Située à Rennes, l’Ensai vient de lancer un master international (MSc) consacré à une spécialité de plus en plus recherchée par les entreprises : les « Big Data ». L’occasion d’aller à la rencontre d’une école d’ingénieurs pas tout à fait comme les autres qui forme des ingénieurs statisticiens.
Olivier Rollot : Qu’est-ce que c’est que ces « Big Data » que vous allez enseigner dans votre nouveau master ?
Pascal Chevalier: Ce sont des données en grande quantité, des données massives, avec aujourd’hui la caractéristique dans bien des cas de connaître des mises à jour fréquentes, voire en continu, et la particularité de provenir de multiples sources de données. C’est ce qu’on appelle les trois « v » : volume, vitesse, variété. Et pour les traiter il faut des compétences particulières car le traitement de ce nouveau type de données nécessite des méthodologies particulières, à la fois statistiques et informatiques, qui ont des conséquences sur les logiciels de traitement en particulier.
Notre diplôme de Master international est justement ouvert à un public français et international justifiant d’une formation en statistique, mathématiques appliquées ou informatique de niveau M1. Ils suivront un an de formation, entièrement dispensée en anglais, comprenant un stage.
O.R: La médiatisation autour de ces Big Data est impressionnante en ce moment. Pourquoi ?
P. C : Il y a dix ans on parlait déjà de « data mining », qui visait à essayer de faire parler des données déjà nombreuses. Mais depuis, avec la montée en puissance des réseaux sociaux, de la téléphonie mobile, des capteurs, etc. la somme des données à traiter a explosé et il a fallu créer de nouveaux espaces de stockage, et innover dans les méthodologies de traitement des données. En 2011, un rapport du cabinet de conseils McKinsey estimait à 500 000 le besoin en termes de profils recherchés dans le domaine à l’horizon 2016 dans le monde.
Avec ce nouveau diplôme national de master, nous voulons former de véritables experts de l’analyse des données massives, ceux qu’on appelle les « data scientists ». Les formations en France restent peu nombreuses dans le domaine. On peut citer le mastère spécialisé déjà proposé par Télécom ParisTech, plus orienté informatique que le master proposé par l’école.
O.R: Vous pouvez nous donner un exemple d’utilisation des Big Data ?
P. C : Dans le domaine des assurances, prenez un assureur auquel un jeune conducteur s’adresse pour avoir un tarif préférentiel. Ce sont des choses qui commencent à apparaître sur le marché aujourd’hui. L’assureur va l’accepter mais, en échange, lui demander de mettre un capteur qui analysera sa conduite. Cela va produire des flux de données très importants qu’il va falloir analyser. Beaucoup d’entreprises sont aujourd’hui dans ce cas et peuvent soit embaucher des experts soit confier leurs études à des intervenants extérieurs.
O.R: Au-delà de ce master international, enseignez-vous les Big Data à tous vos élèves ingénieurs ?
P. C : La formation d’ingénieurs est le cœur de notre formation et nous leur proposons une filière consacrée aux Big Data en troisième année. Pour autant nos promotions sont d’un nombre encore assez restreint : 80 élèves chaque année auxquels se mêlent, pendant les deux premières années de leur cursus, 40 à 50 élèves attachés de l’Insee.
O.R: Vous êtes une école d’ingénieurs un peu particulière puisque centrée sur les statistiques. Quels profils viennent à l’Ensai ?
P. C : L’analyse et le traitement de l’information sont des disciplines scientifiques qui entrent tout à fait dans les champs d’application des techniques de l’ingénieur. Les étudiants qui nous rejoignent sont avant tout intéressés par les mathématiques, voire par la dimension informatique. Nous leur apportons une triple compétence : statistiques, informatique et économétrie. La grande majorité vient donc de prépas MP et MP* mais nous avons des Khâgnes B/L ou des élèves en prépa ENS Cachan. Enfin nous recevons sur titres des titulaires d’un DUT STID, d’une licence ou encore des étudiants en première année de master.
O.R: Des forts en maths d’accord mais des filles aussi ?
P. C : Et même beaucoup pour une école d’ingénieurs : 40% de nos effectifs. Peut-être parce que nous recrutons en Khâgnes B/L mais aussi parce que le traitement de l’information les passionne.
O.R: Vous le disiez, vous recevez également des élèves fonctionnaires de l’Insee. Quel est au juste leur statut ?
P. C : Ils sont rémunérés pendant les deux ans de leur formation et occupent tout de suite un poste ensuite. Ils ne sont donc pas ingénieurs mais peuvent obtenir ensuite un master en statistique publique en formation continue.
O.R: Tous les ingénieurs se placent bien sur le marché de l’emploi mais les vôtre semblent encore mieux s’en sortir…
P. C : Ils sont effectivement employés très rapidement après la fin de leurs études par des grandes entreprises qui leur offrent en moyenne une rémunération annuelle supérieure à 36 k€ par an, soit 10% au-dessus de la moyenne des écoles d’ingénieurs.
O.R: Pourquoi ne pas en former plus ? 80 ce sont de toutes petites promotions.
P. C : Nous souhaiterions en former plus pour répondre au besoin croissant dans ce domaine de la part des entreprises, mais la taille de nos bâtiments ne le permet pas.
O.R: Au côté de l’Ensae ParisTech, l’Ensai fait partie du GENES, le Groupe des écoles nationales d’économie et statistique, qu’est-ce que cela vous apporte ?
P. C : D’abord la possibilité de participer à des recherches communes dans le cadre d’un laboratoire, le Crest, ensuite d’aller chercher des contrats de recherche dans les entreprises, enfin de créer des chaires comme celle que nous sommes en train de mettre en place sur les Big Data.
O.R: Décidément les Big Data sont omniprésentes à l’Ensai. Vous organisez également une journée qui leur est consacrée.
P. C : Mais nous voulons être l’école des Big Data !