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Pierre Mathiot redevient directeur de Sciences Po Lille : relire l’entretien de 2015 où il expliquait les raisons de son départ

Directeur de l’institut d’études politiques (IEP) de Lille depuis 2007, Pierre Mathiot a annoncé qu’il renonçait à poursuivre son mandat au-delà de la fin de l’année universitaire 2014-2015, soit 18 mois avant son terme. Il revient sur les raisons d’un départ prématuré qui doit beaucoup à la lassitude d’un homme confronté à un manque criant de moyens.

Olivier Rollot (@O_Rollot) : Pourquoi avez-vous décidé de quitter prématurément la direction de Sciences Po Lille. Lassitude, raisons personnelles ?

Pierre Mathiot : J’ai l’honneur de diriger une école reconnue et attractive mais je crois que l’on n’a pas idée de ce que cela implique au quotidien de diriger un établissement de taille intermédiaire comme Sciences Po Lille. La gestion quotidienne occupe 80% de mon temps. Aujourd’hui la petite lassitude que je ressens vient aussi du rythme de développement que nous avons impulsé depuis 2007. J’ai de plus en plus de mal à tenir le rythme auquel je veux diriger l’école.

J’ai aussi peur de « l’embourgeoisement », du moment où je me dirai « je suis le directeur de Sciences Po Lille » alors que je ne suis pas là pour recevoir la Légion d’honneur mais pour rouler en tête dans le Tourmalet. Enfin, je pense qu’il ne faut pas qu’un établissement soit trop lié à la personnalité de son directeur au point de gêner toute succession : rester 10 ans c’est maximiser ce risque. Je veux travailler tranquillement à ma succession et préparer des dossiers lourds comme notre déménagement en 2016.

O. R : Il y aussi des évolutions du paysage de l’enseignement supérieur qui ne vous semblent pas forcément efficaces, comme la création de Comue (communauté d’universités et d’établissements) de plus de 80 000 étudiants.

P.M : Je suis très interrogatif devant cet effet de mode d’un « big is beautiful » à mon avis d’un autre temps et qui risque de créer des « molochs bureaucratiques ». Quand on est à la tête d’une école de petite taille, on voit bien que la bonne formule c’est plutôt « quick is beautiful », la réactivité, la responsabilité, la proximité aux usagers. Alors que j’ai besoin de temps pour diriger mon école je suis convié à beaucoup de réunions de divers ordres dont on cherche le sens et dont on peine aussi à mesurer les effets concrets. C’est pour cet ensemble de motifs, et aussi pour des raisons personnelles que je ne veux pas évoquer, que je préfère partir 18 mois plus tôt que prévu.

O. R : Votre « lassitude » vient aussi de votre manque de moyens : l’IEP de Lille est le moins bien doté par l’État.

P.M : Nous nous sommes toujours dit que ce n’était pas parce que nous étions mal dotés par l’État qu’il ne fallait rien faire et le rythme des changements a été vraiment intense. Et nous continuons en créant une formation en apprentissage et, en 2015, une  « summer school ». Cela dit moi-même et mon équipe sommes fatigués de constater que nos revendications historiques et légitimes d’un rattrapage de nos moyens vis-à-vis des autres IEP ne sont que très marginalement suivies d’effet. Notre écart de moyens avec Sciences Po Paris reste le même qu’en 2008. On nous a donné cinq postes en deux ans quand il nous en faudrait… 80 pour rattraper notre écart de dotation globale avec, par exemple, Sciences Po Bordeaux dont le budget est de 15 millions d’euros contre 8 millions pour nous alors que nous comptons plus d’étudiants.

Il faut rappeler que nous ne comptons que 24 enseignants chercheurs en poste et que 85% de nos heures de cours sont assurés par des vacataires extérieurs ce qui est une sorte de record et, évidemment, une contrainte énorme pour nous. Je dois constater que, pour nous comme pour d’autres établissements mal dotés, le choix constant de notre tutelle est de ne pas prendre de décisions structurelles mais de préférer le saupoudrage.

