POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

« L’enseignement supérieur privé a-t-il encore le droit d’exister? » : Philippe Grassaud (FNEP)

La Fédération nationale de l’enseignement privé (FNEP) regroupe 300 écoles, plus de 90 000 étudiants et 65 000 salariés. Vice-président chargé de la formation professionnelle au sein de la FNEP et président du groupe Eduservices (Pigier, Iscom, Tunon, Ipac etc.), Philippe Grassaud revient sur les débats qui touchent aujourd’hui la question de la taxe d’apprentissage.

Philippe Grassaud Olivier Rollot (@O_Rollot) : L’enseignement privé, notamment à but lucratif, se sent aujourd’hui stigmatisé par différentes mesures gouvernementales. Vous protestez en particulier aujourd’hui contre l’affectation exclusive de la taxe d’apprentissage aux établissements à but non lucratif tel que le prévoit la récente loi sur l’enseignement professionnel.

Philippe Grassaud : La question est aujourd’hui de savoir si l’entrepreneuriat a ou non un rôle à jouer aujourd’hui dans l’enseignement professionnel. Quand un gouvernement exclut, tout un pan de l’investissement réalisé dans ce secteur par le privé depuis les lois de 1971, c’est un coup extrêmement dur, une perte de savoir-faire et de connaissances des besoins du monde professionnel. Des milliers de salariés, enseignants, cadres et employés peuvent se poser la question de la considération qu’on leur porte après 43 années d’exercice de leur profession. Pour les jeunes, ce sont de nouvelles difficultés avec, entre autre, la disparition des bourses que nous pouvions leur octroyer grâce à la participation de nos entreprises partenaires.

O. R : Mais vous comprenez que la notion même de profit puisse en choquer plus d’un quand on parle d’éducation ?

P. G : Non, je ne le comprends pas quand on se situe à ce niveau de responsabilité. On pénalise l’initiative privée qui a fait ses preuves par des cursus innovants, des méthodes et des résultats probants, notamment en matière d’insertion des jeunes dans l’emploi et, on induit par cette discrimination ministérielle une suspicion d’illégitimité qui pèse sur tous ceux qui exercent ce métier. Est-ce vraiment ce que veut le législateur, alors qu’il prône les vertus de l’innovation et de l’entreprise ?

Nous posons la question au gouvernement: avons-nous de droit d’exister ? Avons- nous, dirigeants et salariés droit au respect de notre travail ou ces 43 dernières années et les millions de jeunes formés et mis au travail ne sont-ils que le fait du hasard ?

O. R : Au-delà de sa limitation aux seuls établissements à but non lucratif, que pensez-vous de la réforme de taxe d’apprentissage ?

P. G : C’est effectivement la réforme d’une taxe. Et seulement cela. Il n’y a pas de vision de l’apprentissage mais seulement une affectation quantitative de flux. C’est une conception étroite de l’accompagnement des jeunes vers leur intégration post secondaire. Ils sont les grands perdants de cette absence de politique. Leur ambition est ailleurs que dans les statistiques du chômage. Un contrat de travail particulier, et le déversement annoncé de millions d’euro sur un outil qui se reproduit avec une gourmandise budgétaire sans fin constituent un mythe politique.

O. R : Vous dénoncez une approche trop idéologique de la question ?

P. G : La question de l’apprentissage divise d’une part ceux qui veulent « protéger » les jeunes de l’exploitation du monde du travail, d’autre part ceux qui veulent en faire une ressource directement productive. Les uns et les autres se reconnaissent aisément, et se fuient de peur de se rencontrer. Le format actuel de l’alternance entre le contrat d’apprentissage, le contrat de professionnalisation et les stages, est le lieu d’exercice de cet affrontement qui sclérose le système. Alors que beaucoup considèrent qu’un jeune quitte l’école pour le travail, nous considérons au contraire, au sein de la FNEP, que les deux mondes sont inséparables. Le monde du travail est la réalité, nos écoles y préparent tout en protégeant la part du rêve, de l’effort et de l’ambition des jeunes.

O. R : Vous dénoncez les effets pervers des réformes pour les jeunes mais pourtant tous les gouvernements clament qu’il faudrait beaucoup plus d’apprentis.

P. G : Tous les gouvernements « relancent » l’apprentissage comme le « Graal » d’une politique de l’emploi des jeunes. Les embauches en contrats d’apprentissage signés en 2013 ont baissé de 10% par rapport à 2012 et celles des contrats de professionnalisation de 10% entre 2012 et 2011. Globalement sur ces cinq dernières années les embauches sur ces deux contrats cumulés restent assez stables, comme le montrent les statistiques de la DARES [Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail]. A mon sens, nous sommes au bout de ce système, et quels que soient les moyens supplémentaires alloués, les résultats resteront marginaux.

