ECOLES DE MANAGEMENT

«Nous pourrions recevoir tous les candidats n’ayant pas abandonné les maths au lycée»: Alain Joyeux (APHEC)

Alain Joyeux (APHEC)

Quels candidats accepter, comment préserver la diversité des profils en CPGE économiques et commerciale, comment toujours recruter de bons élèves en maths pour les Grandes écoles, quid de l’anonymisation des candidatures, les prépas EC se posent beaucoup de questions. Éléments de réponses avec le président de l’APHEC (Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales), Alain Joyeux.

Olivier Rollot : La réforme du lycée et du bac est maintenant lancée. Quelles implications peut-elle avoir pour les classes préparatoires ?

Alain Joyeux : Nous n’avons pas encore d’idée précise. La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, nous a reçus pour évoquer le sujet. La Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) et l’Inspection générale vont donner un avis et piloter le sujet d’ici le printemps.

Les Grandes écoles de management ne sont en tout cas pas demandeuses d’une révolution. Elles sont très satisfaites des profils issus de nos classes préparatoires. Ce qui n’exclut pas les évolutions et ajustements pour se conformer à la réforme du lycée. Avec Alice Guilhon, la présidente du Chapitre des Grandes écoles de management au sein de la Conférence des grandes écoles, nous avons d’ailleurs remis à la ministre un document allant dans ce sens.

Du côté de l’APHEC il y a des limites qu’on ne peut pas dépasser : éventuelles suppressions de postes, mutations forcées, fragilisation des disciplines, mais aussi atteinte à notre vivier de recrutement dans les lycées. Il nous tarde de dialoguer avec nos interlocuteurs de nos deux ministères de tutelle alors que la réforme du bac n’a pas été conçue en pensant aux classes préparatoires.

O. R : C’est la question que se posent beaucoup de parents et de lycéens dès cette année : quelles spécialités faudra-t-il choisir pour intégrer une classe préparatoire économique et commerciale en 2021 ?

A. J : Les conférences représentatives de l’enseignement supérieur et l’APLCPGE (Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux Grandes écoles) viennent de signer une charte pour s’interdire de ne recruter qu’en fonction de certaines spécialités du futur bac. Ainsi un candidat pourrait en théorie postuler dans toutes les filières quelle que soit la spécialité qu’il aurait choisie au lycée.

Notre position est aujourd’hui de dire que nous pourrions recevoir tous les candidats pour peu qu’ils aient suivi au moins une année une spécialité maths en première et terminale. Il n’est pas envisageable d’abandonner les ma thématiques dès la fin de la seconde et d’intégrer ensuite une classe préparatoire EC. Pas plus que de s’inscrire en médecine sans avoir fait des maths et des SVT.

Notre conseil aux lycéens et parents qui s’interrogent en seconde cette année est de choisir une spécialité mathématiques et d’y associer celle qu’ils préfèrent, que ce soit « histoire géographie, géopolitique et sciences politiques », « sciences économiques et sociales » ou même « arts ». Aujourd’hui nous sélectionnons en EC des bacheliers S qui ont suivi des cours de mathématiques à haute dose mais peu d’histoire-géographie et cela ne pose aucun problème. Les Grandes écoles veulent de la diversité et proposeront toujours des épreuves de maths de niveaux différents dans leurs concours.

Quant aux lycéens qui voudraient intégrer une école de management via une CPGE sans avoir suivi du tout de spécialité en mathématiques en première et terminale, ils devraient logiquement passer par une classe préparatoire littéraire et passer ensuite le concours BEL. Les contenus en CPGE littéraires pourraient d’ailleurs être ajustés pour accueillir un plus grand nombre de ce type de public.

O. R : Mais peut-on maintenir deux filières, ECS et ECE, quand il n’y aura plus qu’un seul bac général ?

A. J : Certains candidats n’auront suivi la spécialité maths qu’en première, d’autres en terminale et vice-versa. Dans certains lycées ils auront pu suivre un niveau « maths experts ». Cela devrait permettre aux lycées de continuer à sélectionner les dossiers de façon à maintenir un double profil.

