Au début il y avait une Grande école de commerce : l’Inseec. Quarante-trois ans après le groupe Inseec U. est l’un des principaux acteurs de l’enseignement supérieur privé français, présent dans le management comme dans les écoles d’ingénieurs. Rebaptisée Inseec School of Business & Economics, l’école de management à laquelle le groupe doit son nom est aujourd’hui en pleine refondation sous l’impulsion de sa nouvelle directrice : Isabelle Barth.
Olivier Rollot : Comment en êtes-vous arrivée à remettre à plat tout le cursus de ce qui devient l’Inseec School of Business & Economics ?
Isabelle Barth : Quand nous nous sommes rencontrées pour la première fois avec la présidente du groupe Inseec U., Catherine Lespine, en novembre 2017, c’était pour évoquer l’idée de faire véritablement d’Inseec U. une entité globale en mettant en place une faculté de recherche – et de valorisation – commune à tout le groupe. Aujourd’hui les enseignants-chercheurs de l’école d’ingénieurs du groupe, l’ECE, comme les écoles de management gradées que sont l’Inseec School of Business & Economics, l’ESCE et l’EBS, mais aussi ceux qui enseignent dans d’autres programmes comme des MSc, travaillent ensemble.
Inseec U. est un acteur privée de l’enseignement supérieur légitime dans la recherche. Dans ce cadre l’école éponyme du groupe depuis 1975 se devait d’être au premier rang. C’est avec cette ambition que j’ai pris la direction de l’école en toute cohérence avec celle de la recherche du groupe.
O. R : Vous avez parlé de mode « reset » pour les programmes de l’Inseec School of Business & Economics. C’est une sorte de retour à ses fondamentaux ?
J. B : Nous devons retrouver l’esprit d’une école qui avait su être pionnière il y a 45 ans. Nous sommes aujourd’hui sur un « reset » complet de notre projet pédagogique avec comme nouvelle baseline « Deep Education Takes You Further » (« Le savoir peut vous emmener très loin »). Quant au nouveau nom, Inseec School of Business & Economics, il s’agit de l’économie politique qu’a portée Adam Smith et sa « Richesse des nations », qui incarne une vision du management inscrit dans des ensembles plus larges portés par l’histoire, la sociologie, la politique …
L’Inseec fut créée en 1975 juste après le déclenchement de la première crise pétrolière. Aujourd’hui aussi nous devons nous réinventer pour tirer les leçons de la crise de 2008. Ce fut un peu la même chose après la Seconde Guerre mondiale quand Gaston Berger créa les instituts d’administration des entreprises (IAE) et les Insa. Ou après la Guerre de 1870 quand on créa Sciences Po en 1875.
En quarante ans l’école avait beaucoup grandi, inventé, s’était très tôt tournée vers l’apprentissage, avait été la première à créer des summer sessions aux Etats-Unis, avait été le ferment de tout le groupe avant de rentrer dans le rang et, finalement, de perdre sa personnalité. Or l’Inseec School of Business & Economics est le « flagship » du groupe auquel s’identifient les étudiants de tous les programmes. Elle doit tirer tout le groupe vers le haut et jouer ainsi pleinement son rôle de « navire amiral ».
O. R : Comment avez-vous procédé pour « réinitialiser » vos programmes ?
J. B : Entourée d’experts du secteur tels l’ancien directeur de l’Essec, Jean-Pierre Boisivon, celui de l’enseignement la CCI Paris Ile-de-France, Xavier Cornu, ou encore l’ancien proviseur du lycée Louis-Le-Grand, Michel Bouchaud, j’ai reçu une carte blanche de Catherine Lespine pour réinventer le cursus de l’Inseec.
Mon premier constat a été que l’école tournait bien, avec beaucoup d’atouts comme, par exemple, le campus de Londres, le campus de San Francisco, les passerelles avec des écoles de création, de marketing digital, de sciences politiques et d’excellentes initiatives comme « La nuit de la crise » ou des séminaires de design thinking… Sur la base de ce diagnostic, j’identifie des scénarios. Ma conclusion : faisons plutôt un pas de côté que suivre les courants dominants. Il y a dix ans qu’on appelle à une refondation des enseignements de gestion. Avec le développement de l’intelligence artificielle (IA), tout le monde converge enfin pour estimer qu’il faut former autrement. Or tout le monde bricole, ajoutant de ci de là des conférences de philosophie, de méthodes, ou des cours de codes. Notre projet à l’Inseec est d’innover radicalement, pas de rénover.
