ECOLES DE MANAGEMENT, PORTRAIT / ENTRETIENS

Comment se forge un destin ? : Fouziya Bouzerda, directrice générale de Grenoble EM

Comment se forge un destin ? Directrice générale de Grenoble EM depuis bientôt deux ans, Fouziya Bouzerda a eu auparavant toute une vie loin des écoles de management. Avocate, adjointe au maire de Lyon, présidente de l’organisme en charge transports lyonnais, les quatre vies d’une directrice pas comme les autres.

« Quels moments ont plus particulièrement marqué ma vie ? Il y en a au moins trois ! Tout d’abord, dès mon plus jeune âge, la volonté de devenir avocate. ». Issue d’un milieu modeste d’origine algérienne, Fouziya Bouzerda comprend très jeune qu’il lui faut être une excellente élève pour « être respectée, s’épanouir, gagner sa liberté » : « J’avais l’impression que mes parents étaient moins bien traités que d’autres. Devenir avocate offrait ainsi une excellente opportunité de me défendre et de défendre les autres, tout en luttant contre l’injustice sociale que j’ai connue et en soutenant l’émancipation des autres face au déterminisme social ».

Sa formation d’avocate

Élevée dans un quartier populaire de Lyon, Gerland, dans une cité que les habitants surnomment le « ghetto », elle ne regrette pourtant rien de son enfance – « Il régnait une solidarité très forte entre les habitants » – et s’appuie sur son niveau scolaire – « Quand vous êtes une excellente élève les professeurs vous accompagnent » – pour ne plus subir l’injustice sociale. Suivent donc des années de formation qui la conduisent à l’université Lyon 3 où elle obtient deux DEA (diplôme d’études approfondies) en droit privé et en sciences criminelles : « J’avais choisi des DEA d’excellence qui comportaient plus de professeurs que d’étudiants. J’y ai bénéficié de la très bonne qualité des enseignants qui m’ont toujours soutenue alors qu’entrait en vigueur le nouveau code pénal ». Mais Lyon 3 est aussi une université marquée à l’extrême droite à l’époque et, comme s’en souvient Fouziya Bouzerda, « Des tags GUD étaient très présents alors que l’université était étiquetée révisionniste ».

Parallèlement, en tant qu’étudiante celle-ci doit travailler pour financer son cursus : « J’ai fait de la vente à mi-temps et quand j’allais au bal de la faculté de droit c’était pour tenir le vestiaire, pas pour danser ! Ce sont des expériences qui forgent le caractère ! ». Elle se révèle alors également écrivain public dans son quartier : « J’ai toujours eu cette capacité à m’investir beaucoup avec la volonté d’aider les autres, une personnalité certainement influencée par mon rôle de sœur aînée de la famille ».

 Avocate au barreau de Lyon 

Nous sommes en 1997. Une fois diplômée, Fouziya Bouzerda passe l’examen du barreau et devient tout naturellement avocate à Lyon : « Je me souviens avoir entendu « Bouzerda ? Cela risque de faire fuir le client » ». Suivent quatre ans de pratique au sein d’un cabinet au bout desquels elle tombe enceinte : « Alors que j’approchais des neuf mois de grossesse, mon patron m’a annoncé qu’il me licenciait parce que j’étais enceinte ! Aujourd’hui ce serait pénalement répréhensible ! C’est à ce moment-là que je prends ma deuxième grande décision : je ne travaillerai plus jamais pour un patron ! »

Toute jeune mère – elle le sera de nouveau en 2006 -, Fouziya Bouzerda crée donc en 2002 son propre cabinet d’avocats spécialisé dans le droit immobilier et le droit public des affaires. L’urbanisme est en effet une spécialité qui l’a particulièrement intéressée, surtout après avoir rédigé l’un de ses deux mémoires de DEA sur le « Droit pénal de l’urbanisme » et effectué un stage à la chambre de l’urbanisme du tribunal administratif de Lyon pendant sa formation d’avocat : « Avec le soutien d’un magistrat, je me suis plongée dans le sujet et ai rédigé des jugements sur ce secteur à la fois très technique et très prometteur ». Un sujet qu’elle enseignera d’ailleurs longtemps à l’université Lyon 3, mais qu’elle abandonnera à son entrée en politique faute de pouvoir concilier ses mandats avec ses obligations d’enseignante.
Elle y fait une entrée remarquée en traitant rapidement un dossier de grande ampleur : « L’un de mes associés décède en montagne, je suis alors appelée à plaider dans une affaire d’effondrement d’un barrage à Béziers. Et alors que j’hésite à me lancer, un second associé me dit « Fouziya fais toi confiance » ». Un conseil qu’elle suivra, avant de travailler intensément pour « asseoir sa légitimité » et remporter une affaire de plus de 30 millions d’euros. Ainsi, pendant près de vingt ans, elle parcourt la France pour plaider dans diverses régions.