Mais il ne devrait plus y avoir les appellations ECS et ECE. Il devrait y avoir une prépa EC avec des options : soit mathématiques à un niveau élevé et géopolitique, soit mathématiques à un niveau modéré et ESH (économie, sociologie et histoire du monde contemporain). On peut même envisager une modularité en fonction des établissements et de leurs viviers de recrutement pour ne pas figer ces couplages. D’autres contenus peuvent aussi être introduits pour mieux identifier les profils fournis aux écoles. Une possible fin de l’interclassement aux concours pour garantir la diversité et l’équilibre des profils et des options choisies n’est pas taboue même si le sujet reste à débattre entre les écoles.

O. R : Quelle appréciation portez-vous sur cette réforme ? N’est-elle pas un peu précipitée ?

A. J : Le bac actuel était à bout de souffle et une réforme était nécessaire. Nous aurions simplement préféré que la réforme englobe l’enseignement supérieur. Maintenant nous devons nous adapter. Les programmes sont en train d’être publiés et le ministère de l’Education et les formations de spécialité en mathématiques seront plus ambitieuses qu’aujourd’hui. Ce qui répond à une demande que nous faisons depuis longtemps.

Nous espérons surtout que les familles vont être bien informées quant aux types de parcours qui risquent de se recréer avec le choix des spécialités. Il faut absolument éviter de favoriser les trop bien informés vis-à-vis des autres. De toute manière, en CPGE EC, nous serons souples car nous voulons absolument maintenir un large vivier de recrutement. Ainsi, un bachelier qui aurait fait des maths mais ni spécialité HHGGSP ni spécialité SES pourra sans problème candidater dans nos classes et y trouver sa place.

O. R : Avec cette multitude de choix de spécialités, vous allez être amenés à recevoir des profils beaucoup plus hétérogènes. Comment allez-vous procéder pour les amener tous à un niveau comparable pour passer les concours ?

A. J : Comme c’est autorisé depuis 2013, nous aurons certainement à utiliser plus qu’avant les khôlles pour faire des moments de remédiation et d’individualisation. En mathématiques comme dans les autres disciplines d’ailleurs.

O. R : Y aura-t-il des passerelles possibles entre les couplages d’options ?

A. J : On peut éventuellement l’envisager en fin de première année mais ce sera très à la marge car cela voudrait dire que certains n’auraient fait de la géopolitique ou de l’ESH qu’une seule année. Mais ce n’est pas un problème insoluble. Là encore, il nous faudra être souples.

O. R : Autre sujet : Parcoursup. Êtes-vous satisfait des changements qui vont intervenir pour l’édition 2019 ?

A. J : Les nouveaux délais de réponse vont nous permettre d’avoir une visibilité sur nos effectifs dès fin juillet. Il reste un élément que n’a pas tranché le ministre sur l’anonymat des candidatures. Nous sommes pour notre part opposés à ce que l’anonymat aille au-delà du nom du candidat. Nous souhaitons continuer à connaître le genre des candidats pour recruter plus de filles. Cacher le nom du lycée d’origine nous pose un problème car c’est un élément qui permet de bien lire les dossiers.

Nous sommes toujours attentifs à recruter de bons candidats sur tous les territoires. Notamment pour que tous les lycées continuent à informer leurs élèves sur la possibilité d’intégrer une classe préparatoire. Il faut nous faire confiance pour recruter nos élèves ! Même si nous aurons à notre disposition l’avis des professeurs sur le projet d’orientation de leurs élèves, anonymiser le nom des lycées pourrait aller à l’encontre du but recherché. Notre intérêt est en effet de susciter des candidatures en provenance de tous les lycées.

O. R : Une procédure, que le ministère a nommé « répondeur automatique », permettra cette année aux candidats d’être immédiatement orientés dans la filière qu’ils privilégient après la fin des épreuves du bac. Cela répond bien à vos demandes d’avancer les choix des élèves ?

