C’est l’école qui a attiré encore cette année le plus de candidats issus de classe préparatoires. Executive vice-président de Skema BS, Patrice Houdayer revient avec nous sur l’avenir de la filière CPGE / Grandes écoles, l’évaluation des établissements d’enseignement supérieur privés et sur le modèle d’une école, Skema, qui a su traverser la crise sanitaire tout en conservant son modèle.
Olivier Rollot : Les classes préparatoires sont loin d’avoir fait le plein en 2021 et cela a conduit cette année à une chute significative des inscriptions dans les écoles de management. Comment analysez-vous cette baisse d’attractivité des classe préparatoires ?
Patrice Houdayer : La chute est conjoncturelle, mais aussi structurelle, du fait de la réforme des lycées et de la suppression des mathématiques dans le tronc commun, suppression qui a cassé la dynamique des bacheliers ES. Aujourd’hui, il faut donc vraiment travailler pour rendre les classes préparatoires et les Grandes écoles plus attractives.
En regardant de plus près les chiffres des années passées, on se rend compte que sur plus de 10.000 candidats environ 8 000 sont affectés dans les écoles de management chaque année. Ce qui signifie qu’environ 20% de leurs camarades ne choisissent pas cette voie et préfèrent cuber ou choisir d’autres formations. Or ces derniers 20% pourraient très bien entrer également dans les écoles de management. A nous de faire en sorte qu’une partie de ces candidats intègrent les écoles cette année.
O. R : La réforme des classes préparatoires a été abandonnée. Au moins en ce qui concerne la rentrée 2024. Que faire maintenant ?
P. H : Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) s’inquiète des ressources affectées aux classes, les professeurs s’alarment de la baisse des effectifs. Une baisse constatée essentiellement dans les classes préparatoires de proximité puisque, au contraire, les effectifs des prépas des grands centres urbains progressent. Il faut donc relancer ces classes de proximité afin d’attirer des jeunes qui, sinon, ne pourraient pas rejoindre des lycées de centre-ville. C’est indispensable à l’ouverture sociale car nous voyons déjà une légère baisse du nombre de boursiers au concours 2023.
En conséquence, il nous faut réfléchir à la manière dont nous pourrons rendre la filière ECG plus attractive et plus lisible et ce, afin que davantage de jeunes et de bacheliers se projettent en classes préparatoires, puis trouvent le chemin de nos écoles. Les chiffres parlent d’ailleurs d’eux-mêmes : 95% des élèves de classes préparatoires obtiendront in fine un grade de master. Une école comme Skema recrute majoritairement ses étudiants en classes préparatoires.
Il faut que les classes préparatoires continue d’attirer les meilleurs élèves, afin qu’ils intègrent ensuite les meilleures écoles qui sont celles qui recrutent via les classes préparatoires. Et pour cela, nous devons réenclencher toute une dynamique. La Conférence des directeurs des écoles françaises de management (CDEFM) et l’Association des professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC) vont prochainement communiquer ensemble.
O. R : Le MESR a lancé une enquête sur l’enseignement supérieur privé lucratif. Qu’en attendez-vous ?
P. H : Seules 65 écoles délivrent au moins un diplôme visé via la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG) et encore moins délivrent un grade de Licence ou de Master. Nous faisons clairement face à une vraie problématique de détournement d’un certain nombre de termes académiques. Ainsi, certains organismes s’approprient, par exemple, le terme « Mastère » alors que « Mastère Spécialisé » est sous copyright de la Conférence des Grandes écoles (CGE). Ce dont nous parlons ici ce sont des « boutiques » qui ne délivrent même pas de titre RNCP.
Dès lors, il y a aujourd’hui un fort besoin de régulation. Nous sommes en effet souvent obligés de refuser l’entrée à des candidats parce que leur diplôme n’est reconnu ni par le MESR ni par France Compétences, et ce, avant même tout processus de sélection. Or, nous avons vu à plusieurs reprises des assertions du type « après votre diplôme, vous pourrez intégrer Skema » sur les sites web de certains organismes. Assertions totalement fausses, mais qui montrent à quel point les écoles en question sont agressives dans le recrutement de leurs étudiants. Le pire, dans tout cela, est bien sûr qu’il est difficile pour un étudiant de renoncer une fois qu’il a débuté un cursus.
Au-delà de la véritable nécessité de régulation, il y a également un impératif : celui d’une communication qui rendra les labels de qualité plus accessibles, voire simples, aux familles. Nous devons pouvoir montrer, démontrer, ce qu’est une véritable Grande école. Aujourd’hui, l’intérêt des familles est trop souvent mis de côté. Et la solution à cette problématique doit être collective, passer par l’Etat, mais aussi par chacune des Grandes écoles de management.
