Toute la filière s’inquiète : à fin mars 2025, 57 500 contrats d’apprentissage ont commencé depuis le début de l’année soit une baisse de 6% sur un an selon les données de la Dares publiées le 28 mai. Une baisse conséquence des limites de financement successives qui ont eu lieu ? Pour autant à la fin mars 2025, plus de 1 million de jeunes suivent une formation en contrat d’apprentissage, soit un effectif en hausse de 2,4 % par rapport à fin mars 2024. Mais quel avenir pour l’apprentissage alors qu’un un nouveau décret est entré en vigueur le 1er juillet pour réformer le financement de l’apprentissage ? En 2026 de nouvelles modalités de fixation des niveaux de prise en charge (NPEC) devraient être fixées. Autant de sujets traités lors de la passionnante Grande journée de l’apprentissage de Centre Inffo qui a eu lieu le 24 juin dernier et sur laquelle nous revenons largement ici. Et justement la DEPP publie une note L’apprentissage au 31 décembre 2024 qui fait le point sur son développement.
En résumé à partir du 1er juillet 2025 sont entrés en vigueurs :
- la minoration des niveaux de prise en charge pour les formations de plus de 80% en distanciel ;
- la participation obligatoire des employeurs de 750 euros pour les bac +3 et plus ;
- la proratisation journalière des niveaux de prise en charge en fonction de la durée de formation ;
- le dernier versement par les OPCO aux CFA passe de 30 % à 20 % ; 10 % restants en réserve pour éviter les trop-perçus
Et en 2026 on pourrait assister à :
- une modulation des financements par les branches +/- 20 % (priorisation des formations par les branches) ;
- un plafonnement des niveaux de prise en charge à12 000 euros par an et par contrat pour les niveaux 5, 6 et 7 :
- un seul niveau de prise en charge par certification ;
- un renforcement de la lutte contre la fraude ;
- la régulation des certifications professionnelles, r renforcement des critères Qualiopi, révision des prérogatives des services régionaux de contrôle (rattachés aux Dreets, les SRC pourront suspendre une déclaration d’activité en cas de suspicion de fraude, voire exiger une nouvelle déclaration pour rouvrir un CFA).
Un processus de « maitrise de la trajectoire ». « Esprit de 2018 es-tu encore là ? » s’interroge Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques formation de Centre Inffo en ouverture de la Grande journée de l’apprentissage. Un juriste qui estime que la réforme de 2018 a conduit à une « libéralisation en trompe l’œil » : « Qui est le client en matière d’apprentissage censé fixer le prix du CFA ? L’entreprise ? Mais c’est un client désengagé qui ne négocie que les NPEC. Quant à l’Opco c’est un simple tiers payant. De même la branche. Enfin l’apprenti est un usager qui ne choisit jamais son CFA en fonction du prix. Qu’est ce qui peut changer maintenant ? Le CFA va bien devoir expliquer ses NPEC au client qu’est l’entreprise ». Bruno Coquet, économiste, président de UNO – Études & Conseil, et chercheur associé à l’OFCE, spécialiste des questions d’apprentissage, lui répond : « Quand c’est gratuit pour les entreprises comme pour les apprentis on ne se régule pas. Avec des aides à l’embauche qui représentaient le coût total nous étions sur un marché sans prix hors reste à charge ».
« Nous avons progressé à nouveau sur les flux d’apprentis en 2024, avec plus d’un million de contrats en stock, et nous continuons aujourd’hui les mesures de maitrise de la trajectoire des comptes qui ont déjà été entreprises », rappelle Stéphane Remy, sous-directeurdes politiques de formation et du contrôle à la DGEFP (Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle). « C’est une minoration de plus mais on entend une petite musique sur la place de l’enseignement supérieur dans l’apprentissage. Sera-t-il financé à terme ? », s’interroge Arnaud Brize, expert du droit à l’apprentissage au sein du Cesi, auquel Stéphane Remy répond que « l’enseignement supérieur est un moteur de l’apprentissage et que les aides aux employeurs ont été confirmées quel que soit le niveau ».
Avec quelles conséquences ? L’enseignement supérieur est particulièrement touché par des mesures de rigueur qui semblent s’ajouter constamment les unes aux autres, mettant en cause son activité même. « Après avoir créé un dispositif vertueux, l’État est en train de freiner progressivement les investissements dans l’apprentissage, en jouant en même temps sur de nombreux leviers, ce qui entraîne beaucoup de complexité et ne va pas vraiment dans le sens de la simplification nécessaire », regrette José Milano, président exécutif du groupe Omnes Education, qui demande à « préserver ce dispositif d’insertion professionnelle et qui apporte une ascension sociale et une diversité croissante de profils d’apprenants au sein des entreprises. Mobilisons-nous plutôt pour pérenniser une politique d’apprentissage, reposant sur un modèle de qualité et soutenable pour les finances publiques ».
