Il a dix ans lorsqu’il arrive en France pour rejoindre son père qui avait quitté l’Algérie, comme tant d’autres, quelques années après l’indépendance, pour trouver un travail et permettre à ses enfants d’avoir une bonne éducation. El Mouhoub Mouhoud est né en Algérie, dans un village de Kabylie, où la valeur première était le savoir. « Dès mon plus jeune âge je savais que le savoir et la transmission étaient la priorité aux yeux de mes parents, qui n’avaient pas eu la chance d’accéder à l’école, absente dans les zones rurales durant la période coloniale », se souvient le président de l’Université Paris Dauphine – PSL. Et de citer l’ethnologue Germaine Tillion dans son livre « Algérie 1957 » : « les colons ont brillé par leur absence !». Et il admire toujours avec émotion son père qui, après son travail chez Renault, a suivi des cours tous les soirs durant trois ans pour « obtenir son certificat d’études avant de faire venir ses enfants près de lui, et être en mesure de lire leurs bulletins scolaires ».
- Portrait publié pour la première fois en septembre 2022
Tout de suite passionné par les études
L’histoire d’El Mouhoub Mouhoud c’est aussi celle d’un élève passionné par les études. A l’âge de six ans, scolarisé à Alger à l’occasion d’une première émigration, il savait lire, écrire et compter après avoir reçu l’enseignement d’un oncle « qui avait seulement cinq ans de plus que nous et jouait à nous donner des cours ». Il fallait aussi jongler entre trois langues, l’Amazigh (Kabyle) à la maison, l’arabe dialectal à l’extérieur entre les enfants et l’arabe littéral à l’école avant de découvrir le français.
Au début des années 1970, arrivé en plein milieu d’année dans la région parisienne, El Mouhoub Mouhoud entre en CM1 : « Les préjugés du directeur de l’école sont tels qu’on me place au fond de la classe alors que j’étais bon élève en Algérie… Mais ce fut aussi ma chance puisque je me retrouvai assis à côté d’un camarade, fils d’immigrés néerlandais, qui me donne les codes de l’école ». Et surtout il l’aide à bien parler français. Doué, il se perfectionne vite : « Au retour des vacances d’été je maitrisais complétement le français ».
Son père lui achète un dictionnaire Larousse, qu’il « lit entièrement », puis un ami de son père lui déniche des collections entières de livres, livrés par cartons. « J’ai commencé par lire les romans de la Comtesse de Ségur. Heureusement plus tard mon père a également reçu la collection complète des œuvres de Jules Verne. Puis Jack London, etc. ». Autant de livres qu’il partageait avec ses sœurs dans un foyer où on dine tous les soirs à 19 h « pour se parler, dixit le père » et où le goût de l’effort est enseigné : « Il faut travailler pour découvrir ses passions ! ».
Du lycée au doctorat
Au lycée Guillaume-Budé de Limeil-Brévannes dans le Val de Marne, El Mouhoub Mouhoud a la chance de rencontrer une professeure agrégée de lettres, Jeanine Garson, qui lui apprend à aimer la culture, le théâtre, la poésie : « Une période exceptionnelle avec des enseignants dévoués qui repéraient vos potentiels et vous guidaient sur les chemins à prendre ». Par « passion pour l’économie », il choisit la terminale B (ES) après une seconde et une première scientifiques : « Je voulais comprendre le monde, les inégalités entre les gens mais aussi entre les pays. Pourquoi certains pays sont plus développés que d’autres… »
Son bac en poche, il entre à l’université, à Paris 1 Panthéon-Sorbonne : « Je n’avais pas l’idée d’entrer en classe préparatoire. Comme objectif nous ne connaissions que l’université et le doctorat ». Il y réussit un excellent cursus à l’université de Paris I Sorbonne, de la première année au doctorat en passant par un DEA (diplôme d’études approfondies, l’ancêtre des masters) d’économie internationale en même temps que des études à l’INALCO : « Nous étions une jeunesse optimiste, persuadés que la vie serait toujours meilleure ». S’il hésite un moment à entrer à Sciences Po c’est très logiquement qu’il poursuit son cursus en doctorat. « C’est à ce moment-là que je commence à me demander comment je vais pouvoir publier dans des revues de recherche avec un nom aussi compliqué que le mien ! », s’exclame-t-il.