 L’entrée en politique

Parallèlement à ses activités d’avocate, Fouziya Bouzerda consacre une partie de son temps à des activités associatives et fonde « Rhône-Alpes Diversité » et « Femmes au cœur de l’économie » : « En raison de mon parcours, j’avais un rôle model qui n’était pas facile à incarner, mais je tenais à soutenir l’émancipation dans une démarche collective ». Dans le cadre de son parcours ascendant, elle crée l’évènement « Diversité en action » qui réunit des femmes et des entreprises au Centre des congrès de Lyon avec le soutien du journal « Le Progrès »: « Harry Roselmack, David Pujadas, Gilles Bouleau ou encore Nikos Aliagas sont venus nous accompagner bénévolement pendant les trois éditions ».

C’est également à cette période qu’a lieu une rencontre qui sera déterminante : « Dans le cadre de l’association, j’interpelle les élus lyonnais, dont le maire, Gérard Collomb et face à leurs réponses insatisfaisantes, je décide de me présenter aux élections municipales ». Nous sommes en 2008. Fouziya Bouzerda « découvre ce qu’est l’engagement: entre confrontation et capacité à convaincre ». Très soutenue par son mari et entourée pas sa famille pour toutes les questions logistiques, elle est élue sur une liste centriste qui s’oppose alors à Gérard Collomb : « Cet engagement politique n’était pas dans mon projet, mais cela me correspondait très bien avec un mélange d’engagement, de conviction, de charisme et de résilience ».

 Aux côtés de Gérard Collomb

D’abord son opposante, Fouziya Bouzerda se rallie à Gérard Collomb pour les municipales de 2014 : J’envisageais de ne pas me représenter car je ne me sentais plus en phase avec mon groupe politique. Cependant, je refusais de compromettre mes convictions politiques. C’est à ce moment-là que Gérard Collomb m’a approchée. Il m’a dit que si je décidais d’arrêter, « je manquerais à la politique », et m’a garantie une indépendance politique tout en m’offrant le choix le choix de ma délégation :  Si vous nous rejoignez, vous aurez la liberté d’occuper le poste que vous souhaitez dans mon exécutif. – D’accord, mais sachez que ce n’est pas parce que je suis une femme que je vais nécessairement m’intéresser à la petite enfance ! ».

Elle devient alors adjointe à la vie économique et au commerce à la Ville de Lyon ainsi qu’au sein de la toute nouvelle métropole de Lyon. Par la suite, avec l’élection du Président de la République Emmanuel Macron en 2017 – « Je le rencontre et me retrouve dans ses valeurs » – et la nomination de Gérard Collomb au ministère de l’Intérieur, de nouvelles perspectives s’ouvrent.

Fouziya Bouzerda devient alors vice-présidente de la métropole en charge de l’économie et de l’insertion de la métropole de Lyon puis, en 2017, prend la présidence du SYTRAL, l’autorité organisatrice des mobilités des territoires lyonnais.

La présidence du SYTRAL

Le SYTRAL est une institution majeure en Rhône Alpes. Avec l’opérateur Keolis il dessert 263 communes sur un territoire de plus 1,8 million d’habitants pour un budget annuel qui dépasse le milliard d’euros. C’est dire si l’arrivée d’une femme, non ingénieure, à sa présidence exécutive est une gageure. Un défi qui incitera Fouziya à s’immerger dans tous les dossiers pour les maîtriser parfaitement ! « Pendant des semaines, ma table de chevet était constituée de piles de documents de bureaux d’études et de contrats de délégation de service public – quatre piles de 1m50 chacune – que je lisais pour comprendre comment s’articulait un réseau de transports au regard de nouveaux enjeux ». Dans un article qui lui est consacré, Le Monde explique qu’elle « s’y est investie au point de surprendre les ingénieurs, qui s’étonnent de sa maîtrise des dossiers techniques ».

Pendant trois ans, elle se consacrera principalement à un dossier crucial pour le territoire, tant pour les déplacements que pour la décarbonation: « C’est une chance extraordinaire d’être libre de ses choix en étant doté de moyens considérables. Nous avons ainsi expérimenté de nouveaux matériels électriques, pour renouveler les 1 000 bus, lancé la 1ère navette autonome mondiale… ».

Durant son mandat, elle va affronter certaines tensions et manifestations, dont une occupation de forains qui bloquaient la ville : « Je suis allé les rencontrer en leur présentant des solutions tout en refusant de les laisser installer de force une grande roue. Fermeté et perspectives à construire ensemble me semblent complémentaires. Dans la mesure du possible, j’essaie toujours de dire « oui » lorsque c’est possible plutôt que les traditionnelles réponses négatives de confort. C’est lorsque la contradiction et la sincérité sont présentes que nous pouvons vraiment faire la différence et susciter l’adhésion ! ». Plus difficile, elle va devoir gérer toute la période du Covid en 2020 : « Nous devions assurer la continuité du service public, d’une part, et la protection des chauffeurs et des usagers, d’autre part. Lorsque je sillonnais la métropole de Lyon complètement désertée de ses habitants confinés pour visiter les dépôts de bus, j’avais l’impression de me retrouver dans le film « I’m a legend » ».

