ECOLES DE MANAGEMENT, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, UNIVERSITES

Nouvelles pédagogie dans l’enseignement supérieur: où en est-on?

Lorsqu’il présente sa nouvelle école de management, France Business School (réunion des ESC Amiens, Brest, Clermont-Ferrand et de l’Escem Tours-Poitiers) Patrick Molle, son directeur, insiste moins sur les stratégies, l’international, le recrutement que sur « la nécessité de donner le plaisir d’apprendre » à ses élèves. « Il faut donner un côté ludique aux apprentissages », insiste-t-il encore avant d’enfoncer le clou : « Transmettre le savoir n’est pas le métier principal de l’enseignant ». Stupeur dans la salle. Mais quel est ce métier alors ?

« La pédagogie est un domaine trop souvent passé sous silence à l’université alors que l’accompagnement des étudiants est aussi un véritable enjeu pédagogique », explique de son côté Jean-Luc Vayssière, président de l’université Versailles Saint-Quentin, sur son blog. Quant à Nicolas Sadirac, le directeur général d’Epitech, une école d’informatique qui forme près de 4 200 « geeks » dans toute la France il assène : « Les connaissances sont aujourd’hui faciles d’accès. Les étudiants en savent aujourd’hui toujours plus que les profs, parce qu’ils vont chercher la dernière information disponible, la plus à jour ».

Échanger, discuter, en finir avec la passivité des élèves

Information disponible, étudiants connectés, nous sommes passés en quelques années de générations d’élèves et d’étudiants plus ou moins motivés – mais trop souvent amorphes – à de nouvelles, pas forcément plus motivées, mais beaucoup moins enclines à s’ennuyer de longues heures en cours sans protester. Incivilités, absentéisme, décrochage, les établissements d’enseignement supérieur ne peuvent que constater les ravages d’un enseignement à l’ancienne – grands amphis, profs récitant leurs cours, élèves prenant plus ou moins des notes – totalement rédhibitoire aux yeux des enfants d’Internet. Jusque dans les meilleures écoles, les plus sélectives. Dans un excellent article du « Monde » intitulé « La trop sage HEC bousculée par ses deux tiers d’enseignants étrangers », le journaliste spécialistes de l’enseignement supérieur Benoît Floc’h met ainsi en exergue comment un corps professoral largement formé aux États-Unis en importait logiquement les méthodes, notamment en mettant l’accent sur l’échange pendant les cours.

Non sans mal apparemment. Une professeure néerlandaise de marketing d’HEC citée dans l’article, Kristine de Valck, constatait ainsi que ses élèves étaient «  comme des crocodiles : ils ne disent rien et ils attendent ». C’est bien le paradoxe auquel nous sommes encore confrontés : s’ils s’ennuient – en le montrant plus ou moins poliment -, les étudiants français n’en revendiquent pas pour autant une participation accrue en cours. Il faut la leur apporter sur un plateau, les faire peu à peu sortir d’une mentalité qu’on pourrait résumer en un « si tu l’ouvres, t’es mort » – tant les autres étudiants peuvent stigmatiser ceux qui ont l’outrecuidance de participer – et les pousser à ouvrir leurs grands yeux de « crocodiles » assoupis.

De nouveaux modes d’acquisition du savoir

L’information est partout et on s’en sert différemment. Ingénieur devenu généticien, François Taddei est chercheur en biologie des systèmes à l’Inserm. En regardant comment les bactéries communiquent, il a aussi imaginé comment les étudiants peuvent inventer de nouvelles façons de faire de la recherche. « Des formes d’intelligence collaboratives nouvelles apparaissent, comme ces femmes qui ont échangé leurs expériences sur les maladies génétiques de leurs enfants et fait progresser la recherche », explique-t-il lors d’un colloque au dernier salon Educatec. Et de poursuivre : « Avec les massively open online courses (MOOC) 150 000 étudiants suivent aujourd’hui des cours de Stanford dans le monde. Qu’est-ce qu’une université peut trouver qui n’est pas sur internet? »

Les MOOC, ces cours gratuits diffusés en ligne par les universités américaines sur des plates-formes, dont la plus connue est Coursera, sont au centre des interrogations de l’université aujourd’hui. « Nous voyons un double intérêt aux MOOC : travailler autrement certes mais surtout découvrir de nouveaux potentiels qui ne se seraient jamais manifesté sinon – par exemple un excellent comptable kazakh – et que nous pouvons ensuite signaler à des recruteurs », commente Jean-François Fiorina, directeur adjoint du groupe Grenoble École de Management. Quant à Stephan Bourcieu, directeur du groupe ESC Dijon Bourgogne, il estime sur son blog que « l’offre de cours en ligne permet de répondre à la croissance des effectifs étudiants et à la volonté des écoles de mobiliser les meilleurs professeurs en assurant une diffusion large de leurs cours tout en préservant leur temps de recherche… ».

