Un Indice de la liberté académique en berne : L’université Friedrich-Alexander d’Erlangen-Nuremberg (Allemagne) publie un « indice de liberté académique », qui suit cinq paramètres dans 179 pays : liberté de recherche et d’enseignement, liberté d’échange et de diffusion universitaires, liberté d’expression académique et culturelle, autonomie institutionnelle des universités et intégrité des campus. La mise à jour 2025 identifie 34 pays et territoires qui ont connu un déclin statistiquement significatif et substantiel de la liberté académique par rapport à il y a dix ans, alors que seuls huit pays ont connu une augmentation de la liberté académique. En notant que, depuis le début du second mandat de Donald Trump, les universités américaines « subissent une pression sans précédent » avec des « menaces sur leur autonomie institutionnelle, notamment des lignes directrices qui sapent les programmes de diversité, d’équité et d’inclusion ».
Aux Etats-Unis la liberté de s’exprimer sur les campus est attaquée sous les coups de boutoir de l’administration Trump. L’étudiant palestinien de l’université Columbia Mahmoud Khalil, l’un des leaders des manifestations étudiantes propalestiniennes sur le campus de Columbia, a ainsi été arrêté par les autorités fédérales. Titulaire d’une « green card », marié à une Américaine qui attend un enfant, le voilà en position d’être expulsé du territoire américain sans avoir même été inculpé d’aucune charge. Il aurait distribué des tracts reprenant certains éléments de langage du Hamas mais sans jamais être en contact avec l’organisation terroriste.
Son cas suscite aujourd’hui des manifestations de soutien et un débat sur la question du « free speech » sur les campus. « Punir sélectivement des individus en fonction de propos jugés nocifs par les autorités gouvernementales, sans violation de la loi, est contraire aux traditions de notre pays et profondément répugnant et offensant. Si tel est le cas, j’espère que l’affaire sera rapidement portée devant les tribunaux et annulée », dénonce ainsi Lawrence Summers, ancien président de Harvard et secrétaire du Trésor du gouvernement américain qui fut par ailleurs très critique envers les manifestations propalestiniennes sur son ancien campus (lire Le Monde). La pression de l’administration Trump semble en tout cas porter ses fruits. L’université Columbia a pris le 13 mars des sanctions à l’encontre de plusieurs étudiants contestataires, « allant de la suspension pluriannuelle à la révocation temporaire de diplômes, en passant par l’expulsion ».
Mais c’est en fait toute l’université Columbia qui est attaquée avec une réduction de 400 millions de dollars de ses subventions fédérales. Elle est en effet accusée « d’inaction face à des actes antisémites » après avoir été au centre des manifestations propalestiniennes au printemps 2024. Les membres de la task force fédérale conjointe de lutte contre l’antisémitisme entendent ainsi « protéger les étudiants juifs en réponse à l’inaction de l’université de Columbia » (lire sur le site du Département de l’éducation américain). Les fonctionnaires fédéraux exigent de l’université qu’elle remanie ses processus disciplinaires et suspende ou expulse certains de ses étudiants propalestiniens d’ici le 20 mars (lire dans HigherEdDive).
Aux côtés de l’emblématique université new-yorkaise ce sont 60 universités qui sont aujourd’hui dans le collimateur de l’administration dont Harvard, UCLA, Johns Hopkins pour n’évoquer que les plus prestigieuses. Des assauts contre l’université américaine qui vont bien au-delà dénonce Lee Bollinger, le président de Columbia pendant vingt ans, dans Chronicle of Higher Education : « Nous assistons à une prise de pouvoir autoritaire par le gouvernement américain. Les personnages présentés comme des gens à imiter, comme Orban et Poutine, montrent que la stratégie est de créer une démocratie illibérale, une démocratie autoritaire ou une démocratie d’hommes forts ».
Diversité, équité, inclusion : trois principes à abattre
Au-delà de la lutte contre l’antisémitisme c’est tout ce qui va dans le sens de la diversité qui est attaqué par l’administration Trump qui a publié deux décrets et une lettre (intitulée the « Dear Colleague letter ») pour montrer comment sa politique évoluait. Dans leurs demandes à l’université Columbia, les représentants de l’administration Trump vont bien au-delà de la lutte contre l’antisémitisme. Ils espèrent « ouvrir une conversation sur des réformes structurelles immédiates et à long terme qui ramèneront Columbia à sa mission originale de recherche innovante et d’excellence académique ». Ils ont ainsi envoyé à la présidente par intérim de Columbia, Katrina Armstrong, neuf changements de politique que l’administration Trump attend de l’université pour qu’elle conserve son financement fédéral. Par exemple, la lettre ordonne à l’université de présenter un plan de « réforme globale des admissions » : « Le plan doit inclure une stratégie de réforme des admissions en premier cycle, du recrutement international et des pratiques d’admission aux études supérieures afin de se conformer à la loi et à la politique fédérales », précise la lettre.