O. R : Allez-vous maintenir le même niveau de recrutement en classe préparatoire en dépit d’un taux de remplissage insuffisant cette année dans le cadre du Sigem ?
J. B : Nous sommes restés sur le même nombre de places tout en étant conscients que ce sera un gros défi de les remplir. Nous n’étions sans doute pas suffisamment présents auprès des élèves ou des professeurs. Cette année nous avons comme priorité de retrouver cette proximité essentielle.
Nous espérons recruter aussi de nouveaux types d’étudiants, issus de cursus d’histoire, philosophie, droit, etc. comme cela se fait depuis longtemps dans les pays anglo-saxons. Ce que nous proposons c’est un contrat moral : on se choisit mutuellement avec nos étudiants puis nous les accompagnons pour aller jusqu’au bout avec tous.
O. R : Les classes préparatoires sont concurrencées par de nombreux autres cursus postbac, Sciences Po, bachelors, etc. Quelles compétences particulières apportent-elles à leurs élèves et comment au mieux les utiliser ?
J. B : Il faut montrer que les classes préparatoires apportent tout un portefeuille de compétences – opiniâtreté, résilience, sens de l’argumentation, gestion du temps etc. – qui vont bien au-delà des connaissances et seront utiles toute la vie.
A nous de surfer ensuite sur ces compétences dans une plus grande continuité. Bien sûr nous devons expliquer à nos étudiants ce qu’est le débit / crédit en comptabilité mais nous formons des managers, pas des aides-comptables ! La clé, comme dans les entreprises, est de « donner du sens ».
O. R : Quel rôle jouent les élèves de classes préparatoires dans cette refonte ?
J. B : Les élèves issus classes préparatoires sont le trésor des écoles de management. Leur attente est immense vis à vis d’écoles qui se sont lancées à corps perdu dans la digitalisation pour de bonnes raisons mais aussi de mauvaises que sont la réduction de la masse salariale et des heures de cours en présentiel. S’ils ont besoin d’un bagage en management, beaucoup d’étudiants issus de classes préparatoires ne trouvent pas dans les écoles de « piste d’atterrissage », regrettent de ne plus suivre de cours de ceux qu’on appelle aux Etats-Unis les « liberal arts » et qui regroupent la philosophie, l’histoire, etc. « Humanité et société » est le premier pilier de notre pédagogie dans la logique du « continuum » classe préparatoire / Grande école que travaillent aujourd’hui à faire émerger les professeurs de l’APHEC (Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales) et les écoles de management. Nous ferons d’ailleurs appel aux professeurs de classes préparatoires dont les qualités pédagogiques sont exceptionnelles.
Cet apport de culture générale est aussi bénéfique pour les étudiants issus de DUT, licence professionnelle, prépas ECT, prépas ATS… qui en ont moins bénéficié pendant leur cursus.
O. R : Avec ce nouveau cursus plus tourné vers la culture générale, comment professionnalisez-vous vos étudiants ?
J. B : Notre projet répond aux attentes des entreprises qui sont de plus en plus demandeuses de compétences transverses et relationnelles. « Tout ce que demande le client est transversal », analyse le P-DG de Renault-Nissan, Carlos Ghosn. Il faut savoir conduire le changement, mobiliser les équipes. A nous de transmettre à nos étudiants les compétences qui leur permettront de rester employables. Commencer un cours de comptabilité par l’histoire des nombres, parler de la Chine actuelle en racontant son histoire c’est permettre d’acquérir une pensée autonome.
Nous allons professionnaliser nos étudiants petit à petit. Les professionnaliser sans trop les spécialiser sinon il y a un risque d’obsolescence. Ils doivent être capables d’apprendre et de réapprendre toute leur vie. On subit le changement quand on est incapable d’évoluer ! D’ailleurs le deuxième pilier de notre pédagogie est « altérité et connaissance de soi ».