Reste à décider quels certificats on donnera ou pas à ces étudiants. Des universités américaines commencent à délivrer des « badges de compétences » sous forme électronique pour attester des compétences en ligne (lire un article du Figaro Etudiant). Des badges payants, il faut bien que les universités se rétribuent quelque part. Oui mais pour quel service rendu ? Pendant les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, Hervé Biausser, le directeur général de l’École centrale de Paris faisait remarquer lui « la pauvreté pédagogique de ces MOOC qui ne sont que la captation vidéo des cours des enseignants » et sont « loin d’un vrai contenu interactif ». Mais si l’enseignant en « présentiel » se contente d’ahaner son cours sans interactivité qu’apporte-t-il aux étudiants de plus qu’une vidéo ?

Vous avez dit ludique ?

Les solutions ? D’abord une participation aux cours plus ludique. Un mot qui fâche parfois les tenants d’un apprentissage à l’ancienne sur le modèle « il faut en baver pour réussir ». Ah oui mais pourquoi ? Pourquoi ne pas plutôt s’amuser si c’est plus efficace ? À l’ESC Grenoble les étudiants de première année commencent leur année par les « 24 h de l’innovation ». « Pendant deux jours ils vont plancher sur des projets par petits groupes. Cela permet à la fois de prouver à tous qu’ils peuvent être créatifs et d’accélérer le processus d’intégration », explique Hélène Michel, spécialiste des « serious games » et responsable de l’opération. Mais attention, ces étudiants, s’ils sont ravis une fois les deux jours finis, n’en posent pas moins des questions sur leur finalité. «

Les étudiants sont tout sauf amorphes. Du moins si on sait les motiver. « Prenez les jeux vidéo en réseaux. Ils permettent de développer toutes les compétences que nous souhaitons : rapidité, complémentarité, concentration », explique ainsi Fabrice Mauléon, chargé du développement des nouvelles pédagogies au sein de France Business School (FBS), qui prône une « pédagogie par le compagnonnage » (lire son entretien complet demain). Grenoble INP a été l’un des pionniers de cette volonté de mettre l’étudiant au cœur des préoccupations, y dédiant une équipe et un site, Perform. Un exemple aujourd’hui suivi un peu partout.

Le mode projet

Nicolas Sadirac, directeur général de l’Epitech

« Le projet est au cœur de notre pédagogie. Mais pas seulement comme une application de théories déjà apprises. C’est un véritable mode d’apprentissage », explique Nicolas Sadirac. « Ce qui nous intéresse ce n’est pas forcément le résultat technique mais de voir comment les étudiants avancent sans cours, sans prof pour les aider », analyse encore celui qui met dès leur arrivée ses étudiants au défi de résoudre un problème, par exemple de construire une calculatrice : « Nous leur demandons de sortir d’une logique de mimétisme pour trouver en eux-mêmes les solutions ». Les cadres pédagogique – il n’y a pas de professeur au sens classique du terme dans les Epitech -, sont seulement présents pour aider les étudiants à aller dans une logique professionnelle. « Nous jugeons nos étudiants sur le résultat pur. Pas, comme dans le secondaire, sur leurs efforts. Ils doivent comprendre qu’un consommateur veut une voiture qui fonctionne. Qu’il ne l’achètera pas s’il lui manque le volant ou les roues. »

Un cadre pas forcément reconductible partout. « Avoir ce genre de public, très ouvert à la nouveauté, aux technologies nous aide certainement à être en avance », reconnaît Nicolas Sadirac. « Nos étudiants auront à accomplir des projets réels tout au long de leur cursus, assure de son côté Patrick Molle. Pas de simples exercices, non des projets réels, de véritables études en situation pour des entreprises. » Une approche qu’on peut retrouver dans d’autres écoles de management  adeptes de la pédagogie dite « HEC entrepreneur » (EM Normandie par exemple) mais aussi dans des écoles d’ingénieurs comme l’ECE (lire l’article « Compétences et projets : quand les nouvelles pédagogies s’imposent dans l’enseignement supérieur »).

