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Paris-Malaquais adhère à l’université PSL: «Une école d’architecture française devient composante d’une université de rang mondial»

Entretien avec Jean-Baptiste de Froment, directeur de l’École d’architecture Paris-Malaquais (© École d’architecture Paris-Malaquais – PSL / Th. Aveline)

Ca y est : l’École d’architecture Paris-Malaquais adhère à l’université PSL. Son directeur, Jean-Baptiste de Froment, revient avec nous sur ce que cela va changer sur son école mais aussi sur l’évolution de l’enseignement des écoles d’architecture.

Olivier Rollot : Le décret officialisant l’adhésion de l’École d’architecture Paris-Malaquais à l’Université PSL, ainsi que celle de l’École des Arts Décoratifs, a été publié le 25 janvier 2025. Qu’est-ce que cela va changer pour votre école, qui était déjà partenaire de longue date de PSL ?

Jean-Baptiste de Froment : L’intégration à PSL est pour nous un événement majeur. Pour la première fois, une école d’architecture française devient composante d’une université de rang mondial. Cela va nous permettre d’accélérer notre internationalisation et de développer des programmes d’enseignement et de recherche croisés avec tous les établissements de PSL, en particulier les écoles d’art et les écoles d’ingénieur. Et nous continuerons naturellement à bénéficier, comme c’est le cas depuis quelques années en tant que partenaire, des services mutualisés de PSL : santé, vie étudiante, welcome desk pour les étudiants internationaux, documentation, sport. Nous n’aurions jamais eu les moyens de développer de tels outils si nous étions restés isolés.

Dans le même temps, Paris-Malaquais conserve sa personnalité morale, et reste sous tutelle principale du ministère de la Culture. Nous entendons aussi, naturellement, garder la spécificité qui est la nôtre : la culture du projet (au cœur de la pédagogie) et un lien fort avec le monde professionnel (grâce à nos enseignants qui exercent également comme architectes). Cet ancrage dans « la vraie vie » est un atout, que nous apportons à PSL avec notre intégration.

O. R : En quoi la pédagogie des écoles nationales d’architecture est-elle spécifique ?

J-B. de F : C’est une pédagogie centrée sur le projet. Chaque semestre, les étudiants s’attaquent à un problème spatial concret où se combinent des questions de forme, de structure, de matériaux, mais aussi des contraintes économiques, urbanistiques, environnementales, des besoins sociaux… L’architecture est une discipline multi-dimensionnelle et c’est ce qui fait son attractivité. Sa spécificité peut également générer un certain entre-soi, qui nous expose à une forme d’isolement, avec le risque d’être coupée de l’innovation portée par d’autres secteurs. En entrant dans PSL, nous nous décloisonnons pour monter en gamme.

O. R : Votre intégration vous porte-t-elle également à l’international ?

J-B. de F : Oui. Au-delà de ses effets sur l’offre de formation, entrer dans PSL nous apporte une carte de visite à l’international ou dans les classements. Cela a été récemment un facteur facilitant pour établir par exemple une collaboration avec The Bartlett School of Architecture, l’une des meilleures écoles d’architecture dans le monde, et qui est composante du University College London, partenaire stratégique de PSL. Beaucoup d’écoles d’architecture dans le monde sont intégrées à des ensembles universitaires : adopter ce modèle rend les discussions plus faciles.

O. R : Et que va apporter l’École d’architecture Paris-Malaquais à PSL ?

J-B. de F : Je ne peux pas m’exprimer pour son président mais pour PSL, qui possède des champions académiques, intégrer des écoles qui ont comme ADN un lien direct avec les professionnels et l’interdisciplinarité apporte beaucoup.

O. R : L’École d’architecture Paris-Malaquais fera-t-elle partie de la future « Paris School of Arts » que veut créer PSL ?

J-B. de F : La présence au sein de PSL d’un très fort pôle artistique est une de ses spécificités et constitue un atout majeur. L’idée d’une « Paris School of Art », portée par El-Mouhoub Mouhoud, nouveau président de PSL, permettrait de fédérer toutes ces différentes écoles, selon des modalités qu’il nous faudra inventer. Paris-Malaquais a évidemment vocation à participer à cette aventure, aux côtés de l’ENSAD et du CNSAD (également composantes de PSL), ainsi que de la FEMIS, du CNSMD et des Beaux-arts de Paris (partenaires, et peut-être pour certains, futures composantes de PSL). « Art » doit naturellement être compris au sens large et inclure les disciplines créatives engagées dans la transformation concrète du monde, celles qui placent l’utilité sociale au cœur de leurs missions : ce qui est éminemment le cas de l’architecture. Au sein de PSL nous avons des titulaires de prix Nobel, de médailles Fields, de médailles d’or du CNRS : mais il ne faut pas oublier des récompenses artistiques comme les Molières, les Césars, ou les prix Marcel Duchamp, sans oublier les prix Pfitzner ou les Equerres d’argent (prix qui récompensent des architectes). L’université doit apprendre à promouvoir l’excellence artistique, qui est également un vecteur de connaissances.

C’est l’un des objets du programme doctoral de recherche-création interdisciplinaire SACRe de PSL, dispositif unique et pionnier en France depuis 2012, que nous intégrons.

La cour dite du Murier que l’Ensa Paris-Malaquais partage avec l’Ecole des Beaux-arts de Paris sur le site du 14 rue Bonaparte (© École d’architecture Paris-Malaquais – PSL / Th. Aveline)

O. R : Nous parlons de recherche. Où en est la formation doctorale des architectes ? Vos enseignants sont-ils tous des praticiens ?

