Il y a maintenant plus de 20 ans que Didier Jourdan, également directeur général du groupe Sup de Co Montpellier depuis 2009, est à la tête de l’ESC Montpellier. Discret dans les médias il nous livre un entretien passion sur une école qu’il veut être celle de la diversité.
Olivier Rollot : L’ESC Montpellier c’est une école qui fait rarement parler d’elle mais a eu d’excellentes places dans les classements cette année : 6ème meilleure école de commerce française selon Challenges et 63ème en Europe selon le Financial Times. Comment analysez-vous ces classements ?
Didier Jourdan: Nos bons rangs s’expliquent d’abord par les critères choisis, moins «académiques» que dans d’autres classements et mettant l’accent sur la diversité et l’apprentissage : nos deux points forts. 30 à 35% de nos élèves ne payent aucun droit de scolarité et la quasi-totalité suivent la dernière année du cursus en apprentissage. Si vous faites le calcul cela signifie qu’en tout 39% de nos élèves n’acquittent aucun droit et que 51% sont aidés financièrement.
Si on additionne les frais des deux premières années et qu’on en défalque les sommes que nos élèves touchent en troisième année cela signifie qu’ils déboursent en moyenne moins de 2000 € par an pour venir suivre un cursus complet à l’ESC Montpellier.
O. R : Vous êtes la «grande école de la diversité» ?
D. J : Nous avons en tout cas été le premier établissement d’enseignement supérieur à obtenir le label AFNOR « diversité » en 2009. Pour développer une politique d’égalité des chances il est absolument nécessaire de développer plusieurs canaux d’entrée dans nos programmes. Prenons un exemple. Des bac+2 ayant obtenu leur diplôme en alternance ont parfois quelques problèmes pour s’y retrouver entre Louis XI et Louis XVI. Pour autant, ils ont souvent surmonté des «questions de vie» et développé ainsi des profils très intéressants. Nous pensons donc qu’on peut en faire des managers de grande qualité.
En fin de cursus ce ne sont pas forcément les élèves sortis de prépas éco ou de la voie scientifique qui sont les meilleurs des promotions. En trois ans les différences s’estompent et nous prenons bien garde à mixer les populations et à confronter des cultures différentes. Demain quand nos diplômés dirigeront une entreprise ils auront une vraie compréhension positive de la différence source de compétitivité.
O. R : Certains ont dû être inquiets de voir la valeur de vos formations baisser avec cette ouverture sociale ?
D. J : Non seulement ça n’a pas été le cas mais nous avons obtenu successivement plusieurs accréditations internationales : Epas en 2010, AACSB en 2011 et AMBA en 2012 pour notre executive MBA. C’est bien la preuve que la diversité peut se conjuguer avec l’excellence !
O. R : Vous proposez également une filière spécifique aux bacs pros.
D. J : Le parcours « Excellence attitude pro » permet chaque année à 15 ou 20 titulaires d’un bac professionnel – qui échouent à 96% s’ils vont à l’université – de suivre deux ans de cours dans un lycée pour y suivre une formation de «gestionnaire d’unité commerciale», à laquelle nous ajoutons 270 heures de culture générale. Ainsi ils peuvent ensuite postuler à l’entrée dans une grande école de management avec de bonnes chances de réussite.
O. R : Cette politique d’ouverture doit coûter très cher. Comment faites-vous pour la financer ?
D. J : Notre politique de bourses coûte 1,5 million d’euros chaque année à l’institution. J’ajoute que nous sommes l’école française qui touche le moins de sa chambre de commerce et d’industrie: moins de 3% de son budget. Mais nous parvenons à financer cette ouverture et cela fait aussi notre force. Les cadres de nos entreprises partenaires participent au choix des boursiers que nous aidons et sont vraiment heureux de les retrouver épanouis après deux ou trois ans dans l’école.
O. R : Vous n’êtes jamais aidés ?
D. J : A posteriori mais nous préférons avancer qu’attendre des décisions extérieures et impliquer rapidement nos personnels et des entreprises. Nous n’avons pas attendu la création des Cordées de la Réussite pour signer un accord avec sept collèges de ZEP de la région. Quand elles ont été créées elles ont pu absorber une partie de notre activité mais sans commune mesure avec notre investissement.
