UNIVERSITES

« Les IUT sont tout sauf vides » : Jean-François Mazoin, président de l’Association des directeurs d’IUT

Président de l’Association des directeurs d’IUT (Adiut) depuis 2008, directeur d’un IUT à Toulouse, Jean-François Mazoin entend rétablir quelques vérités sur des IUT très critiqués depuis un an. Alors que se profile la fin de la première partie de la procédure admission-postbac retour sur un modèle qui fonctionne encore très bien.

Olivier Rollot : Ces derniers mois on a surtout parlé des IUT pour dire qu’il y restait de la place et qu’il fallait donc les ouvrir plus largement aux bacheliers technologiques pour les remplir. Qu’en est-il vraiment ?

Jean-François Mazoin : Les IUT sont tout sauf vides même si certaines filières industrielles (génie mécanique ou maintenance par exemple) manquent parfois d’effectifs. Cela à l’exception de certaines régions (Midi Pyrénées et Ile de France au premier chef) dans lesquelles les industries, l’aéronautique par exemple, sont encore très porteuses. Ces places vacantes sont navrantes car il y a des emplois nombreux et bien rémunérés pour les diplômés de ces IUT. Mais revaloriser l’industrie est un problème de société qui n’est pas à 100% du ressort des formateurs.

O. R : Peu de places vacantes vous le dites et pourtant le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche communique largement cette année sur ce thème. Comment l’expliquez-vous ?

J-F. M : Les chiffres utilisés pour donner les places vacantes proviennent d’admission-postbac et sont mal interprétés. Dans APB on demande à tous les établissements de dire quelles sont leurs capacités d’accueil et le logiciel met en regard le nombre de propositions acceptées par les étudiants. Ensuite le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche se contente de les soustraire pour donner des places qui seraient vacantes en oubliant que nous recevons aussi des redoublants, des jeunes en réorientation, des étudiants étrangers qui ne passent pas par APB. Ce qu’il faudrait soustraire ce sont les places réellement ouvertes aux bacheliers d’APB et non pas toutes les places en IUT. Résultat, le phénomène de places vacantes et largement sur dimensionné alors que la plupart des IUT,  sont pleins. Parfois avec plus de 20 – jusqu’à 43 ! – candidats pour une seule place !

O. R : Le ministère de l’Enseignement supérieur vous demande d’accepter plus de bacheliers technologiques en IUT. On a même parlé un temps de quotas. Pourquoi ne le faites-vous pas ?

J-F. M : Vous croyez vraiment que nous refusons des bacheliers technologiques dans les filières industrielles sinistrées ? Notre principal problème c’est le déficit de candidatures. L’année dernière seulement 34% des bacheliers technologiques ont postulé en IUT et à peine 17% ont mis un IUT en premier vœu (dont les deux tiers dans les filières tertiaires). Le bachelier scientifique est rare et les bacheliers technologiques sont d’abord aspirés par les BTS que proposent leurs lycées. Les bacheliers tertiaires sont beaucoup plus nombreux et vont plus largement vers nous. Nous avons beau analyser la question dans chaque IUT que pouvons-nous faire si nous n’avons pas de candidats ? Nous faisons donc la promotion des études en IUT et nous verrons si, peu à peu, plus de bacheliers technologiques nous rejoindront.

La façade de l’IUT de Lens

O. R : On entend parfois que certains IUT, notamment en mesures physiques, ont un tel niveau qu’ils ne conviennent finalement qu’à des bacheliers S titulaires de mention Bien ou Très bien. Est-ce vrai ?

J-F. M : C’est une légende. Un bachelier S avec de telles mentions va en prépas, pas en IUT. A L’IUT Paul-Sabatier que je dirige nous possédons un DUT mesures physiques et nous nous sommes donnés l’objectif, en 2012, d’y faire venir 15% de bacheliers technologiques, nous sommes même allés le chercher jusqu’à une moyenne de 8/20, mais seulement 3% sont venus. Vous avez beau vouloir les prendre, prévoir des dispositifs adaptés, que faire ? Nous ne demandons qu’à recevoir plus de bacheliers technologiques mais cela ne peut pas être décidé depuis Paris.

O. R : L’objectif de la ministre n’est pas seulement de vous envoyer des bacs technos mais aussi de diriger les bacs généraux vers les filières classiques de l’université.

J-F. M : J’entends ça : les bacs professionnels en BTS, les bacheliers technologiques en IUT et les bacheliers généraux en licence. Mais ce serait oublier que, chaque année, 20% de nos inscrits en première année sont des bacs généraux en recherche de réorientation. Des bacheliers généraux qui sont 5 à 10% plus titulaires de bourse qu’en licence (souvent près de 50% de nos effectifs) et pour lesquels nous sommes une vraie voie de réussite. Et que dire à tous ceux qui n’ont tout simplement pas les moyens d’aller étudier loin de chez eux et pour lesquels notre réseau de 200 IUT est indispensable ?

O. R : Dans les reproches qu’on a beaucoup entendu cette année il y a celui que vos étudiants poursuivent à 80% leur cursus quand leur diplôme a initialement été conçu pour mener immédiatement à l’emploi.

J-F. M : 20% de nos diplômés s’arrêtent une fois leur DUT obtenu et 30% poursuivent en licence professionnelle. Comment leur reprocher de vouloir obtenir une licence professionnelle, qui est également un tremplin vers l’emploi, à l’heure du LMD ? Le niveau bac+2 a du sens pour l’emploi mais ne correspond pas à la lisibilité de l’harmonisation européenne. Les 50% restants vont très largement poursuivre leurs études dans des grandes écoles de commerce et d’ingénieurs et accéder ainsi à un niveau cadre

O. R : Ce ne sont pas alors des prépas détournées ?

J-F. M : Non parce que ces parcours forment d’autres types de cadres. Dans les écoles d’ingénieurs ce seront des ingénieurs de terrain. Depuis maintenant deux ans toute notre communauté travaille pour rénover nos programmes nationaux dans le cadre de la réforme des lycées. Nous avons rénové toute l’adéquation emploi / formation et nous allons bientôt publier de nouveaux programmes. De cela personne n’en parle jamais alors que nous sommes la seule filière universitaire qui s’adapte dans une cohérence nationale.

O. R : Vous n’avez pas peur que tous ces débats détournent certains candidats des IUT ?

J-F. M : C’est terriblement dommage qu’on donne des IUT une image dégradée alors que tout le monde reconnaît leur valeur. Mais je suis rassuré par les premiers résultats que nous avons sur admission-postbac et qui prouvent que les inscriptions se maintiennent. Et à ceux qui imaginent détourner les bacheliers généraux des IUT je demande s’ils sont vraiment certains qu’ils iront pour autant en licence ?

O. R : En fait les IUT semblent parfois un peu incompris dans les universités.

J-F. M : Le modèle classique de l’université est fondé sur des études longues et la recherche dans quelques grands centres universitaires. Nous sommes sur tout le territoire et nous délivrons des diplômes à bac+2 et +3 (avec les deux tiers des licences professionnelles), notre culture n’est pas celle de l’université et cela peut conduire à des incompréhensions qui devraient diminuer au fil du temps. L’université a besoin d’approches diversifiées et les IUT attirent des jeunes qui y réussissent très bien.

Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Send this to a friend