L’université Toulouse 3 Paul-Sabatier, la grande université scientifique de Toulouse, va bientôt construire un nouveau campus qu’elle veut exemplaire tant sur le plan énergétique que pédagogique. Entretien avec son président, Bertrand Monthubert, qui évoque également son implication dans la construction de l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées.
Olivier Rollot : Entre 2017 et 2019 vous allez construire onze nouveaux bâtiments sur 56 000 m2. L’occasion pour vous d’associer tout le personnel à la construction d’un campus que vous voulez exemplaire.
Bertrand Monthubert : Dans le cadre d’un projet que nous avons appelé « neOCampus », nous travaillons à ce que tous les bâtiments soient innovants, en matière énergétique notamment, grâce à nos forces dans la recherche. Neuf laboratoires (matériaux, énergie-lumière, informatique, etc.) sont ainsi associés au projet pour réfléchir à la construction de bâtiments qui seront des laboratoires grandeur nature de nos travaux de recherche. Les étudiants seront également associés au travers de notre master Énergétique de l’habitat qui fête justement ses quarante ans. Depuis qu’ils ont entendu parler de « neOCampus »,les étudiants viennent nous présenter leurs propres projets pour les intégrer dans la plateforme générale. Il s’est créé une véritable dynamique.
O. R : Votre projet va-t-il jusqu’à imaginer des bâtiments autonomes énergétiquement ?
B. M : Peut-être pas totalement mais nous souhaitons créer des bâtiments plus économes énergétiquement possibles dans une université très impliquée dans le développement durable. Nous allons donc nous rapprocher de bâtiments à « énergie positive », tout en améliorant leur confort. Nous voudrions également que le comportement des usagers de l’université, et pas seulement les étudiants, se transforme pour qu’ils deviennent « éco responsables ».
O. R : La configuration de nouveau campus a-t-elle aussi pour but d’améliorer la réussite des étudiants ?
B. M : Dans le cadre du Plan campus, nous allons construire la « Maison de la réussite en licence », dans lequel les espaces seront adaptés aux pédagogies innovantes. Le travail par projet demande en effet des formats de salle différents. L’IUT de Montauban, de l’université Toulouse II Jean Jaurès, travaille d’ailleurs sur ce que devrait être la « salle de cours du futur ».
O. R : En quoi consistent ces nouvelles pédagogies ?
B. M : Nous avons obtenu un financement dans le cadre des financements Initiatives d’excellence pour présenter des « cours innovants en licence ». Par exemple, progressivement, les 1000 étudiants de première année de nos licences du domaine des sciences fondamentales et appliquées vont bénéficier de pratiques innovantes : « pédagogie inversée » [on leur demande de lire leurs cours avant de venir à l’université, le temps avec l’enseignant étant alors consacré à leur approfondissement en groupes], cours dynamiques avec l’utilisation de boitiers interactifs ou de smartphones qui permettent de poser régulièrement des questions aux étudiants pour vérifier s’ils suivent bien les explications de l’enseignant.
O. R : Vos enseignants sont-ils tous mobilisés sur la construction de ces nouvelles pédagogies ?
B. M : Il y a une véritable dynamique de transformation pédagogique qui dépasse le seul accompagnement des initiatives des enseignants les plus impliqués. Aujourd’hui, nous voulons toucher beaucoup d’étudiants et pas seulement quelques « pépites » qui en concerneraient 30 sur 30 000. Avec le financement de l’Initiative d’excellence nous voulons passer à la vitesse supérieure alors que les enseignants les plus novateurs ne se sont pas toujours sentis portés par l’institution. L’Idex nous a apporté des moyens financiers mais surtout nous avons voulu dépasser tout ce qui représentait un frein à l’innovation. Le temps de service des enseignants a été aménagé et 1000 heures, soit l’équivalent de cinq emplois à plein temps, ont été attribués pour que des enseignants puissent faire émerger les projets pédagogiques innovants.
O. R : Est-ce nécessaire pour gérer l’augmentation des effectifs dans vos filières ? On sait que vous avez eu du mal à intégrer tous vos étudiants cette année.
B. M : Cette évolution n’est pas liée à l’accroissement des effectifs. Si nous changeons les pédagogies, c’est pour répondre aux besoins d’étudiants qui ont un rapport différent au savoir, dans une société où les besoins en compétences évoluent. nous voulons familiariser très vite nos étudiants aux pratiques collaboratives et au travail scientifique. Nous avons déjà beaucoup investi dans les moyens informatiques pour rattraper notre retard. Tout cela est nécessaire pour répondre aux besoins de tous les étudiants, quel que soit leur niveau.
