerce on pointe souvent la recherche. N’est-on pas allé trop loin ?

P-A.G : Quand on veut jouer en première division il faut s’adapter. Dans un univers académique international où la recherche est primordiale il fallait s’adapter. À HEC, nous l’avons fait seuls ou en association avec le CNRS, l’École polytechnique, etc. Les chaires de recherche sont aussi un moyen de recevoir des moyens des entreprises.

Mais il ne faut jamais oublier qu’une école sert avant tout à former les jeunes dont les entreprises ont besoin et qu’exposer les jeunes à la problématique de la recherche c’est leur apprendre à innover.

O.R : La recherche contribue-t-elle à vos actions de formation continue ?

P-A.G : Aujourd’hui le budget d’HEC est composé pour 50% d’executive education [formation continue]. Il y a une bonne alchimie entre les bons chercheurs et des entreprises qui viennent à HEC pour y rencontrer des « grands sachant ». De l’autre côté, nos professeurs sont également heureux d’enseigner à des élèves plus « chenus » dans un programme comme notre MBA Trium qui reçoit les meilleurs. En faisant de l’executive education un professeur apprend beaucoup.

O.R : La CCI Paris Ile de France ce n’est pas qu’HEC ou l’Essec, vous opérez même des écoles hors de France.

P-A.G : Nous avons 24 écoles, toutes intégrées sauf l’Essec, et nous opérons effectivement quelques écoles à l’étranger (Afrique du Sud, Algérie, Liban et Vietnam) que nous avons créées dans les années 90 à la demande du gouvernement français. Aujourd’hui le ministère des Affaires étrangères assure leur financement et nous leur ingénierie pédagogique.

O.R : Vos écoles se développent également hors de l’Ile-de-France ?

P-A.G : ESCP Europe est présente dans cinq pays européens, l’Essec à Singapour et HEC au Qatar et en Chine. En France nous développons une politique de marque avec l’ouverture récente à Bordeaux d’un bachelor de Ferrandi, notre école française de gastronomie, et d’une formation web design des Gobelins. Et saviez-vous que Ferrandi avait créé un French Food & Culture Center à Tokyo ? Aujourd’hui nous cherchons à développer des modèles économiques viables avec des partenaires fiables.

O.R : Il n’est pas question de fusionner vos écoles comme on l’entend parfois ?

P-A.G : On a déjà fusionné le CPA avec HEC, l’ESCP avec l’EAP et l’EPSCI est devenue le BBA Essec. Maintenant nous avons trois grandes marques en portefeuille et il n’y aurait aucun intérêt à fusionner des écoles qui ont des histoires, des stratégies et un ADN propres. Nous sommes déjà arrivés à un effet de taille important alors que les coûts de transition seraient monumentaux. Ce que nous demandons aujourd’hui à nos trois écoles c’est dans rester dans le Top 10 européen.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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