Pour se mettre en conformité avec la nouvelle politique fédérale le principal organisme d’accréditation américain des business schools, l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business), a de son côté publié une mise à jour annuelle de ses critères qui « tient compte de l’environnement juridique et politique entourant l’enseignement supérieur et l’accréditation et recadre les termes qui sont devenus politisés aux États-Unis et dans le monde entier ». Traduisez : la diversité, l’équité et l’inclusion (les fameux « DEI ») ne sont plus prises en compte… Ce qui se traduit par exemple par une terminologie qui passe de « L’école cherche activement à attirer et à retenir des apprenants divers conformément au principe directeur 9 de l’AACSB » à « L’école cherche activement à attirer et à retenir des apprenants ayant des origines, des expériences et des perspectives conformément au principe directeur 9 de l’AACSB ». Signe de l’urgence, si d’ordinaire ces modifications ont lieu en juillet, elles ont été avancées en « raison de l’évolution du climat politique aux États-Unis afin d’atténuer les risques potentiels pour nos écoles et l’AACSB ».
Jusqu’où va la liberté d’expression en France ?
En France comme aux Etats-Unis c’est la question palestinienne qui provoque les tensions dans quelque établissements très politisés dont, au premier chef, les Sciences Po. Des étudiants mobilisés pour la cause palestinienne ont ainsi été délogés ce mardi 19 mars par les forces de l’ordre de locaux de Sciences Po Paris qu’ils occupaient depuis la fin d’après-midi. Depuis des mois le Comité Palestine de Sciences po Strasbourg réclamait la fin du partenariat avec l’université israélienne Reichmann et bloquait les locaux de l’IEP à cet effet. Il a enfin levé son blocage le 10 mars, après la d’un accord sur la création d’un comité d’examen de ce partenariat. Deux illustrations parmi d’autres de ce que Le Monde analyse dans un article où il estime que « si la mobilisation reste cantonnée à une poignée d’établissements et à une minorité de quelques centaines d’étudiants, la guerre à Gaza a affecté une classe d’âge en pleine formation intellectuelle ». « Il est rarissime que des étudiants français se mobilisent pour une cause qui n’est pas nationale. A cette aune, on peut considérer que la mobilisation a été spectaculaire », analyse Pierre Mathiot, l’ancien directeur de Sciences Po Lille. Une mobilisation forte mais finalement assez limitée aux bastions universitaires de l’extrême gauche et aux instituts d’études politiques.
Avant son départ du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Patrick Hetzel avait justement lancé une mission dédiée à la « sécurité et à la sérénité au sein des établissements publics d’enseignement supérieur » confiée à Khaled Bouabdallah, recteur délégué pour l’enseignement supérieur, et Pierre-Arnaud Cresson, spécialiste des questions de sécurité, de contrôle interne et de gouvernance. La mission confiée par le ministre devait permettre de répondre aux objectifs suivants :
- évaluer la pertinence des outils juridiques et des pratiques existantes et formuler des recommandations pour leur amélioration ;
- élaborer un cadre permettant aux établissements de développer des stratégies internes en matière de sécurité et de sérénité ;
- proposer un processus disciplinaire adapté à la diversité accrue des actes constatés.
Le débat est également vif sur la question de la latitudes qu’a un établissement d’enseignement supérieur à s’exprimer sur les événements politiques. Une question qui taraude forcément particulièrement la direction de Sciences Po qui a adopté, par un vote au Conseil de l’Institut et au Conseil d’administration de la FNSP les 11 et 12 mars, une « doctrine relative à son positionnement institutionnel sur les sujets politiques et les conflits géopolitiques majeurs ». En substance Sciences Po se dote d’un principe général de « réserve institutionnelle ». En « recentrant ses prises de position sur les sujets qui concernent sa mission et ses activités d’établissement d’enseignement supérieur, elle entend assurer le pluralisme des opinions au sein de l’institution ainsi que la liberté d’expression et la liberté académique de tous ses membres ». Le principe de réserve ne s’en distingue de celui de « neutralité » et n’implique pas le désengagement de l’institution de tout débat public. En témoigne par exemple le récent soutien de Sciences Po au mouvement Stand Up for Science dans le cadre de la défense de la liberté académique. Equilibre, équilibre…