O. R : Justement, on parle souvent d’étudiants en difficulté car issus de bacs qui ont du mal à réussir à l’université et on sait comment vous travaillez à les aider. Mais les meilleurs, que faites-vous pour les attirer ?
B. M : Nous avons constaté une augmentation importante du nombre d’étudiants titulaires de bacs S avec des mentions B et TB ayant mis l’université en « vœu 1 » sur admission-postbac ces deux dernières années. Ils sont aujourd’hui près de 30% dans certaines de nos licences, soit une augmentation de 79% entre les rentrées 2011 et 2014. À eux, comme à tous, nous voulons transmettre notre passion de la recherche. Nous proposons donc des « parcours spéciaux » aux plus motivés qui cherchent un contact plus précoce avec la recherche.
O. R : Vous travaillez également avec les lycées de la région pour inciter leurs élèves à vous rejoindre ?
B. M : Depuis deux ans nous travaillons à tisser des liens très forts avec les lycées pour comprendre les attentes des bacheliers. Des événements comme ceux que nous organisons autour du robot de la Nasa Curiosity, dont plusieurs éléments ont été développés à Toulouse 3, ou de Rosetta, parlent aux jeunes et leur donnent envie de devenir chercheurs. On connaît aussi leur engouement pour le développement durable et nous sommes là pour leur montrer qu’il est lié à toutes les sciences : un master informatique peut amener à travailler sur les capteurs et systèmes nécessaires à la préservation de l’environnement ,par exemple.
O. R : Filière scientifique par filière scientifique, quelles sont celles qui attirent aujourd’hui le plus les jeunes aujourd’hui ?
B. M : On l’a dit, l’augmentation du nombre d’inscrits en sciences de la nature a rendu leur accueil difficile cette année. A l’inverse, le nombre d’étudiants en informatique reste très faible par rapport aux besoins, mais nous avons heureusement progressé depuis deux ans.
O. R : Avec toujours aussi peu de filles ?
B. M : C’est un vrai problème alors que les entreprises nous demandent de former des profils différents pour améliorer leurs processus d’innovation. À l’exception des MIAGE (méthodes informatiques appliquées à la gestion des entreprises) le pourcentage de filles en informatique reste très bas, aux alentours de 15%. Nous avons d’ailleurs mis en place une commission « égalité active » pour agir sur toutes les formes d’inégalités. Nous proposons à des collégiennes de suivre des stages de mathématiques pour les attirer, car nous savons que nous avons une importante marge de progression chez les filles. En deçà d’un certain seuil, quand on se perçoit trop en minorité, se met ensuite en place un processus d’évitement d’une filière qu’il est bien difficile d’inverser.
O. R : La Comue (communauté d’universités et d’établissements) Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées, qui regroupe toutes les universités et les grandes écoles de la région a vu le jour. Comment la définiriez-vous ?
B. M : C’est une Comue un peu particulière de par la forte présence des organismes de recherche et des écoles d’ingénieurs à Toulouse et dans sa région. Nous sommes dans une bonne dynamique grâce à la mise en place d’un important processus de concertation qui a permis d’associer largement les personnels au-delà des seuls présidents d’université et directeurs d’écoles.
O. R : Universités et grandes écoles s’entendent bien ? Ce n’est pas le cas partout en France !
B. M : Il règne une très bonne atmosphère entre les universités et les grandes écoles avec une envie et une vision commune. Ceci largement dû à la présence, depuis longtemps à Toulouse, de laboratoires communs qui réunissent les personnels de toutes les institutions. Les enseignants des universités et des grandes écoles de Toulouse sont des collègues, pas des étrangers ! Et nos étudiants travaillent aussi ensemble, par exemple une équipe de l’université Toulouse III – Paul Sabatier et de l’Insa a récemment été lauréate d’un concours du Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour un projet de biologie synthétique afin de lutter contre la maladie des platanes du canal du Midi. Tous ensemble, nous avons aussi monté un réseau de fablabs.
O. R : Qu’attendez-vous de votre Comue ?
B. M : Elle commence déjà à fonctionner et va, par exemple, nous permettre de travailler ensemble au niveau du numérique, sur la valorisation de la recherche, la réponse aux appels d’offre européens ou encore sur l’international. Nous avons ainsi déjà pu ouvrir trois bureaux de représentation à l’étranger. Demain nous allons encore mieux travailler sur l’interdisciplinarité et, dans le cadre du plan quinquennal que nous commençons à négocier avec l’État, sur notre offre de formation.