« Il faut responsabiliser l’apprenant ! »: Jonathan Azoulay, président du groupe Skolae

by Olivier Rollot

Le groupe Skolae c’est aujourd’hui 24 marques en formation initiale (PPA, Engde, Modart, etc.) et 10 autres en formation continue (Abilways, M2i, etc.) présentes dans 30 villes. En tout 21 000 étudiants en formation initiale et 150 000 salariés sont formés chaque année. Un groupe en plein essor largement axé sur l’apprentissage dont nous parle son président, Jonathan Azoulay.

Olivier Rollot : On a longtemps connu le réseau puis le groupe GES. Depuis 2023 il a pris le nom de Skolae. Aujourd’hui vous mettez de plus en plus cette marque en avant. Qu’en attendez-vous ?

Jonathan Azoulay : Skolae est une marque ombrelle évocatrice par elle-même de notre activité. C’est-à-dire d’une partie éducation, avec 24 marques, et d’une autre partie de notre activité dans la formation continue avec dix autres marques. En tout nous avons aujourd’hui 21 000 étudiants en formation initiale et nous formons 150 000 salariés par an notamment par le rachat en 2023 du groupe Abilways.

Le développement de la formation continue est au cœur de mon ADN personnel. Quand j’ai démarré dans le groupe à l’ESG, alternance et formation continue étaient encore des activités balbutiantes. Un groupe d’éducation doit aujourd’hui être bien campé sur ses deux jambes : formation initiale et formation continue. C’est aussi un axe de différenciation et de croissance sur un marché saturé.

O. R : Comment se structure votre activité formation continue ?

J. A : Nous travaillons sur plusieurs segments ; les cycles courts (moins de 5 jours) pour les entreprises qui est une activité B to B ; le CPF (compte personnel de formation) et les formations plus longues (de deux à huit semaines) qui sont du B to C et enfin des cycles longs de trois mois pour des demandeurs d’emploi et du reskilling avec France Travail et les Opco.

Nous nous sommes développés en nous appuyant sur plusieurs opportunités de rachat qui vont conduire demain à fusionner deux acteurs moyens – Abilways et M2i – pour en faire le troisième acteur de la formation professionnelle. Sur un marché extrêmement atomisé, nous nous placerons derrière Cegos (180 millions d’euros de chiffre d’affaires) et Orsys. Abilways et M2i sont très complémentaires : le premier est très présent en Ile-de-France et dans le management pendant que le second est présent sur toute la France dans les métiers de l’informatique. A eux deux, ils comptent environ 500 collaborateurs dans trente villes, et formeront environ 150 000 apprenants par an. Il nous faut maintenant consolider nos positions en formation continue comme en formation initiale en nous appuyant sur notre maillage territorial grâce aux 30 implantions de M2I et développer des campus, ce que nous allons faire dans six nouvelles villes grâce à M2i.

O. R : Il y a tout un débat en ce moment sur le financement de l’apprentissage avec de nouvelles règles.

J. A : 75% de nos étudiants suivent leur cursus en apprentissage et je comprends qu’il faille réguler le système, notamment avec la notion d’agrément des formations admises sur Parcoursup. Il y a également une régulation sur les coûts à envisager. Aujourd’hui nous devons composer avec 500 000 prix de formation différents selon les branches et qui devraient passer d’ici 1 an à 3500 ce qui est une première étape mais pas suffisant.

C’est à la base qu’il faut revoir le système pour le rendre plus lisible. Le maquis actuel lui donne une mauvaise image. Il faudrait pouvoir également moduler les prix en fonction de la qualité des formations.

Il faut bien avoir en tête que chaque étudiant en apprentissage diminue le coût de la formation pour l’État. Un étudiant à l’université c’est un coût de 12 à 14 000 € par an, un apprenti seulement 6 à 8 000€ dans nos écoles. Un apprenti qui travaille et cotise. Il ne faut surtout pas s’attaquer à un système qui fonctionne très bien sous prétexte que 5% des acteurs feraient n’importe quoi.

O. R : Les contrôles sont-ils suffisants ?

J. A : Il faut les optimiser. Aujourd’hui nous sommes contrôlés par trop d’instances différentes avec des audits Qualiopi, des Opco, de France Compétences, du rectorat, sans oublier l’Urssaf, les Dreets ou encore Datadock. Et maintenant la Caisse des Dépôts. Un ou deux contrôles par mois à tel point que certains de nos salariés ne font que répondre à ces contrôles avec des injonctions toutes différentes.

