Directeur de l’IUT Paris-Descartes, Guillaume Bordry a été élu président de l’Association des directeurs d’IUT (Adiut) en 2013. Après quelques années de tension avec les universités, il se félicite aujourd’hui que les relations avec leurs IUT se sont apaisées mais reste vigilant sur la défense du modèle IUT.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Les relations entre les IUT et leurs universités de tutelle ont parfois été tendues ces dernières années. Aujourd’hui les IUT se sentent bien dans leur université ?
Guillaume Bordry : Nous avons multiplié les travaux en commun avec la Conférence des présidents d’université ces dernières années, notamment sur la nouvelle nomenclature des licences professionnelles, et les points de vue se sont bien rapprochés. Nous partions de positions hostiles et nous avons peu à peu trouvé un terrain d’entente. Il faut rappeler qu’avant l’autonomie accordée aux universités nous avions nos propres moyens et que, depuis, chaque IUT doit négocier ses moyens avec son université de rattachement. Nous avons également ressenti une forte déception dans les IUT après des Assises de l’enseignement supérieur et une loi (sur l’enseignement supérieur et la recherche) où nous nous sommes sentis condamnés ou stigmatisés pour de très mauvaises raisons.
Le discours a changé en mai dernier avec un engagement clair de notre ministre, Geneviève Fioraso [devenue depuis secrétaire d’État], qu’en contrepartie de l’accueil dans les IUT d’un nombre plus important de bacheliers technologiques il y ait la publication d’un décret garantissant nos moyens. Ce décret sera publié dans les 15 jours et nous permettra d’entrer dans une démarche plus constructive. Nous voulons maintenant montrer qu’il est possible d’avoir des relations sereines entre les IUT et les universités – car nous sommes bien dans l’université ! – mais nous n’en restons pas moins vigilants.
O. R : Quelles sont au juste ces garanties dont vous bénéficierez ?
G. B : Les IUT sont les seuls établissements d’enseignement supérieur à délivrer des diplômes nationaux, les DUT, définis de façon très précise. Dans le cadre de leur accréditation globale par le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et à la Recherche, les universités devront s’engager sur les moyens nécessaires à la bonne délivrance des DUT.
O. R : Si certains dans les universités « râlent » contre les IUT c’est aussi parce que le modèle d’attribution des moyens par étudiant leur est plus favorable que pour la majorité des étudiants.
G. B : Le modèle attribue effectivement aux IUT des moyens complémentaires mais ceux-ci vont directement vers les universités ! celles-ci entament ensuite un dialogue de gestion au terme duquel tous ces moyens ne reviennent pas forcément aux IUT… Bien sûr qu’un IUT coûte cher car nous donnons plus de TD et de TP et nous avons besoin de plateaux techniques élaborés. Mais les IUT sont aussi une chance pour les universités, et il n’y a pas aujourd’hui d’opposition entre les IUT et les présidents d’université.
O. R : Vous l’évoquiez : le gouvernement entend vous voir recevoir plus de bacheliers technologiques. Est-ce possible ?
G. B : Tout dépend des spécialités et des régions. Les viviers manquent dans des DUT comme par exemple « qualité, logistique industrielle et organisation » ou « génie mécanique ». Dans certaines spécialités d’IUT, notamment industrielles, on peine tout simplement à recruter et les bacheliers technologiques sont accueillis sans réelle sélection. Ailleurs, dans le tertiaire, il y a une plus forte pression des bacs technos pour intégrer un IUT, et les IUT font des efforts pour les accueillir. À l’IUT Paris Descartes, nous admettons aujourd’hui 30 à 35% de bacheliers technologiques en DUT GEA (gestion des entreprises et des administrations) en apprentissage… pour seulement 17% des candidatures sur APB ! Quand le vivier est là, la démarche existe, mais encore faut-il nous laisser communiquer dans les lycées.
O. R : Les lycées qui proposent des BTS ne vous voient pas arriver d’un bon œil ?
G. B : Pas toujours mais les relations progressent avec l’obligation de conventionnement entre les lycées et les universités et les conventions IUT / rectorats. Mais il reste des territoires sur lesquels les BTS sont nombreux et fragilisés et je comprends que les proviseurs de ces lycées n’aient pas envie de nous « donner » leurs élèves. C’est aussi pour cela que nous étions opposés à la notion de quotas de bacheliers technos dans les IUT : cette façon de procéder oppose les acteurs et les empêche de mener une réflexion intelligente sur les viviers.
O. R : Finalement on ne parle pas de quotas mais de pourcentage minimal. Quelle différence ?
G. B : Aucune.
O. R : Mais qu’avez-vous obtenu alors ?
G. B : Ce que nous ne voulions pas c’est d’un mécanisme obligatoire dès la seconde qui flèche les bacs technos vers les IUT. Je comprends les problèmes de mes collègues qui constatent un taux d’échec très important de bacheliers qui ne sont pas préparés au travail en licence, dont un nombre important de bacheliers technos, mais on ne résoudra pas l’échec en licence par ce dispositif.