La succession de Gérard Collomb

En 2019, alors qu’approchent les élections municipales de 2020 la question de la succession de Gérard Collomb se pose, Ce dernier choisira un candidat comme tête de liste qui échoue à gagner la ville. « Cela n’en reste pas moins un homme visionnaire, qui a su se concentrer pendant 20 ans sur le développement de sa ville en reconnaissant et en valorisant l’engagement et les compétences », se remémore-t-elle en soulignant la « relation faite de respect et d’admiration mutuelle » qu’ils avaient su nouer. De ces années, elle conserve le souvenir d’un « Collomb au faîte de sa puissance » qui est reçu à l’étranger comme un chef d’état et qui contribue de manière significative à l’élection de notre président de la République. Parmi les multiples anecdotes, le déjeuner avec le fils de l’empereur du Japon, couronné quelques mois plus tard et la participation à un voyage au Japon pour la cérémonie, ou la déambulation organisée avec le Prince Charles et Camillia, aux Halles de Lyon Paul Bocuse pour découvrir la gastronomie lyonnaise et la Fête des Lumières devenu un événement à la portée mondiale.

Et pour elle, une vie sur un fil entre ses responsabilités politiques, la gestion du SYTRAL, sa vie privée et toujours son cabinet d’avocat : « Je changeais de casquette 25 fois par jour mais je tenais absolument à rester avocate pour préserver mon indépendance ».

Le campus de Grenoble EM à Grenoble

Une nouvelle vie : Grenoble École de Management

En 2022, une nouvelle opportunité se présente à elle. Alors que Grenoble École de Management (GEM) semble enlisée dans des difficultés internes et financières, un cabinet de recrutement international propose à Fouziya Bouzerda de prendre la direction de l’établissement « Ce cabinet était convaincu que je pouvais accompagner la transition de l’école, comme je l’avais fait avec les transports au SYTRAL que j’ai transformé en établissement public local à l’occasion de la loi sur les mobilités repensées jusqu’en 2040 et de ma capacité à adresser des univers différents. Après avoir rencontré et échangé avec le Président de l’école, le conseil d’administration et la chambre de commerce et d’industrie, j’ai rapidement accepté cette offre. Les décisions les plus importantes de ma vie, je les ai prises en une fraction de seconde comme celle de créer mon cabinet ou de m’engager en politique. Il est essentiel de sortir de sa zone de confort et d’embrasser de nouveaux défis pour continuer à évoluer, de ne jamais cesser d’apprendre. Tous les choix que j’ai faits l’ont été au regard de mes valeurs avec lesquelles je ne transige jamais ».

Après le départ de Loïck Roche, directeur général de GEM, pendant l’été, suivi de celui de son adjoint, le regretté Jean-François Fiorina, Fouziya Bouzerda prend les rênes de l’école à la rentrée 2022. Une nomination à la surprise générale, la plupart des directeurs d’écoles étant issus du milieu académique, sans expérience politique.

« Je connaissais déjà l’école et son écosystème incroyable. GEM est à la fois un univers totalement différent de ceux que je connaissais et assez similaire paradoxalement. J’y ai reçu un accueil bienveillant avec beaucoup d’attentes », se souvient-elle un peu moins de deux ans après son arrivée, heureuse de « boucler ainsi la boucle pour former des jeunes qui transformeront le monde économique ». En deux ans, elle aura déjà profondément modifié le portefeuille de programmes et su « très bien s’entourer avec un COMEX en ordre de marche et une relation de confiance avec sa gouvernance ».

Décidément passionnée par ce nouveau défi, elle décide même d’abandonner son cabinet d’avocat. Mais ne retournera-t-elle pour autant jamais en politique ? Après le décès de Gérard Collomb, dont elle est la suppléante, elle a en tout cas fait son retour au conseil municipal de Lyon et au conseil métropolitain. Suscitant bien des commentaires : « Je n’ai pas démissionné par égard pour Gérard Collomb et j’ai sans doute sous-estimé l’attente que cela générerait. Mais soyons clair : on ne peut pas être et avoir été et ma séquence actuelle reste GEM ! »

  • Fouziya Bouzerda en cinq dates

2 juin 1971 : Naissance dans le 7ème arrondissement de Lyon

1997 : Prête serment pour intégrer le barreau de Lyon

2002 : Crée son propre cabinet d’avocat

2014 : Entrée dans l’équipe municipale au côté du maire de Lyon, Gérard Collomb.

1er septembre 2022 : Nommée directrice générale de Grenoble EM

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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