Les contrats de travail apprentissage ou professionnalisation, sont sensibles à la conjoncture économique, surtout pour les niveaux les moins qualifiés, plus directement liés à la production (BTP, mécanique etc.) et à ce niveau très souvent en concurrence avec l’intérim. Autre facteur, le phénomène de substitution entre les différents dispositifs lié à la confusion de la nature de chacun. Si le contrat d’apprentissage est un moyen d’avoir un job, pourquoi ne pas lui préférer un emploi jeune ? La formation devient alors un prétexte.

Par ailleurs, il faut comprendre que ces contrats ne se signent pas tout seuls. Il ne suffit pas d’ouvrir des CFA [centres de formation d’apprentis] pour créer des contrats et des emplois. Il existe un savoir-faire, fruit de longues années d’expérience, une intermédiation très active et commerciale pour mettre en rapport, d’une part, les jeunes entrants, leurs ambitions professionnelles, les savoir-faire à acquérir, et d’autre part, les entreprises, leurs besoins, pour les convaincre de se fiancer. C’est notre travail de tous les jours et c’est pour cette raison qu’une véritable école professionnelle se doit de s’impliquer dans le fonctionnement, les besoins et les anticipations des entreprises comme des jeunes.

O. R : Vous n’êtes pas les seuls à vous sentir stigmatisés aujourd’hui. Les grandes écoles, qui ne sont pas lucratives pour la plupart, disent aussi leur inquiétude.

P. G : Nous sommes aujourd’hui dans une phase de vertu budgétaire de l’État c’est-à-dire que l’on prend toutes les ressources disponibles pour les affecter en priorité et bientôt en exclusivité aux organismes d’État. Tout le reste est plus ou moins maltraité. L’État ne sait pas allouer ses moyens à la performance, donc il enlève au « privé » pour donner à ses services. En compensation les écoles des chambres de commerce et d’industrie ont obtenu un nouveau statut d’autonomie qui leur laisse entrevoir la possibilité d’une assistance, de faire du profit mais pas de distribuer des dividendes. L’apparence est sauve. Demain les structures de management de ces écoles demanderont que le capital soit rémunéré d’une manière ou d’une autre, pour investir et se développer.

O. R : Toujours dans la loi sur l’enseignement professionnel un autre point fait débat : l’affectation de plus en plus contrôlée de la taxe d’apprentissage.

P. G : Les textes édictent l’exclusion des frais de fonctionnement des possibilités d’utilisation de cette ressource. A quoi affecter cette taxe si l’organisme bénéficiaire ne peut pas l’utiliser pour faire fonctionner ses classes, par exemple contribuer à la rémunération des enseignants ? Cette disposition surprenante sera certainement abrogée dans les décrets, le bon sens l’exigera. Mais c’est révélateur d’un état d’esprit. On essaye d’exclure tout ce qui est hors du périmètre des centres de formation d’apprentis et de l’affectation obligatoire. Exactement l’inverse de l’esprit des lois inspirées du « social-delorisme » de 1971. Il est intéressant de lire les articles et les analyses de Jean-Marie Luttringer sur ces aspects.

O. R : Que vont faire les régions des ressources qu’elles auront à affecter ?

P. G : On n’en sait rien aujourd’hui et d’ailleurs quelle compétence ont les régions pour affecter les fonds ? En fait elles suivent le plus souvent les directives de l’éducation nationale. L’un des problèmes des contrats d’apprentissage est cette obligation du financement obligatoire de tous CFA par les régions. Si cette obligation venait à disparaître, je pense que ce serait un grand pas vers un nouvel âge pour ce dispositif.

O. R : Les régions semblent vouloir affecter la taxe aux formations infra bac comme le bac pro ou le CAP. Qu’en dites-vous ?

P. G : Affecter la taxe en priorité aux niveaux IV et V, est-ce pertinent alors que la demande des jeunes est plus qualitative? La modalité pédagogique de l’alternance représente une excellente passerelle vers l’emploi mais cela ne sert à rien de mettre un jeune en situation d’échec scolaire en apprentissage s’il n’en retire aucune motivation ! Essayer de faire entrer de force dès 16 ans des jeunes dans des métiers qui ne les intéressent pas, ça ne marche pas. Et à 16 ans se dire qu’on sera soudeur ou boucher toute sa vie, ce n’est pas ce qu’il y a de plus attirant. Il faut que notre société ait de l’ambition pour sa jeunesse, toute sa jeunesse. Alors le CAP, oui, mais avec de l’ambition et des perspectives.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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