O. R : Allez-vous introduire beaucoup d’innovations pédagogiques dans votre projet ?
L’innovation pédagogique est au cœur de notre projet mais elle ne rime pas seulement avec digitalisation. Nous travaillons actuellement à ces innovations avec chaque fois la rédaction d’un cahier des charges rigoureux.
En effet, on voit passer beaucoup d’innovations séduisantes mais pas cadrées. Nous recréons ainsi les « missions ethnologiques en entreprises, nous proposons des séminaires sont les étudiants seront les architectes pédagogiques. Il y aura aussi des semaines bloquées avec l’analyse multidisciplinaire d’un grand évènement de l’humanité comme la révolution française. Nous revenons au grand oral avec la présentation d’un projet de fin de cursus…
O. R : Toutes ces innovations ne vont-elles pas coûter très cher à mettre en œuvre ?
J. B : Nos enseignants-chercheurs se repositionnent vers des compétences finalement beaucoup plus proches de leur cœur de métier. De même nos intervenants professionnels sont pleins d’idées pour faire évoluer leur enseignement. De plus nous bénéficions des moyens du groupe Inseec U. La Prépa Saint-Germain, l’Académie de l’éloquence que crée Eric Cobast, les campus de Londres, San Francisco ou Berkeley sont autant d’atouts. Sans parler des synergies possibles avec notre école d’ingénieurs, l’ECE, Sup de Pub dans le design, Crea Genève en digitalisation.
C’est pour cela que nous organisons des workshops qui réunissent tous nos enseignants. Sur des thématiques comme la smart city, les ingénieurs peuvent ainsi avoir consciences d’impacts de la voiture autonome qu’ils n’imaginent pas forcément mais que connait le chercheur en gestion. Plus largement avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle, du « deep learning », des MOOCs ou de la digitalisation quelle est la place du sachant ? Avant l’enseignant parlait de ses recherches, écrivait des livres, aujourd’hui il se sert du manuel d’un autre professeur. Notre métier est très ancien mais fragile car terriblement disrupté.
O. R : Espérez-vous obtenir les accréditations internationales les plus prestigieuses pour l’Inseec School of Business & Economics au-delà de l’Amba Master que vous possédez-déjà ?
J. B : Je ne sais pas si nous devons aller au-delà d’Amba. Ne pas avoir d’autres accréditations ne nous empêche pas d’avoir de très bons partenariats. Or les accréditations, si elles sont un bon outil de management et de process, ne sont pas une garantie d’innovation. Or notre moto, c’est « innovation first ! »
O. R : Linkedin, Twitter, Xerfi, le Huffpost, votre présence dans les médias fait de vous la plus connue des directeurs d’écoles. Comment gérez-vous cette exposition médiatique ?
J. B : Les enseignants-chercheurs en gestion ne savent pas assez dialoguer avec la société. Je me suis employée à ce dialogue à tous les niveaux. C’est notre devoir de rayonnement d’aller à la rencontre des professionnels bien sûr mais aussi du grand public. Avec Linkedin ou Xerfi Canal je propose des analyses du management. Sur le Huffpost je m’adresse à tout le monde en donnant des clés pour la vie de tous les jours, comment organiser son emploi du temps, vivre une rentrée difficile, etc. Ce que je m’interdis c’est de la politique. Je fais partie du monde de l’éducation et je n’ai pas à faire part de mes convictions politiques.
Le groupe INSEEC U
Avec 2500 élèves, le programme Grande école de l’Inseec ne représente que 10% des étudiants du groupe INSEEC U. mais n’en est pas moins la « matrice du groupe qui doit profiter en premier de toute notre stratégie éducative », selon l’expression de Catherine Lespine sa présidente. Preuve de la confiance dans le projet la surface des locaux parisiens de l’Inseec School of Business & Economics va doubler avec la location du bâtiment voisin qui nécessitera 8 millions d’euros de travaux. Un troisième grand projet porte sur la transformation digitale du groupe avec 20 millions d’euros d’investissements.