Notre exemplarité, et ma fierté, est de faire progresser Sciences Po Lille malgré tout. Et c’est vrai que je suis fatigué de cette non reconnaissance qui, pour moi, doit absolument passer par des moyens supplémentaires. Il ne faut pas oublier aussi le fait que nous sommes dans un environnement de plus en plus concurrentiel, notamment avec l’enseignement privé, et mondialisé. Or, j’ai le sentiment vu du terrain que les textes législatifs et réglementaires renforcent les contraintes qui pèsent sur l’enseignement public sans le faire pour le privé. Je crois que les tensions qui pèsent de plus en plus sur nos finances devraient avoir pour contrepartie  de renforcer notre autonomie et ce n’est pas ce que l’on constate au quotidien.

O. R : Mais comment Sciences Po Lille fait pour s’en sortir et progresser alors ?

P.M : La moitié de nos ressources de fonctionnement nous sont propres aujourd’hui du fait notamment de l’instauration de droits modulés pour nos élèves : ceux dont les parents sont les plus aisés peuvent payer jusqu’à 3200€ par an mais 28% ne payent aucun droits en précisant que les droits moyens s’élèvent à 1.400 euros/an. Par ailleurs 20% des étudiants non boursiers payent même moins qu’avant. Avec les moyens dégagés par ces ressources, nous avons recruté plusieurs personnels contractuels pour mieux remplir nos missions. Mais ce recours sur fonds propres à des contractuels ne compense pas notre sous dotation administrative : nous comptons un personnel pour 47 élèves contre une moyenne de 1 pour 30 en France aujourd’hui.

Nous avons de plus en plus de contractuels, notre financement est de plus en plus privé. Ironiquement j’ai tendance à penser que nous avons sans le vouloir vraiment dix ans d’avance sur les autres établissements d’enseignement supérieur, qui vont maintenant devoir gérer le retrait financier de l’État. Mais nous avons aussi dix ans de retard sur les écoles de management.

O. R : Vous avez été une sorte de « héraut » des IEP ces dernières années dans leur combat pour rattraper leur retard de dotations avec Sciences Po Paris. Logique puisque Lille est aujourd’hui l’IEP le plus demandé après celui de la capitale. Mais pourquoi préférer aller à Lille plutôt que dans un autre IEP ?

P.M : Nous avons su faire évoluer l’école avec des résultats visibles rapidement. Être à un moment donné une sorte de leader de la « contestation » nous a également été profitable. Je pense aussi que nous cherchons à bien respecter l’ADN historique de Sciences Po qui est la pluridisciplinarité. Le modèle Sciences Po est unique car il s’oppose à la segmentation disciplinaire des universités qui, aujourd’hui, le copient en créant des bi-licences et des di-diplômes. A Sciences Po Lille aucune discipline – pas plus l’histoire que la science politique ou l’économie – ne s’impose aux autres.  L’équilibre est maintenu et les étudiants le sentent bien.

Quant à Sciences Po Paris, mon sentiment est que ce n’est plus le premier héritier du modèle que j’évoquais. Sciences Po Paris aujourd’hui incarne plus un modèle économique et une nouvelle forme de business school qu’une institution publique d’enseignement supérieur!

O. R : Vos 1 800 étudiants sont suffisants pour être visibles ?

P.M : Nous sommes l’IEP en région qui compte le plus d’étudiants dans le cycle du diplôme. Pour autant je suis convaincu que la course à la taille est une erreur car notre volonté c’est d’abord d’accompagner personnellement chaque élève et donc de rester situer à hauteur d’homme. Pour notre troisième année à l’étranger nous sommes ceux qui accompagnons le plus nos élèves, en accordant notamment des bourses. J’ai toujours été très attentif à cette proximité et à la disponibilité, je reçois personnellement 300 étudiants par an et je réponds moi-même à mes mails. Cette proximité fait aussi partie de notre modèle.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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