Remettre la pédagogie au centre du travail des enseignants

Dans les universités comme dans les grandes écoles la place accordée à la pédagogie est de plus en plus importante. Comme le souligne Jean-Luc Vayssière, il faut mettre l’accent sur la « transversalité, le travail par projet et par compétence et le suivi individualisé ». Le tout dans ce qu’il considère comme une carte maîtresse de l’université : le lien étroit que les enseignants entretiennent avec la recherche : « Il faut que ce lien bénéficie à la formation, et soit construit comme un outil pédagogique, et non pas qu’on juxtapose deux domaines sans rapport, enseignement et recherche ».

« Les étudiants veulent tout, tout de suite, et au bon moment » constate Isabelle Barth, directrice générale de l’EM Strasbourg dans un article de Benoît Floc’h sur le blog Le grand amphi. Ce constat elle l’a fait après une étude portant sur ses enseignants et ses étudiants qui démontre que ces derniers considèrent certains cours comme superflus : « Les étudiants n’ont plus besoin d’informations brutes. Ils la trouvent partout ». Résultat, ils sont de plus en plus nombreux à sécher les cours, dont un tiers parce que « l’enseignant est mauvais pédagogue ou qu’il ne maîtrise pas son cours ». Pour remédier cet état de fait, l’école veut mettre en place un nouveau contrat pédagogique avec les enseignants – « L’excellence pédagogique est considérée comme ne faisant pas partie du job d’enseignant-chercheur, regrette la directrice générale – avec un « audit des cours », le tout dans l’objectif de signer ensuite un contrat avec les étudiants.

De nouvelles façons de faire cours

Des bâtiments de l’université Versailles Saint-Quentin

Représentant de la Conférence des présidents d’université (CPU) au salon Educatec, Alain Briard constate comme tous que les « étudiants trouvent la connaissance pure sur le net » et que « l’enseignant doit alors aider à structurer cette information ». Et il pose la question : « A-t-on encore besoin des amphis ? On a juste besoin de salles de travaux dirigés et il faudrait transformer nos établissements en petites salles modulables » (lire aussi « La mort programmée des cours en amphi » sur lemonde.fr). « Nous disons à nos étudiants d’être réactifs alors que les salles sont fixes », regrette également Fabrice Mauleon, qui constate qu’on demande toujours souvent aux élèves d’écouter des cours de 3 heures et de couper leur ordinateur : « Le contraire de ce qu’on leur demande officiellement quand on parle de créativité ».

« Pendant un cours l’attention est croissante durant neuf à dix minutes puis décroit. Au bout de vingt minutes elle est réduite à la moitié de son maximum. Il faut donc un changement dans le cours : un changement de rythme, d’activité, de stratégie pédagogique », explique Stéphane Justeau, qui dirige l’Institut de pédagogie et de soutien à l’enseignement (IPSE) de l’Essca (lire l’entretien complet demain). Il propose donc par exemple aux enseignants d’utiliser des « télévoteurs », des boîtiers interactifs qui permettent de poser des questions aux étudiants. De savoir s’ils ont compris ou pas un élément du cours. Cela permet de faire repartir la courbe de l’attention et de redémarrer un nouveau cycle. Et Jean-François Fiorina de conclure : « Les année à venir vont voir le grand retour de la pédagogie au premier plan ».

Olivier Rollot (@O_Rollot)

  • L’université 2.0 est arrivée : l’exemple de l’UPMC
  • A l’UPMC (Université Pierre et Marie Curie), l’une des toutes premières universités scientifiques françaises, l’utilisation des TICE répondait d’abord à une nécessité face à l’afflux des étudiants en première année de médecine. Tous les cours de première année – et une très grande part en deuxième et troisième – sont ainsi filmés. C’était devenu indispensable puisque le plus grand amphithéâtre comptait seulement 500 places pour 2 500 étudiants en 1e année. Cette année les enseignants-chercheurs en physique de l’UPMC ont choisi de mettre à disposition de leurs étudiants des boitiers réponses pendant les cours magistraux. L’objectif est de mesurer en direct la bonne compréhension par les étudiants des points essentiels de leurs cours.
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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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