ECOLE D’INGÉNIEURS

Polytechnique attaquée par la Cour des Comptes : retour sur le « Système X »

« La gestion de l’Ecole Polytechnique n’est pas satisfaisante », « la gestion des personnels enseignants est trop laxiste », la « diversité excessivement limitée » avec seulement 11% de boursiers et de 11% à 18% de femmes. Voici quelques-unes des remarques assassines que fait la Cour des Comptes dans son rapport publié le 22 juin et consacré à la gestion de l’École Polytechnique (*) mais aussi à son accès plus ou moins ouvert à tous. J’avais posé quelques questions à ce second sujet au général Xavier Michel, directeur général de l’Ecole polytechnique, dans un entretien sur lemonde.fr paru fin 2011. En voici quelques extraits.

Lui-même polytechnicien, le général Xavier Michel dirige l’Ecole polytechnique depuis 2005.

Que pensez-vous du débat récurrent sur la place des grandes écoles et leur opposition supposée au système universitaire ?

Les grandes écoles sont d’abord un système de formation qui fonctionne bien pour des étudiants qui sont au cœur de leur projet. Ensuite, c’est une grande diversité de formations. L’Ecole des chartes, l’Essec ou nous n’avons pas le même objet. Enfin c’est un faux débat quand on veut les opposer aux universités. Nous sommes nous-mêmes très à l’aise pour travailler avec de grandes universités scientifiques.

L’X est perçue comme une école élitiste et vous ne comptez qu’un peu plus de 15% de boursiers. Que faites-vous pour permettre à de plus larges catégories socio-professionnelles d’y accéder.

Cette année, nous comptons 16,8% de boursiers parmi nos élèves. Leur part augmente régulièrement. Je n’aime pas ce terme d’élite et je ne l’emploie jamais auprès de nos étudiants. A 20 ans on a encore à faire ses preuves avant de prétendre faire partie de l’élite. Ce que je constate d’ailleurs c’est qu’ils s’impliquent dans les actions que nous menons, dans le cadre du programme « Une grande école pourquoi pas moi ? », pour favoriser l’entrée dans l’enseignement supérieur de jeunes qui n’y auraient pas pensé sans nous. Attention, nous ne disons pas « viens avec moi tu entreras forcément à Polytechnique » mais nous poussons de bons lycéens à avoir plus d’ambitions. Il y a six ans, quand nous avons commencé le programme, la plupart ne parlaient que de « bac pro et peut-être de BTS ». Aujourd’hui, ils visent médecine ou droit.

Quelles qualités faut-il alors pour intégrer l’École polytechnique, sachant qu’une petite moitié de vos élèves sont enfants d’enseignants?

Notre mission est de former de cadres à la forte culture scientifique pour relever les grands défis que sont l’énergie, le développement durable ou encore l’ingénierie médicale. Entrer dans notre école est donc difficile. Il faut de la rigueur mais aussi de l’humilité. La science est une école d’humilité et nos élèves doivent le comprendre. Au total, le concours n’est pas plus difficile qu’il y a 30 ans et nous sommes, dans le même temps, passés de 300 à 500 élèves. Mais il est vrai que le système éducatif français est de plus en plus marqué par l’attention des familles à la réussite de leurs enfants. Plus que le niveau financier, c’est le niveau socio-culturel des familles qui joue. Dans ce cadre, les enfants d’enseignants bénéficient d’une attention toute particulière.

Plus prosaïquement, n’y a-t-il que la voie des classes prépas pour entrer à l’X ?

L’X accueille des étudiants en master et en doctorat suivant les procédures du système universitaire, indépendamment du cycle ingénieur. Le recrutement ingénieur est déjà une voie assez large car nous recrutons dans huit filières de prépas, dont les TSI auxquels nous donnons des cours supplémentaires pour les remettre à niveau en maths et en physique. Nous effectuons un large recrutement universitaire international correspondant à 70 des 100 à 105 étudiants internationaux accueillis chaque année dans une promotion d’ingénieurs. Nous proposons aussi dix places à des candidats venus de l’université dans le cadre ou non des doubles diplômes que nous proposons avec les universités Paris Sud Orsay, Montpellier et Strasbourg. Nous allons augmenter le nombre de places dès cette année mais il faut aussi mesurer que le nombre de candidats de cette filière est sans commune mesure avec les 5500 qui postulent aux 390 places ouvertes après une prépa.