Alors que 75% de ses étudiants suivent leur cursus en apprentissage, Jonathan Azoulay, président du groupe Skolae, « comprend qu’il faille réguler le système, notamment avec la notion d’agrément des formations admises sur Parcoursup. Il y a également une régulation sur les coûts à envisager. Aujourd’hui nous devons composer avec 500 000 prix de formation différents selon les branches et qui devraient passer d’ici 1 an à 3500 ce qui est une première étape mais pas suffisant ».
Dans un post sur Linkedin, l’Association des apprentis de France (Anaf) s’inquiète : « A l’été 2025, ce jeune découvre qu’il ne parvient pas à signer de contrat. Pourquoi ? Parce que la contribution désormais demandée aux employeurs représente un frein significatif, notamment pour les associations, les structures de petite taille ou les secteurs les moins solvables ».
Faut-il faire payer les apprentis ?. C’est un tabou mais est-il juste que les apprentis ne participent en rien financièrement à leur scolarité ? Jonathan Azoulay appelle à « responsabiliser l’apprenant ! Il faudrait donc réfléchir à ce que les apprenants payent une partie de leur formation, par exemple au niveau d’une année à l’université, voire 300€ ou 400€ par an en fonction du niveau d’études. Une somme forfaitaire minime car rien n’est gratuit ». Et de stigmatiser l’attitude de certains apprentis : « Quand on ne paye rien on ne se rend pas compte, on s’inscrit dans dix formations différentes. Résultat : le jour de la rentrée nous ne savons pas encore qui sera présent ou pas. Et ensuite quand on a trois mois pour trouver un contrat et encore six mois en cas de rupture certains profitent du système. Certains sont en contrat un an et demi puis se mettent au chômage. La possibilité d’avoir six mois pour retrouver un contrat est une bonne chose mais il y a des abus ».
José Milano le rejoint sur cette question : « Il pourrait y avoir des frais de scolarité qui équivalent à ceux de l’université pour les non boursiers, dans une logique de responsabilisation et de contribution partielle au coût réel de la formation en apprentissage, qui est aujourd’hui entièrement financé par l’État et les entreprises ».
Autre interrogation du côté des CFA à distance, représentés par Olivier Marquet, dirigeant du CFA Ascor, qui craint que la baisse de 20% des financements lorsque les formations d’un CFA sont dispensées au moins à 80% à distance « conduise forcément les CFA à distance dans le rouge ». Une crainte à laquelle Stéphane Remy répond que les CFA à distance n’ont pas tous les mêmes niveaux de charges notamment quand ils « n’ont pas de plateau technique ».
« Nous n’avons pas assez démontré la structure de nos coûts et sa complexité pour produire un enseignement de qualité », regretteOlivier Marquet qui demande la « suspension d’un décret basé sur une prétendue marge de 25% des CFA à distance ». Une dérogation n’en sera pas moins possible dès lors que France Compétences le décide. Une liste sera publiée au plus tard le 30 novembre 2025. L’association EdTech France a en en tout cas engagé un recours devant le Conseil d’État contre le texte.
Bac+3 et plus : la nouvelle participation des entreprises. Depuis le 1er juillet les entreprises doivent participer à hauteur de 750€ aux nouveaux contrats de niveau bac+3 et plus. Une participation obligatoire (dite de « reste à charge réglementaire ») mais que les CFA ne sont pas obligés de recouvrir même s’ils ont à produire une facture qui donnerait sans doute lieu à un contentieux avec les Opco en cas de non-paiement. Une sorte de « ticket modérateur » en fait sachant qu’une autre facture doit être produite par les CFA pour le reste à charge. En cas de rupture anticipée le nouvel employeur n’aura à verser que 200€. « En droit commercial, une facture repose sur une prestation de service individualisée. Or ici, on parle d’un montant forfaitaire, imposé par la loi et fixé par décret, sans prestation clairement identifiée. Est-ce encore une opération commerciale ? Ou une contribution d’un autre genre ? En tout cas, la notion de « facture » semble ici… hors sujet », remarque encore Fouzi Fethi sur son compte Linkedin toujours très bien informé.
« 100% quasiment de nos parcours ont déjà des restes à charge entre 20 et 30% du montant des contrats qui correspond à nos coûts pédagogiques », spécifie Arnaud Brize qui estime qu’« aujourd’hui l’entreprise va voir les nouveaux 750€ comme une augmentation de nos coûts. Allons-nous devoir baisser nos restes à charge existants pour compenser cette hausse ? In fine c’est le CFA qui va supporter cette augmentation ». « Il faut changer la relation pour que l’entreprise regarde à deux fois la relation qu’elle veut avoir avec le CFA », remarque Thierry Teboul, président du GIE D²OF (Data-Dock) et directeur général de l’Afdas.
