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« Je suis rassuré par l’état d’esprit des équipes dans une école qui a pris de bonnes décisions »: Alexandre de Navailles, directeur général de Kedge BS

Alexandre de Navailles, directeur général de Kedge BS

Les turbulences qu’a connu Kedge fin 2024 sont derrière elles estime Alexandre de Navailles qui se félicite de tout le travail effectué avec ses équipes pour redonner à son école des perspectives financières équilibrées. Place maintenant à de nouveaux projets dans le cadre d’un plan stratégique qui verra le jour à la rentrée 2025.

Olivier Rollot : On s’en souvient, la fin d’année 2024 a été tumultueuse pour KEDGE avec notamment la contestation de certains professeurs vis à vis de la stratégie suivie. Le tout après que les résultats financiers se sont dégradés en 2022-2023. Où en est la situation aujourd’hui ?

Alexandre de Navailles : Du point de vue financier nous avons clôturé l’exercice financier 2023-2024 avec un résultat d’exploitation à l’équilibre. Notre capacité d’autofinancement est aujourd’hui de 8,5 M€ ce qui nous permet d’envisager toujours des investissements nécessaires. C’est le fruit d’un vrai travail collectif qui a engagé tous les collaborateurs dans un environnement ultra compétitif. Mais je suis rassuré par l’état d’esprit des équipes dans une école qui a pris de bonnes décisions. Notre directeur financier a fait un travail remarquable pour accompagner l’ensemble de nos formations et cela a payé.

Ces dernières années nous avons dû composer avec l’inflation – deux ans d’inflation à 4,5% qui ont pesé en particulier sur les salaires – et l’augmentation de nos charges de fonctionnement – nous avons dû composer avec une facture d’énergie en hausse de près de trois millions d’euros – qui ont dégradé nos résultats. Dans un domaine d’activités où les marges sont très faibles comme le nôtre c’est vite très compliqué.

Être un établissement EESPIG comme nous, non-lucratif et sans actionnaire à rémunérer, cela ne change rien au problème : il faut gagner de l’argent, certes raisonnablement, pour pouvoir réinvestir et durer ! Quand on en perd on brule le cash ou la trésorerie puis on peut se retrouver très mal. L’idée ce n’est pas de gagner de l’argent en soi, pour un actionnaire, mais de le réinvestir.

O. R : Quels sont vos objectifs maintenant ?

A. de N : Nous avons fait une très belle rentrée 2024-2025 avec 10% de recrues supplémentaires – 4 800 – et un très beau recrutement à l’international. En quatre ans nous sommes passés de 500 à 1 000 par an.

Nous atteindrons un chiffre d’affaires de 150 millions d’euros en 2024-2025 L’école est maintenant dans un état de robustesse tel qu’elle ne l’a jamais connu. Elle a atteint la taille critique nécessaire et nous devons maintenant nous occuper avant tout de sa robustesse.

C’est crucial alors que nous entrons dans une période d’incertitudes : géopolitique, apprentissage, politique français, industrie bousculée, démographie, recrutements tout est bousculé.

O. R : Quels sont les principaux investissements que vous envisagez aujourd’hui ?

A. de N : Notre système d’information a été construit en interne depuis de nombreuses années et nous avons décidé d’une refonte, le projet SPARK. Il s’agit notamment de remettre à plat l’interface étudiante pour rendre leur expérience étudiante plus fluide. Nous voulons également produire des données fiables et maintenues dans le cadre d’une transformation interne qui touche aussi bien les professeurs que nos 200 salles de cours. Nous allons enfin ajouter un plug d’Intelligence artificielle.

O. R : Vous n’avez pas de nouveaux projets immobiliers après la rénovation et l’extension de votre campus marseillais qui est maintenant achevée ?

A. de N : Nous travaillons à la marge à de nouveaux aménagements de notre campus de Bordeaux pour rendre l’accès plus fluide et sécurisé. Avec ce projet nous y serons implantés sur 32 000 m2. Mais nous n’avons pas la volonté de nous lancer dans d’importants investissements. A Paris, où nous louons nos locaux, nous avançons peu à peu en fonction de notre développement. Nous avons aujourd’hui 6 600 m2 de locaux avec des options d’extension par tranche de 1 500 m2. A Toulon nous proposons un cycle d’ingénierie des affaires et notre bachelor. Enfin à Marseille notre école de design est un petit bijou.

O. R : Allez-vous recruter de nouveaux professeurs ?

A. de N : Depuis 2020 nous sommes passés de 160 à 220 et nous en recrutons encore 20 de plus pour septembre 2025. Nous travaillons sur une projection de 270 professeurs permanents avec 40 assistants de recherche à l’horizon 2030.

Nos professeurs sont particulièrement reconnus pour leur recherche avec 770 contributions intellectuelles en 2024. En business administration nous sommes ainsi l’école française la mieux classée dans Le classement de Shanghai 2024. Et dans le top 50 mondial.

