Logement des jeunes : une crise sans fin selon l’ESPI

by Sanah Mousshine

Lors de la conférence de presse du Conseil Scientifique de l’École Supérieure des Professions Immobilières (ESPI), chercheurs et professionnels du secteur ont dressé un constat préoccupant sur la situation du logement des jeunes en France. Une crise qui s’inscrit dans une dynamique plus large, celle de la chaîne du logement.

Un marché saturé, des dispositifs inefficaces ?

Avec plus de trois millions d’étudiants, la France se heurte à un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande en matière de logement. Malgré un taux de vacance élevé dans certaines métropoles comme Paris, Lyon ou Bordeaux, les jeunes peinent à en bénéficier, freinés par des critères d’accès restrictifs et des loyers souvent prohibitifs. Ce sont des points  « clés à traiter pour permettre aux étudiants de se loger plus facilement », souligne Raphaël Adanjo, alumni de l’ESPI qui a écrit son mémoire sur le sujet. Il met en lumière les limites de dispositifs tels que la garantie Visale ou le bail mobilité qui, bien que pensés pour offrir davantage de flexibilité, ne répondent pas pleinement aux besoins d’accessibilité des étudiants.

Mais pour Samuel Depraz, directeur du laboratoire de recherche ESPI2R de l’école, le problème dépasse largement le cadre étudiant : « On ne parle pas que du logement des jeunes […] on parle d’une chaîne du logement ». Selon lui, « le problème des jeunes ne se pose pas qu’à l’horizon des jeunes mais se pose sur l’intégration de toutes les étapes de vie […] un étudiant n’est autre qu’un futur ménage ». Il insiste : « Le logement des jeunes doit être considéré comme le point d’entrée dans cette chaîne du logement ».

Ce blocage s’explique en partie par un déficit de production de logements, notamment destinés à la vente. Les primo-accédants rencontrent des difficultés pour acheter, prolongent leur statut de locataires et freinent ainsi la libération de biens pour les nouveaux entrants, tels que les étudiants. À cela s’ajoutent les effets du vieillissement démographique et la pression exercée par les résidences secondaires dans les grandes villes. « Nous sommes face à un problème systémique », estime Samuel Depraz.

Une production de logements en recul

Les données du SDES (Service des données et études statistiques est le service statistique des ministères en charge de l’énergie, des transports, du logement et de l’environnement) de septembre 2025 concernant la production du logement confirment une rupture nette en 2022, dernière année de forte production de logements, avant la fin des dispositifs fiscaux tels que Pinel. Depuis, la construction est en recul, avec une baisse de 25 % à l’échelle nationale. Une légère reprise est observée depuis 2024, mais elle reste insuffisante. Les promoteurs, eux, font face à des invendus, souvent dus à des typologies de biens inadaptées : surfaces trop grandes, mauvaise localisation.

Les recherches du laboratoire ESPI2R souligne que « le facteur géographique est important, il faut savoir où est le besoin ? Nous sommes sur du périurbain […] l’ouest de la France, le littoral atlantique (notamment Bordeaux) jusqu’au Pays Basque mais aussi la vallée du Rhône et les frontières Suisse, Allemagne, Luxembourg ». Et pour répondre aux évolutions des comportements des ménages, « chaque année, nous aurions besoin de près de +180 000 logements (soit 36 %) », estime Samuel Depraz.

Pour autant le taux de vacance ne peut être totalement supprimé : « Il est indispensable d’avoir au minimum 4 % de vacances pour que le marché immobilier tourne correctement », rappelle-t-il. En revanche, la typologie des logements constitue un véritable frein : « Beaucoup trop de logements disposent de grands espaces par rapport au profil des ménages et en particulier des étudiants qui recherchent en particulier des T1/T2 ».

Un enjeu social majeur Le manque de logements adaptés entraîne des conséquences dramatiques. Selon le rapport Logement des jeunes : une urgence sociale l’ampleur de la crise du logement est sans précédent : près de 5 millions d’adultes (dont 1,3 millions âgés de 25 ans et plus) vivent chez leurs parents, soit un chiffre en hausse de 250 000 personnes en 7 ans. « 17 % des étudiants abandonnent leurs études faute de logement économiquement accessible », indique Jean Luc Beho, président des entretiens d’Inxaustea dédiés au logement étudiant et membre du Conseil national de l’Habitat, en référence à un sondage Opinion Way paru en mai 2023. La question du logement est souvent à l’origine de la suspension des parcours d’études. Pour les étudiants en apprentissage, « certains ont des contrats de travail qui ne cadrent pas avec les demandes du logement privé », ajoute-t-il.

En tout il manquerait près de 600 000 logements étudiants. Dans le parc privé, où résident 74 % des jeunes âgés de 18 à 30 ans, les loyers restent élevés et les surfaces souvent réduites. « La plupart de ces logements sont de piètre qualité (petits, chers…) », constate Jean Luc Beho. À Paris, la situation est particulièrement critique : « Il est quasi impossible pour un jeune de se loger à Paris sans une quelconque forme de soutien (connaissance, garant, financier…) »,  souligne le rapport.

Jean-Luc Beho

Le logement social : une solution ignorée par les jeunes ? Le logement social pourrait constituer une alternative, mais il reste largement sous-utilisé par les moins de 30 ans. En 1985, « une étude démontre que 24 % des détenteurs de bail au sein d’un logement social avaient moins de 30 ans. Aujourd’hui, c’est 6 % ». Ce type de logement est souvent perçu comme inadapté aux étudiants. « La typologie du logement est une cause mais il y a aussi le fait que le logement social est perçu comme non fait pour les étudiants lorsqu’on les interroge avec des arguments plus ou moins cohérents », indique le rapport Logement des jeunes : une urgence sociale. Parmi ces freins figure le temps d’attente : le temps d’attente. « La moyenne d’attente pour un logement social est hors de portée pour des étudiants qui ont la plupart du temps besoin d’un logement rapidement » souligne Jean Luc Beho, notamment lorsqu’une formation ou un travail débute loin du domicile familial.

Face à ces constats, une question demeure : comment repenser l’accès au logement pour les jeunes dans un marché tendu et fragmenté ? Entre dispositifs à renforcer, production à relancer et perception à changer, la réponse ne pourra être que collective.

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