O. R : La région Languedoc-Roussillon vous aide bien à développer l’apprentissage?
D. J : Elle nous suit mais, encore une fois, nous préférons faire payer plus aux entreprises (12 000 € par étudiant par an) que d’attendre ses décisions sur l’augmentation possible ou pas du nombre d’apprentis. Les cursus en apprentissage font souvent perdre de l’argent aux écoles – notre coût réel est supérieur à 14 000€ par année d’études – mais permettent de développer la diversité dans nos recrutements en faisant table rase de la question financière.
O. R : Pour financer ces aides vous avez créé une fondation il y a deux ans.
D. J : Placée sous l’égide de la Fondation de France elle nous permet notamment de financer des bourses d’excellence internationales afin d’aller chercher des étudiants étrangers dotés de grandes qualités académiques mais défavorisés socialement et financièrement. Avec le concours d’entreprises comme Haribo France, Adecco ou Oracle, pour n’en citer que quelques-unes, nous finançons ainsi non seulement les frais de scolarité mais aussi les frais de séjours et de vie d’une dizaine d’étudiants chaque année.
O. R : On dit souvent que les anciens diplômés des écoles françaises ne sont pas généreux. C’est aussi le cas chez vous ?
D. J : Le problème réside dans le fait qu’ils croient souvent avoir déjà beaucoup donné en finançant leurs études et ne pensent pas avoir à redonner ensuite à leur école. Or un élève acquitte au maximum 60 ou 70% des coûts réels de son cursus. Nous devons briser ce tabou que nous véhiculons depuis plusieurs décennies.
O. R : Vous insistez beaucoup sur les accords internationaux.
D. J : Oui et pas seulement dans les écoles accréditées Equis ou AACSB [les deux grandes accréditations internationales des business schools]. Nous considérons que les échanges internationaux doivent aller bien au-delà du simple enseignement pour appréhender la culture des autres et rapprocher les peuples. Il faut casser certains modèles pour en construite d’autres qui respecteront les cultures et les valeurs des différentes sociétés. Par exemple, nous avons reçu, durant plus d’une décennie des étudiants colombiens en échanges alors qu’aucun étudiant français ne voulait aller en Colombie pour cause d’insécurité.
Cette année, nous ouvrons une filiale au Sénégal, à Dakar, qui va devenir un véritable hub pour toute l’Afrique noire et où nous appliquerons les mêmes principes qu’en France : 30 à 35% des élèves ne payeront aucun droit de scolarité et nous voulons que nos salariés là-bas bénéficient des mêmes conditions sociales qu’en France.
O. R : Entre autres pour favoriser l’imprégnation internationale de vos étudiants, votre cursus dure forcément 4 ans. Ce qui est unique !
D. J : Notre cursus comprend une année obligatoire à l’étranger dans une université partenaire et une autre en entreprise. En tout quatre ans justifiés par notre pédagogie de l’action, mais il faut préciser que nos élèves ne payent que trois années de droits de scolarité.
O. R : Une question plus politique. Aux actuels pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) vont succéder cette année les ComUE (communautés d’universités et d’établissements). Comment se déroule la transition ?
D. J : Nous sommes l’un des membres fondateurs du PRES de Montpellier et travaillons aujourd’hui avec toutes les universités qui vont constituer demain une ComUE de 65000 à 70 000 étudiants dont 2500 issus de Sup de Co Montpellier. Si cela se passe aussi bien c’est que notre partenariat avec les universités de Montpellier 1, 2 et 3 ne date pas d’hier : il y a quinze ans que nous proposons à nos étudiants de passer des doubles diplômes Master à l’université – 27 en tout aujourd’hui – comme aux étudiants de l’université de venir suivre certaines de nos spécialisations professionnelles. Dans les deux cas sans aucun coût supplémentaire. Aujourd’hui tous nos étudiants de 1ère année du master grande école peuvent également obtenir la licence en management des sciences et technologies de l’IAE Montpellier.
Nous sommes également parmi les membres fondateurs d’une équipe unique en France, « Montpellier recherche en management » (MRM), qui réunit les enseignants-chercheurs et les doctorants de la région en gestion, qu’ils soient issus des universités ou de notre école. Une équipe qui a été évaluée « A » par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur [Aeres, organisme d’évaluation français qui note les organismes de C à A+]. Nous sommes très respectueux des universités qui ont un modèle économique différent du nôtre et avec lesquelles nous avons naturellement des relations de complémentarité.
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