Les étudiants que nous formons dans les IUT ne sont pas une population homogène. Ainsi, nous ne volons pas aux autres filières universitaires les bacheliers généraux que nous diplômons ! C’est un discours ridicule, porté par quelques idéologues influents, mais séniles. 25% de nos candidatures sont des bacheliers généraux qui ont échoué dans leur première année de licence ! Les IUT permettent à ces bacheliers généraux en échec dans le supérieur de réussir. De plus, les IUT sont aujourd’hui un important poste de recrutement de l’université face à des opérateurs privés.
O. R : Quel est le mécanisme de ces pourcentages minimaux?
G. B : Il n’est pas indiqué dans la loi mais est établi par chaque recteur en concertation avec les acteurs locaux. Aujourd’hui on peut dire que cela se passe en bonne intelligence et que les IUT ont pris leur rôle dans la réussite des bacs technos !
O. R : On reproche aussi parfois aux IUT d’être des sortes de « prépas alternatives » pour des étudiants très malins qui intègrent ainsi ensuite plus facilement des grandes écoles. Qu’en dites-vous ?
G. B : Le mépris flagrant de certains universitaires pour les IUT ressemble exactement à celui que manifestent les anciens élèves de prépas pour les admis sur titre (AST). Ceux-là voudraient que les AST n’aient pas le même statut dans les écoles que les élèves issus de prépas. C’est une opposition sociale stigmatisante, une opposition de classe entre l’élève « légitime » qui viendrait de prépa, aurait souffert et intégré l’école par une « voie royale » et l’autre voie, insupportable, des AST.
Ceux qui parlent de « contournement » par les IUT emploient un discours d’un élitisme très douloureux à entendre de la part de collègues universitaires quand on sait qui sont nos étudiants. Nos étudiants viennent d’une classe moyenne qui veut une ascension sociale par étapes et ne connaissent souvent même pas l’existence de la voie royale des prépas. Ceux qui font ces reproches aux IUT sont pour la plupart des héritiers qui attribuent à nos étudiants une vision claire du système, celle, justement, de ceux qui sont déjà « dedans » : c’est leur propre vision, celle de leurs parents et celle de leurs enfants… mais certainement pas celle de nos étudiants.
O. R : Mais vous recevez aussi des étudiants qui possèdent ces codes que vous évoquez ?
G. B : Nous voulons pouvoir recevoir tous les types d’étudiants : ceux qui ont des trajectoires ascendantes mais auxquels il manque des codes, comme d’autres qui sont peut-être moins bons académiquement mais connaissent ces codes et contribuent à les donner à tous. C’est une nutrition globale extrêmement riche et les IUT sont également là pour permettre ces moments de coexistence globale positive.
O. R : La très grande majorité des diplômés d’IUT poursuit aujourd’hui son cursus. Cela aussi on vous l’a reproché en affirmant que votre mission initiale était d’amener directement à un emploi.
G. B : 80% de nos étudiants poursuivent en moyenne leur cursus mais avec de larges différences. Dans les IUT des villes de taille moyenne, on peut avoir des taux d’insertion post DUT très forts. De plus ces poursuites d’études correspondent à la volonté d’avoir le niveau jugé aujourd’hui nécessaire dans l’enseignement supérieur qui est la licence : entre 30 et 40% de nos étudiants s’arrêtent donc à bac+3. Il n’y a aujourd’hui aucune incitation à suspendre son cursus après un DUT mais nous sommes en revanche bien vigilants pour que ce soit le cas de ceux qui obtiennent une licence professionnelle.
O. R : Donc en résumé, tout va bien aujourd’hui pour les IUT ?
G. B : Cela va beaucoup mieux mais nous n’en avons pas moins des points d’inquiétude. Nous sommes par exemple inquiets de la demande que le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et à la Recherche a fait aux universités de s’organiser en quatre champs disciplinaires alors que la plupart des DUT sont pluridisciplinaires. Je ne comprends pas cette volonté de s’enfermer dans des disciplines alors qu’on, d’un autre côté, on ne parle que de pluridisciplinarité. Les IUT sont une composante structurée et lisible des universités, que les regroupements actuels risquent de noyer dans des grands ensembles monothématiques centrés sur la recherche. Le désintérêt pour la formation pluridisciplinaire affiché parfois par nos universités et par leur tutelle est absolument désespérant.
Notre autre grand point de vigilance est la réforme des moyens qui est en cours actuellement. Les IUT sont le dernier endroit où il y a encore des plateaux techniques lourds qui ont été abandonnés dans les lycées au profit de la simulation et de la théorie. Ces plateaux demandent des moyens financiers importants mais sont nécessaires pour professionnaliser nos étudiants. Ils sont d’autant plus nécessaires que nous ne nous attendions pas à constater un tel affaiblissement des gestes technologiques chez beaucoup de nos nouveaux étudiants avec la réforme des bacs technos. En IUT on apprend à « faire » et si on se concentrait sur la seule théorie nous raterions notre mission. Nous voulons défendre notre modèle et nos modalités d’apprentissage !