Aujourd’hui il faudrait sans doute mettre plus d’éléments dans Qualiopi qui permet déjà de donner beaucoup d’informations. Il faudrait un Qualiopi avec plusieurs échelons, une sorte de Qualiopi+ qui irait plus loin dans la formation continue et la pédagogie et ouvrirait à d’autres types de financements. Par exemple un niveau de prise en charge (NPEC) majoré de 10%.

Le futur « agrément » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche devrait quant à lui ouvrir le droit d’aller sur Parcoursup, d’obtenir des bourses Crous et de participer au programme Erasmus+.

O. R : Peut-on imaginer que les apprenants payent une partie des coûts de leur formation ? Je rappelle qu’aujourd’hui c’est impossible.

J. A : Il faut responsabiliser l’apprenant ! Il faudrait donc réfléchir à ce que les apprenants payent une partie de leur formation, par exemple au niveau d’une année à l’université, voire 300€ ou 400€ par an en fonction du niveau d’études. Une somme forfaitaire minime car rien n’est gratuit.

Quand on ne paye rien on ne se rend pas compte, on s’inscrit dans dix formations différentes. Résultat : le jour de la rentrée nous ne savons pas encore qui sera présent ou pas. Et ensuite quand on a trois mois pour trouver un contrat et encore six mois en cas de rupture certains profitent du système. Certains sont en contrat un an et demi puis se mettent au chômage. La possibilité d’avoir six mois pour retrouver un contrat est une bonne chose mais il y a des abus.

O. R : Vous pensez que le gouvernement pourrait vous suivre dans cette voie ?

J. A : Il faudrait changer la loi mais aucun gouvernement n’en aurait le courage aujourd’hui.

O. R : Revenons au futur « agrément ». Quels devraient être ses contours selon vous ?

J. A : Cela reste assez flou aujourd’hui avec des critères proposés qui me paraissent assez proches de ceux du visa actuel avec la nécessité d’avoir des professeurs permanents mais pas de partie recherche. La nécessité de délivrer entre 30 et 50% de ses cours avec des professeurs permanents pour obtenir l’agrément me semble normale. Une école doit avoir d’une part un corps pédagogique permanent, de l’autre des enseignants vacataires qui ont les pieds dans l’entreprise.

Quand nous créons une école comme l’EIML (Ecole internationale de marketing du luxe) c’est pour répondre à une demande en donnant un savoir-faire au-delà du seul marketing. En témoignage le visa bac+5 qu’elle a obtenu.

C’est aussi la force d’un groupe qui existe depuis plus de 60 ans comme le nôtre. Nous ne nous sommes pas inventés après la réforme de l’apprentissage de 2018 comme certaines écoles qui y ont vu un effet d’aubaine.

Les étudiants doivent s’intéresser à ce que va leur donner leur école et ne pas se contenter d’entendre qu’une école est « humaine et familiale » quand elle est en fait seulement toute nouvelle. Les étudiants doivent choisir des groupes d’écoles qui seront encore là dans trente ans comme Skolae.

L’agrément sera une mesure de clarification pour les étudiants et leurs parents. Pour notre part nous sommes en cours d’obtention le label B.Corp pour nos performances sociale, sociétale et environnementale et nous allons passer sous le statut de société à mission. Peu d’écoles sont B.Corp aujourd’hui alors que c’est un label connu dans le monde entier.

O. R : Quels effets va avoir la réforme en cours du financement de l’apprentissage selon vous ?

J. A : On va vers une rétractation du marché dans les douze / vingt-quatre mois. Des petits CFA vont fermer. D’autant que les entreprises préfèrent de plus en plus travailler avec moins d’écoles présentes au niveau national. Des grandes entreprises ne veulent plus être en contact avec un grand nombre de CFA différents. Elles veulent des conventions cadre et un reste à charge minimal pour gérer leurs coûts.

O. R : Et à l’international le gouvernement vous soutient-il dans vos recrutements ?

J. A : Non.Campus France joue contre la France en étant le seul représentant de l’enseignement supérieur à l’étranger et en disant aux étudiants qu’ils n’obtiendront pas de visa s’ils s’inscrivent dans l’enseignement supérieur privé. Campus France devrait défendre l’enseignement supérieur public comme le privé. Heureusement tous les consulats ne suivent pas ses avis.

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