O. R : Les années Covid semblent bien être derrière nous. Où en est, aujourd’hui, chez Skema, la mobilité étudiante ?
P. H : Non seulement elle n’a pas été remise en cause, mais de plus, elle progresse. Certes, un étudiant peut décider de rester en France afin de poursuivre son cursus en apprentissage ou un double-diplôme avec un de nos partenaires universitaires. Nous constatons cependant que nos étudiants se projettent de plus en plus sur nos campus internationaux. Ils sont plus de 1 000 cette année sur chacun de nos campus en Afrique du Sud, au Brésil et aux Etats-Unis. Et c’est sans compter la Chine dont nous attendons tous la réouverture et qui aura lieu pour la rentrée 2023. Dans ce cadre, nos étudiants ont la possibilité de poursuivre leur cursus avec, partout, le même niveau pédagogique. Ils peuvent également se rendre sur les campus de nos partenaires. Dans le cadre du Programme Grande Ecole, 500 places y sont ouvertes aujourd’hui, pour seulement 300 volontaires.
O. R : Comment évoluent vos accords internationaux ?
P. H : Nous venons de signer un accord avec la Bocconi, qui est la plus grande école de management italienne. Il est certain que la dynamique de Skema a un impact sur la qualité de ses partenariats, puisqu’on y compte aujourd’hui 85% de Business School accréditées Equis et AACSB. Et nos 180 partenaires le seront tous peu à peu. Grâce à notre modèle multi-campus, lorsqu’une école signe avec Skema, elle signe avec cinq écoles en même temps. C’est loin d’être négligeable !
Nous ressentons d’ailleurs également cette dynamique à travers les aptitudes et les compétences des étudiants et des professeurs que nous recrutons.
O. R : En Chine, Skema a-t-elle pu continuer son activité en dépit de la fermeture du pays ?
P. H : Lors des trois dernières années, nous avons malgré tout reçu 1000 étudiants chinois. A la rentrée 2023, nous recevrons 1 200 étudiants de BBA dans le cadre de notre institut conjoint avec Nanjing Audit University et 120 étudiants de master avec Xi’an Jiaotong University, et dans les deux cas dans le cadre de diplômes qui ont été reconnus par le ministère chinois de l’Éducation. Contrairement à la plupart de nos concurrents, nous avons donc accéléré notre développement lorsque la Chine avait ses frontières fermées.
O. R : Parlons de vos étudiants. Combien de temps passent-ils, en moyenne, sur chaque campus international ?
P. H : Dans le cadre du programme Grande école, ils préfèrent passer un semestre dans un pays, et aller ensuite dans un autre. Certains restent une année entière voire plus dans un même pays. Ils ont une vraie soif d’immersion multiculturelle. Or, cela ne s’apprend pas dans les livres. Après trois ans de confinement, les étudiants veulent être libres de leurs mouvements.
O. R : Est-ce bien éthique de voyager autant aujourd’hui ?
P. H : Il ne faut pas confondre ceux qui prennent l’avion toutes les semaines pour passer le week-end dans telle ou telle ville d’Europe… et ceux qui se déplacent une fois par les airs une ou deux fois dans l’année… avant de voyager de toute façon ensuite en train. Nos étudiants sont responsables. Ils sont d’ailleurs de plus en plus à utiliser le bus pour se déplacer entre notre campus de Belo Horizonte et les autres villes brésiliennes. Cette conscience qu’ils ont déjà des problématiques environnementales et climatiques, nous l’encourageons, nous la développons ! Cette année, la totalité de nos programmes traite de questions qui sont liées, d’une manière ou d’une autre, à ces problématiques.
O. R : Dans beaucoup de secteurs, les recrutements sont de plus en plus difficiles. Qu’en est-il pour vous en ce qui concerne le recrutement de vos professeurs ?
P. H : Contrairement au recrutement des scientifiques, celui des professeurs en management est peu impacté par la concurrence entre les centres de recherche et les grandes entreprises en développement. La plupart des enseignants-chercheurs sont formés pour la recherche, mais se destinent à l’enseignement. Là aussi, avoir plusieurs implantations nous permet de recruter plus largement. Cette année, six enseignants brésiliens nous ont rejoint en France. Lorsque nous recrutons pour notre campus chinois, nous faisons venir les professeurs chinois, partis enseigner aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, qui veulent rentrer dans leur pays.
O. R : Envisagez-vous d’ouvrir de nouveaux campus internationaux ?
P. H : Oui, et nous y travaillons. Nous ferons une annonce à ce sujet dans les prochains mois. Il y a dix ans, Skema envisageait d’avoir dix campus dans le monde. Ce sera vraisemblablement le cas.