Cette année nous travaillons à réformer les règles de gestion du corps professoral main dans la main avec les professeurs pour mieux équilibrer recherche, enseignement et pédagogie.

O. R : Les difficultés que connaissent aujourd’hui les universités américaines face à l’administration Trump peuvent-elles être des opportunités pour les business schools françaises ? Tant en recrutement d’étudiants que de professeurs ?

A. de N : Il ne faut pas réfléchir en termes d’opportunités quand les autres connaissent des difficultés. Un développement se doit d’être pérenne.. Combien de temps cela va-t-il durer ? Le temps d’un mandat  ? Cela dit oui nous accueillerons les étudiants s’ils le souhaitent et les professeurs si leurs profils correspondent aux postes que nous recherchons. KEDGE soutient le mouvement Stand up for Science

O. R : A l’international quels sont vos projets ?

A. de N : KEDGE est particulièrement bien implantée en Afrique avec l’école BEM, dont nous sommes actionnaires et partenaires, à Dakar et Abidjan. BEM se développe maintenant à Brazzaville et à Douala. Nous voulons accompagner son développement au-delà avec déjà un projet à Conakry en Guinée. Le développement de l’enseignement supérieur en Afrique est un sujet important pour nous alors que la demande s’accroit d’année en année.

En Chine également tout va bien sur nos campus de Shanghai et Suzhou avec des formations très solides au sein de nos deux instituts franco-chinois qui fonctionnent très bien. Nous y formons essentiellement des étudiants locaux avec notamment notre Bachelor dont, après deux années en Chine, la troisième année est suivie en France avant un retour en Chine pour la quatrième année et la licence chinoise.

En Inde nous sommes partenaires avec l’école de Management Jagdish Sheth School of Management (JAGSoM) de la Vijaybhoomi University à côté de Mumbai et à Bangalore. Les étudiants de nos deux institutions peuvent y suivre un International bachelor degree in business administration (Indian BBA) commun divisé en deux périodes de formation de deux ans dans chaque pays. En septembre 2026 nous allons également y ouvrir toute une série de masters.

Nous allons maintenant nous concentrer sur ces trois zones.  Nous misons aussi sur la qualité de nos 350 universités et écoles partenaires. Près de 78% sont accréditées. Nous visons que 90% le soient demain.

O. R : L’apprentissage c’est formidablement développé ces dernières années dans l’enseignement supérieur. Aujourd’hui le montant des aides à l’embauche baisse. Êtes-vous inquiet de la pérennité du dispositif ?

A. de N : Évidemment le sujet de la pérennité du dispositif d’apprentissage nous concerne tout particulier. Nous accueillons près de 25% d’alternants dans nos effectifs en formation initial. Nous croyons en l’apprentissage comme un formidable outil pédagogique. L’étudiant fait l’expérience pendant ses trois semaines en entreprise de ce qu’il apprend sur nos campus, et apporte en cours ce qu’il vit dans l’entreprise. Il s’acculture à la vie professionnelle. Près de 60% ont une offre d’embauche en CDI avant la fin de leur apprentissage. Ce dispositif est aussi bien sûr un outil d’égalité des chances sans égal. L’enquête récemment menée par la CDEFM auprès de 7500 alternants de nos écoles montrent que 64% n’auraient pas choisi leur formation sans l’alternance. Le sujet du financement de l’apprentissage doit rejoindre celui de la qualité des formations et de la régulation du marché, en particulier en ce qui concerne le privé lucratif. Pas de financement si la qualité n’est pas au rendez-vous.

O. R : Pas d’entretien aujourd’hui sans une question sur l’IA. Où en êtes-vous aujourd’hui dans son déploiement auprès des étudiants ?

A. de N : L’IA est un sujet évidemment prégnant. Chez KEDGE, nous l’envisageons de trois façons. L’IA comme outil de gestion permettant d’optimiser nos processus internes (sur le recrutement étudiant, sur le suivi du parcours des étudiants, etc…). Nous réfléchissons et investissons du temps et de l’énergie aussi à déployer l’IA comme outil pédagogique au service de nos enseignants (gestion des syllabi, corrections, …). Et enfin nous voulons déployer l’IA au sein de tous nos enseignements, comme nous le faisons avec les sujets de RSE. Le manager de demain devra être capable de comprendre l’apport de l’IA dans son quotidien, quel que soit son métier et son expertise (le directeur financier, le DRH, le directeur commercial …). Nous avons lancé à la rentrée 2024 un module de cours sur l’art du prompt (le Generative Bootcamp) dont tous les étudiants du PGE se sont saisis et que nous déployons maintenant dans tous les programmes. Enfin nous annoncerons bientôt un partenariat stratégique avec un acteur majeur global de l’IA.

O. R : Allez-vous bientôt présenter une nouvelle stratégie alors que nous arrivons au terme de KEDGE 25 ?

A. de N : Nous y travaillons encore et nous la présenterons à la rentrée 2025 en nous axant sur la robustesse de l’école, sa qualité et son attractivité.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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