J-B. de F : La formation d’architecte dure cinq ans. Une année supplémentaire est nécessaire pour obtenir l’habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre (HMONP), nécessaire pour s’inscrire à l’Ordre et créer sa propre agence. Il est également possible de poursuivre son cursus en doctorat comme c’est aujourd’hui le cas chez nous pour 30 doctorants accueillis au sein de 3 laboratoires de recherche.

La mission de recherche est inscrite depuis 2018 dans les obligations statutaires des enseignants que nous recrutons : tous sont considérés comme des enseignants-chercheurs. Il faut veiller, je l’ai dit, à conserver un lien fort avec le monde professionnel, mais tout en s’ouvrant à la réflexion et aux innovations. Le modèle corporatiste a ses limites : une bonne formation ne peut pas consister à transmettre les « recettes » du passé.

Pour conserver le meilleur des deux mondes (professionnel et universitaire), je crois beaucoup à la recherche par le projet / la création, qui permet à des architectes praticiens d’élaborer des outils théoriques à partir de leur pratique. C’est aussi l’objet du programme SACRe évoqué plus haut.

O. R : La ministre de la Culture, Rachida Dati, vient de présenter une nouvelle stratégie nationale pour l’architecture qui prévoit notamment d’augmenter de 20% le nombre d’étudiants formés dans les écoles. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

J-B. de F : Aujourd’hui les écoles d’architecture ne comptent que 19 000 étudiants et ce nombre est stable depuis 25 ans. Résultat : si on regarde les comparaisons internationales, nous sommes aujourd’hui l’un des pays occidentaux qui compte le moins d’architectes par habitants. Si vous ne formez pas assez d’architectes, la conséquence sur la qualité du bâti – y compris du point de vue écologique – est mécanique. Il paraît donc important de mettre fin au malthusianisme qui a présidé depuis plusieurs décennies. D’autant que nos formations n’ont jamais été aussi attractives :  à Malaquais, nous n’avons jamais eu autant de candidatures pour rentrer en première année d’école qu’aujourd’hui : 3 200 pour 105 places. Lors de nos dernières journées portes ouvertes nous avons reçu 3 500 personnes en un jour et demi. Le métier attire de plus en plus de jeunes, qui l’associent aux grandes questions de transition.

Dans la région parisienne, cependant, la place manque pour accueillir davantage d’étudiants, en particulier dans notre école. La meilleure solution paraît de développer des antennes dans des régions aujourd’hui dépourvues d’école d’architecture : ce qui permettrait d’assurer un meilleur maillage territorial. Il n’y a, par exemple, pas d’école à Tours, ou Nice, ou en Bourgogne-Franche-Comté. Il n’y en a qu’une en Nouvelle-Aquitaine. Outre-mer, il n’y a que celle de La Réunion, qui vient d’être créée. Beaucoup de collectivités seraient prêtes à investir dans de telles installations. Ensuite, évidemment, ce sera à l’État d’assurer les frais de fonctionnement.

O. R : Paris-Malaquais est très contrainte par ses locaux et une cohabitation pas toujours simple avec les Beaux-Arts avec lesquels un projet de campus commun a été envisagé ?

J-B. de F : Notre implantation dans l’hyper centre de Paris, sur le site historique de l’enseignement de l’architecture en France, que nous partageons avec les Beaux-arts de Paris, est un atout exceptionnel : pour nos étudiants, qui se trouvent au cœur d’un écosystème académique et culturel presque sans équivalent dans le monde ; et tout autant vis-à-vis de nos partenaires extérieurs, notamment à l’international. Le voisinage avec les Beaux-arts est également une chance : car il invite à imaginer des collaborations, notamment en matière de recherche, ou sur des sujets spécifiques où nous pouvons mutuellement nous apporter, comme la scénographie ou l’art dans l’espace public.

La question écologique ou le sujet de l’intelligence artificielle peuvent également nous réunir. La mise en commun de certains espaces, ou la création de nouveaux espaces partagés, pourraient par ailleurs aider à surmonter les problèmes de place : car il est vrai que nous sommes, les uns et les autres, à l’étroit. C’est l’envers de la médaille, dans le 6e arrondissement.

O. R : Exceptionnel mais parfois conflictuel. Pourquoi cette levée de boucliers du côté des Beaux-Arts contre le projet de campus commun ?

J-B. de F : Le ministère de la Culture nous a, en effet, demandé l’année dernière, dans la perspective des travaux de rénovation qui doivent être entrepris sur le site, de réfléchir à la création d’un « campus commun ». La commande était très ouverte, et assortie de l’engagement d’investissements substantiels de la part de l’Etat, mais elle a été mal – voire très mal – comprise. Beaucoup d’enseignants des Beaux-Arts y vont vu un moyen détourné de remettre en cause leur modèle pédagogique spécifique, celui des « ateliers ».

Pour autant que je sache, cela n’a jamais été le projet. Mais il est clair aujourd’hui qu’on ne pourra avancer sur le sujet qu’en ayant levé tous les malentendus et rassuré les uns et les autres, y compris les architectes, qui sont aussi légitimes que leurs amis artistes pour étudier et travailler sur le site. C’est en partant de projets concrets que les deux écoles, très différentes l’une de l’autre, apprendront à mieux se connaître et inventeront ensemble la manière de faire de leur cohabitation sur le site Bonaparte quelque chose de fécond.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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