Sans bourse de recherche car non encore naturalisé français à ce moment-là (il faudra attendre 1992 pour autoriser l’accès des doctorants de nationalité étrangère), il a la chance d’être recruté comme chercheur par un institut de recherches économiques et sociales (IRES) : « J’ai pu vraiment m’y consacrer à écrire ma thèse effectuée toujours à l’université de Paris 1 ». Très en phase avec les préoccupations actuelles, sa thèse, pionnière, porte sur les effets du changement technique sur la dynamique des avantages comparatifs et la fragmentation internationale des chaines de valeur : « J’ai essayé de comprendre comment un pays perd peu à peu ses avantages comparatifs mais peut aussi les récupérer, les reconquérir, par l’innovation technologique et les transformations techniques. Les relocalisations sont alors possibles grâce à l’avance technologique ».
De l’entrée dans la carrière à Dauphine
Docteur en sciences économique, titulaire d’une HDR (habilitation à diriger les recherches) puis agrégé en sciences économiques, El Mouhoub Mouhoud va occuper son premier poste, à l’université Paris 1 où il devient maître de conférence pour enseigner dans la nouvelle université d’Évry, nouvellement crée sous la tutelle de Paris 1. Après le concours d’agrégation d’économie où il est reçu en 1994, il devient professeur des universités à l’université de Bretagne Occidentale avant de revenir très vite à Evry. L’année suivante, parallèlement, il entre comme Conseiller scientifique au Commissariat général du plan, le futur France Stratégies. « Mes compétences sur les questions industrielles avaient convaincu le Commissaire au plan, Jean-Baptiste de Foucault et j’y ai passé plus de dix ans. »
Une période au cours de laquelle il sera successivement professeur à Evry, et Paris 13 Villetaneuse où il crée et dirige le centre d’économie et laboratoire CNRS de Paris Nord pendant 8 ans. « En 2006 enfin je pose mes valises à Dauphine. Je suis à la fois triste de quitter Paris 13 et heureux d’y diriger la mention de master « Affaires Internationales et Développement » et le Master 212 Affaires Internationales.
El Mouhoub Mouhoud s’intéresse également aux programmes économiques des candidats aux présidentielles et signera l’appel des économistes de soutien à François Hollande : « Je suis extrêmement reconnaissant à mes parents pour ce qu’ils ont fait, leur exemplarité. Je conserve au fond de moi cette volonté de contribuer à réduire les inégalités sociales ». Et s’il travaille beaucoup c’est qu’il considère avoir la chance d’être « payé à réfléchir » : « Je fais un métier formidable. C’est ce que je répondais à mes enfants quand ils me demandaient « pourquoi je travaillais tout le temps, même tard la nuit ? ».
Chercheur reconnu dans le monde
Avec d’autres collègues économistes El Mouhoub Mouhoud continue toutes ces années à publier des articles sur les questions économiques internationales, les effets de la mondialisation, la compétitivité industrielle des territoires, les chocs de délocalisation qu’ils subissent : « les politiques publiques interviennent après ces chocs et c’est trop tard. La mobilité du travail inter-régionale et internationale est simple pour les plus qualifiés, qui possèdent des réseaux internationaux, mais la mobilité des personnes moins qualifiées est très faible ».
Ses travaux, comme ceux qu’il mène sur les relations euro-méditerranéennes, sont reconnus dans le monde entier. Depuis 2000, El Mouhoub Mouhoud aura ainsi été professeur visitant à National Seoul University, université de Fudan (Shanghai), New School for Social Research de New York, Université nationale de Bogota, Université de Princeton, … : « Un enseignant-chercheur qui produit de la recherche de qualité est forcément mondialisé. Il faut absolument se confronter à ses pairs au-delà des frontières françaises ». Très internationale, l’Université Paris Dauphine-PSL favorise la mobilité internationale de ses étudiants (75 % des étudiants de License font un semestre en mobilité à l’étranger), de ses doctorants et post doctorants et de ses enseignants chercheurs. Le campus de Dauphine à Londres, qui vient d’être accrédité par l’Office for students à égalité avec les établissements britanniques d’enseignement supérieur, permet d’amplifier l’attractivité des étudiants de tous les continents directement vers ce campus. Sa stratégie est aussi de faire du campus de Dauphine à Tunis un hub de mobilité régionale avec l’Afrique subsaharienne et entre l’Est et le Sud de la Méditerranée.