On a parfois l’impression que si on ne sort pas des lycées Louis-Le-Grand ou Sainte-Geneviève on a aucune chance d’intégrer Polytechnique. Qu’en dites-vous ?

D’abord ce ne sont pas les seuls même s’ils ont effectivement d’excellents résultats. Ensuite, les grands lycées que vous citez recrutent largement les meilleurs élèves dans toute la France. Ce n’est donc pas illogique qu’ils aient d’excellents résultats. Mais cela ne signifie pas pour autant que nous ne recrutons nos élèves qu’à Paris !

On regrette souvent aujourd’hui que les ingénieurs ne soient pas plus des chercheurs et n’aillent pas plus vers le doctorat. Vous possédez des laboratoires parmi les plus performants de France mais vos élèves sont-ils attirés par la recherche ?

Tout à fait et ce sont même 28% de nos diplômés qui poursuivent aujourd’hui leur cursus en doctorat. Nous y incitons tous ceux qui ont envie d’aller au bout de leur curiosité scientifique. De plus, partant étudier de plus en plus dans le monde entier, nos élèves mesurent bien l’apport du doctorat aujourd’hui dans une carrière. Le doctorat s’insère bien dans un parcours professionnel qui mène à l’entreprise. Les 550 doctorants de notre école doctorale trouvent d’ailleurs tous ensuite un emploi.

Vous accueillez beaucoup d’étudiants étrangers mais vos propres étudiants vont-ils aujourd’hui suffisamment à l’étranger pendant leur cursus ?

Effectivement près d’un tiers de nos élèves – 20% dans le cursus ingénieur, la moitié en master et 35% en doctorat – viennent de l’étranger avec notamment de nombreux étudiants chinois mais aussi cambodgiens ou même un Kazakh. Dans l’autre sens, si le séjour à l’étranger n’est pas obligatoire, ce sont 95% de nos élèves qui partent. Ils sont même aujourd’hui pas moins de 150 à suivre toute leur quatrième année d’études hors de France. Il faut absolument aujourd’hui avoir cette exposition internationale.

Alors qu’on parle de plus en plus d’augmenter les frais de scolarité vous rétribuez vos élèves tout au long de leur cursus (**). N’est-ce pas choquant aujourd’hui ?

Je trouve normal que d’excellents élèves qui vont entrer au service de l’Etat que ce soit dans l’administration, l’enseignement ou la recherche soient rétribués. C’est d’ailleurs aussi le cas dans les écoles normales supérieures. Mais les élèves qui quittent le service de l’Etat – environ 70% – doivent rembourser les sommes touchées et nous allons maintenant l’exiger de manière systématique. Par ailleurs, nous nous situons à un niveau de recrutement où les élèves toucheraient quoi qu’il arrive des bourses s’ils allaient étudier dans les universités anglo-saxonnes.

Justement, ce sont aujourd’hui elles vos grandes concurrentes. Comment rester attractif dans une compétition de plus en plus acharnée pour attirer les meilleurs étudiants ?

Nos concurrents s’appellent effectivement aujourd’hui MIT (Massachusetts Institute of Technology), Berkeley, Oxford ou Cambridge. Encore plus près de nous il est intéressant de voir comment la Suisse peut avoir deux universités très compétitives au niveau mondial à Zurich et Lausanne. Comment le cadre de travail qu’elles proposent – et le financement ! – leur permettent d’attirer d’excellents élèves et professeurs. Or nous voyons certains de nos enseignants nous quitter pour partir à l’étranger et nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure de recruter des professeurs séniors au niveau où le font les grandes universités anglo-saxonnes. Il faut le dire : nous ne sommes encore dans une situation optimale pour affronter la concurrence internationale. Pour autant notre réputation auprès de nos homologues est excellente et toutes les universités que je viens de citer demandent et accueillent nos étudiants.

Olivier Rollot (@O_Rollot)

  • (*) Lire aussi à ce sujet mon post de blog sur lemonde.fr
  • (**) De l’ordre de 900 euros par mois en ajoutant solde et indemnité représentative de frais
  • Lire aussi « Parfum de mutinerie à l’école Polytechnique » sur le site de Libération
Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

1 Comment

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Send this to a friend