A. J : En 2018 des élèves sont restés pendant des semaines en listes d’attente en classes préparatoires et ont fini par faire d’autres choix pour se rassurer. In fine nous avons des effectifs comparables mais l’attente a été longue. Il sera également utile pour les candidats de savoir jusqu’où les établissements sont allés dans leur liste de candidats en 2018. Nous nous y étions opposés en 2018 car il n’y avait pas d’éléments de comparaison fiables puisque c’était la première année de Parcoursup. Il faut néanmoins éviter tout élément qui pourrait nuire à la confiance des candidats vis-à-vis des établissements qui auraient recruté en 2018 jusqu’au dernier rang. Il sera nécessaire de contextualiser les informations données pour éviter de fausses interprétations.

O. R : À côté de ces nouveautés un autre dossier que l’APHEC porte avance bien. Celui du continuum classes préparatoires / Grandes écoles. Comment allez-vous encore le faire progresser ?

A. J : Nous allons continuer et amplifier notre action. Nous avons d’excellents retours des lycées qui ont créé des périodes d’immersions en entreprises ou en associations en fin de première année. Quant aux écoles, citons Skema, Audencia, Kedge (entre autres), elles font de plus en plus appel à des professeurs de prépas pour donner des cycles de cours.

Nous essayons maintenant de mettre en place pour nos professeurs des journées de formation dans les écoles où interviennent des professionnels et des universitaires. L’EM Normandie a par exemple organisé une journée de formation en management à laquelle ont assisté 30 de nos professeurs. À Rennes SB une journée sera consacrée aux mathématiques. Aux

Data à l’Inseec pour les professeurs d’ECT, etc. Cela permet de réunir professeurs de prépas, de grande école et universitaires sur un même campus. Comme le Festival de géopolitique de Grenoble EM permet à beaucoup de nos professeurs d’intervenir aux côtés de leurs collègues français et étrangers universitaires ou enseignant à l’école

L’autre action que nous avons menée en 2018 a été le lancement du MOOC De la Prépa aux Grandes Écoles de Commerce : le bon parcours pour moi ? avec ESCP Europe et Skema. Il est de plus en plus consulté par des lycéens, étudiants, parents ou professeurs qui veulent en savoir plus sur nos classes préparatoires économiques et commerciales.

Enfin, sur le modèle de Skema à Raleigh, Neoma est en train de monter un partenariat en Chine pour permettre à des étudiants de prépa d’y faire un séjour d’études pendant l’été.

O. R : Décidément les Grandes écoles de management apprécient toujours plus vos élèves !

A. J : Les 70 places supplémentaires qu’ont ouvertes cette année les plus grandes écoles sont une marque de confiance. Pour autant le solde des ouvertures et fermetures de classes préparatoires depuis cinq ans est nul. La volonté des meilleures de recruter plus se fait donc au détriment des écoles plus bas dans les classements. C’est bien dommage alors que certaines

régions restent sous dotées en classes préparatoires et qu’il faudrait irriguer tout le territoire. C’est pourquoi nous demandons absolument que soit étudiée l’ouverture de nouvelles classes, notamment dans les régions sous-dotées. J’ai formulé cette demande directement à la ministre Frédérique Vidal le 18 janvier dernier.

Certes, il reste des places vacantes en CPGE… mais à l’université aussi ! Même dans les universités parisiennes, certaines formations sont remplies à moins de la moitié de leurs capacités.

O. R : A l’avenir les classes préparatoires doivent-elles toujours être seulement une voie d’entrée dans les Grandes écoles ?

A. J : On peut se poser la question. La réforme du lycée ne doit pas aboutir à une réduction de notre vivier de recrutement. Au contraire ! Sur le modèle de PSL (Paris Sciences et Lettres) elles peuvent également permettre d’intégrer des licences et masters sélectifs à l’université. Et pourquoi ne pas ouvrir les admissions sur titre en troisième année des meilleurs bachelors à des élèves de prépa n’ayant pas réussi à intégrer par le concours une Grande école leur convenant. Nous devons réfléchir à un élargissement de nos débouchés.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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