Une mondialisation que l’invasion russe en Ukraine est venue percuter : « Nous avons tout de suite condamné l’invasion et suspendu nos accords avec les universités russes ». De plus Dauphine prend totalement en charge des dizaines d’étudiants ukrainiens pour leur permettre d’accéder aux formations dès la rentrée 2022 mais aussi de les accueillir dans le cadre du diplôme d’université « Passerelles » mis en place il y a quelques années. « Nous activons également les dispositifs du programme PAUSE (*) pour favoriser la venue de professeurs et de doctorants ukrainiens comme nous le faisons de tous les pays en guerre. »
La prise progressive de responsabilités
Si El Mouhoub Mouhoud a été élu à la tête de son université en 2020, c’est après y avoir progressivement pris de plus en plus de responsabilités. D’abord celle du master Affaires internationales et Développement, qu’il a développé en créant sept parcours différents qui vont de la logistique aux affaires internationales en passant par le développement durable. « En 2012 j’ai co-créé le master Conflict Transformation and Peace Studies en y faisant travailler ensemble des informaticiens comme des logisticiens ou encore des spécialistes en science politique. Avoir autant de laboratoires de recherche dans toutes ces disciplines c’est la grande chance de Dauphine. ». Plus que jamais d’actualité, ce master vise à « former à la prévention de la violence, la construction de la paix, la gestion des situations critiques et la résolution des conflits ». Adepte de l’hybridation des compétences, plus exactement d’une bi-spécialisation des compétences, sans les diluer dans une pluridisciplinarité superficielle. El Mouhoub Mouhoud entend ainsi former des étudiants « maîtrisant à la fois les data et les recherches opérationnelles et les fondamentaux des relations internationales, de droit et de sciences humaines pour élaborer des schémas de recherche internationale ».
Cette créativité pédagogique l’amène à devenir vice-président en charge des enseignants-chercheur dans l’équipe de la présidente Isabelle Huault. Le départ de cette dernière pour la direction de l’emlyon business school le prend un temps de court : « Je pensais effectuer un seul mandat de VP et j’envisageais ensuite d’entrer en délégation au CNRS et d’aller beaucoup à Princeton ». Sollicité par ses collègues, il décide finalement de se présenter à la présidence de l’Université Paris Dauphine – PSL où sa liste et son programme « Demain Dauphine » sont largement élus avec 75% des voix et une participation record de 96% : « Pour diriger une université de recherche comme Dauphine, il faut être reconnu comme enseignant-chercheur ». Et un programme : « Nous avons adopté une stratégie offensive en nous projetant à 2030 pour construire l’université dont nous rêvons ».
Une université à la pointe en termes de recherche et de formation
El Mouhoub Mouhoud est fier de diriger une université à la pointe en termes de recherche et de formation (plus de 9 étudiants sur 10 sont en emploi dans un délai de deux semaines selon la dernière enquête de la Conférence des Grandes écoles) le point clé de sa stratégie réside dans l’offre de doubles compétences, de la licence au doctorat en interne mais aussi grâce aux liens intenses qu’il a commencé à tisser avec les autres établissements de PSL. « Je suis convaincu par exemple que le monde socio-économique aurait tout à gagner à bénéficier de diplômés formés à une double compétence comme ceux qui suivront la double licence de Dauphine en Intelligence artificielle et en sciences des organisations qui s’ouvre à la rentrée 2022 ou encore le projet de double master ingénieur/managers entre l’école des Mines et Dauphine au sein de PSL. ».
Dauphine vient de lancer des doctorats bi-disciplinaires, avec la création ex nihilo de quatre thèses binômées, qui associent deux doctorantes ou doctorants travaillant sur un même sujet et un directeur de thèse, chacun dans sa discipline, dans le cadre d’une chaire, en l’occurrence le Cercle Numérique. « Une innovation extrêmement fertilisante pour la recherche et le croisement des savoirs, le risque de la pluridisciplinarité étant porté par l’institution et non par le doctorant. »
Plus généralement, El Mouhoub Mouhoud plaide pour que « La France investisse encore plus massivement dans la recherche, sur les deux cœurs du réacteur des universités : c’est-à-dire la formation des étudiants d’une part, et la rémunération des enseignants-chercheurs d’autre part. Les écarts de rémunération sont de un à trois avec la Suisse, le Royaume Uni et d’autres pays européens, sans parler des Etats-Unis ». Si la Loi de la programmation de la recherche présente des avancées notables, il faut davantage investir dans ce cœur de l’université et pas seulement à côté ».
Il insiste également sur la nécessité d’augmenter la dotation des étudiants : « Nous vivons toujours une situation de sous-investissement massif dans l’enseignement supérieur. Or les travaux des économistes montrent à quel point c’est un investissement rentable ! »
(*) Le programme PAUSE permet l’accueil de scientifiques et d’artistes en exil dans des établissements d’enseignement supérieur et/ou de recherche et des institutions culturelles en France.
Un parcours exceptionnel d’un homme, qui grâce à l’attention d’une famille, est devenu une référence. Grand bravo à vous et aux votres