Apprentissage et enseignement supérieur : les chiffres. En 2024, alors que les effectifs d’apprentis ont augmenté de 2,8 % la hausse est de 3,5% dans l’enseignement supérieur. Ce sont aujourd’hui 62,7% des apprentis qui suivent leur formation dans l’enseignement supérieur, soit 657 900, selon la note L’apprentissage au 31 décembre 2024 de la DEPP.
Dans le détail :
- les effectifs d’apprentis de niveau 5 augmentent, mais à un rythme modéré par rapport à celui de l’an passé (+ 0,8% contre + 8,7% en 2023). Cela s’explique notamment par la diminution des effectifs en BTS (- 1,2%), qui regroupe 80% des effectifs de ce niveau ;
- en revanche le nombre d’apprentis de niveau 6 augmente de 3,8%, porté par la hausse des effectifs préparant un Bachelor universitaire de technologie (BUT) (+ 3%) ;
- à l’inverse, les effectifs d’apprentis préparant une licence reculent (- 1,9%) en lien avec l’intégration de la licence professionnelle dans le cursus BUT ;
- enfin les effectifs d’apprentis de niveaux 7 et 8, qui regroupent notamment les masters et les diplômes d’ingénieurs, progressent de 5,8% et représentent 253 300 apprentis en 2024 soit un quart de l’effectif total.
La part des filles augmente en fonction du niveau du diplôme préparé, passant de 30,3% au niveau 3 à 50,3% aux niveaux 7 et 8.
Les apprentis sont formés dans 8 200 sites de formation et 3 000 formations différents dont 73,6 % relèvent du supérieur et 52,4 % du domaine des services. Alors que quatre CFA sur dix (41 %) proposent à la fois des formations du supérieur et du secondaire, 33% ne dispensent que des formations du supérieur et 26 % uniquement du secondaire.
Quels nouveaux contrôles qualité ? Des modifications substantielles du référentiel Qualiopi devraient intervenir dans les mois à venir, notamment pour les CFA, alors que le texte législatif spécifique consacré à l’enseignement supérieur lucratif devrait avoir une part consacrée à l’apprentissage. Aujourd’hui les Opco exercent déjà un triple contrôle lors du dépôt du contrat d’apprentissage, du service fait et de la qualité de la formation : Qualiopi certifie des processus, les Opco contrôlent qu’ils sont appliqués. « Nous entendions souvent que le contrôle Qualiopi et celui du GIE D²OF étaient trop proches et nous avons adapté un nouveau référentiel cette année quitte à que chaque Opco ait ses propres sanctions et son propre contrôle de service fait après le nôtre », explique Thierry Teboul.
De même France Compétences va contrôler, à partir du 1er octobre 2025 pour les formations au RNCP, d’une part la « réalité des moyens techniques, pédagogiques et d’encadrement mis en œuvre pour la réalisation des actions de formation », de l’autre « l’adéquation d’actions avec les référentiels d’activités et de compétence de la certification professionnelle concernée ». « C’est un changement de paradigme. On passe à une logique de résultat plutôt que de moyens qui va changer notre travail, notamment sur les données d’insertion de l’ensemble des titulaires sur quatre ans plutôt que deux ans aujourd’hui », établit Stéphane Lardy, directeur général de France Compétences.
Quels nouveaux niveaux de prise en charge ? A la rentrée 2026 devraient être fixés de nouveaux NPEC. « Il y a un objectif de convergences des 3 500 qualifications éligibles à l’apprentissage que les branches ont déjà rapproché. Il faudra un véhicule législatif car cette convergence n’est pas dans la loi actuelle. La procédure sera donc plus simple pour les CPNE (commissions paritaires nationales de l’emploi) », commente Stéphane Lardy. Les certifications vont être regroupées pour trouver des valeurs de référence à partir notamment du ROME 4.0. Dans ce nouveau cadre les branches professionnelles devront assurer la soutenabilité de leur effort de formation en rapport avec le montant fixé pour chaque qualification dans une variation de plus ou moins 20% maximum.
« Pour notre part nous avons défini nos critères de priorité selon les besoins en formation, le modèle économique des CFA ou encore les niveaux de formation, le tout débouchant sur un tableau de financement des 1 600 formations. Là on nous demande de mettre au point une nouvelle méthodologie basée sur plusieurs branches ce qui est la négation même des politiques de branche », regrette David Derré, directeur emploi-formation de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Une négation que réfute Stéphane Lardy qui rappelle qu’il y « avait déjà une valeur pivot avec une procédure beaucoup plus longue ». En résumé tout change tout le temps pour l’apprentissage et ce n’est pas prêt de s’arrêter…