On lui doit la réforme du bac et du lycée et il en copilote toujours le Comité de suivi. Alors que les épreuves des enseignements de spécialités (EDS) ont enfin eu lieu cette semaine pour la première fois à la date prévue, le directeur de Sciences Po Lille, Pierre Mathiot, revient avec nous sur l’évolution de la réforme et ses effets sur l’enseignement supérieur.
Olivier Rollot : On a eu quelques craintes en début de semaine mais les épreuves de spécialités du bac ont bien lieu cette année pour la première fois à leur date prévue après plusieurs années de contrôle continu et de date reportée leur enlevant leur impact. Qu’est-ce que cela change pour le bac ?
Pierre Mathiot : Notre idée force en créant ces épreuves de spécialités en 2019 était notamment de rééquilibrer la balance entre le bac et Parcoursup. Ces dernières années, avec Admission postbac puis avec PSP, les questions d’orientation ont pris le pas sur cet événement historique qu’est le bac. Je suis convaincu que cela portait en germes la disparition même du bac. Cette année un tiers de la note finale du bac, 32% pour être précis, va être apporté par ces épreuves de spécialité. Si on y ajoute les notes du bac français, qui entrent pour 10% dans la note finale, ce sont 42% du total du bac qui va être prises en compte par PSP, en plus du contrôle continue.
Je pense que cela redonne du lustre au bac alors que, l’année dernière, les établissements n’avaient que le contrôle continu pour évaluer les lycéens. Par exemple, à partir de cette année, le réseau ScPo auquel appartient Sciences Po Lille, tiendra compte des deux notes d’EDS dans la sélection des futurs étudiants.
O. R : Le contrôle final c’est mieux que le contrôle continu ?
P. M : Ma conviction est que le contrôle final, qui représente 60% qui total du bac, va permettre de randomiser progressivement le contrôle continu. Aujourd’hui on entend beaucoup de critiques sur le contrôle continu, parfois justifiées. Demain, on pourra notamment comparer entre les deux notes d’EDS et les notes de contrôle continu ce qui permettra de voir si certains lycées ou certains professeurs donnent des notes trop hautes, ou trop basses. Cela aidera à réguler le contrôle continu.
O. R : Les critiques n’en restent pas moins fortes contre ce « bac avant le bac »…
P. M : Beaucoup disent que ce n’est pas normal de faire passer une partie du bac trois mois avant les dates habituelles auxquelles tout le monde était habitué, mais c’est bel et bien le bac !
Il y a sans doute un problème cette année pour beaucoup de professeurs parce que la divulgation des programmes d’examen a été trop tardive (en octobre). Ces programmes doivent être connus avant la fin de l’année scolaire précédente.
Il faut aussi mieux organiser les périodes de révision juste avant les EDS, comme la semaine passée, car il faut permettre aux élèves et aux professeurs de se préparer tout en limitant au maximum les effets sur les élèves de seconde et de première.
O. R : Donc il n’est pas question pour vous d’envisager de repousser les épreuves de spécialités à juin ?
P. M : On n’a pas fait exprès de placer les épreuves des EDS en mars! La raison principale est liée au calendrier de Parcoursup. Je pense que si les épreuves de spécialités voyaient leurs dates repoussées au mois de juin, alors le bac lui-même serait à terme menacé, car beaucoup diraient qu’il ne sert à rien d’évaluer tardivement des élèves qui ont déjà leur place dans l’enseignement supérieur à ce moment-là. L’importance d’un bac en juin serait insuffisante comparée à son coût et aux difficultés d’organisation. Le SNPDEN-Unsa est d’ailleurs assez tenté de considérer qu’un bac totalement en contrôle continu aurait du sens, notamment en allégeant considérablement les contraintes sur l’année. Je le répète : le seul moyen de préserver le bac et, mieux, de lui redonner de l’importance, c’est que les épreuves de spécialités aient lieu en mars.
Ceux qui pensent que le problème en fait réside dans Parcoursup et qu’il serait aisé soit d’en bouger le calendrier, soit carrément de le supprimer livrent à mon sens une analyse très incomplète de la situation. Si les épreuves de spécialités ont été placées à ce moment de l’année c’est en lien avec un calendrier Parcoursup qui prévoit que la quasi-totalité des lycéens ait une place dans l’enseignement supérieur autour du 14 juillet. En rétro-planning on peut difficilement faire autrement avec les vacances de printemps et les temps d’examen des dossiers par les établissements d’enseignement supérieur puis d’aller-retour dans les choix d’orientation des lycéens. Sinon, il faudrait choisir de basculer une partie de la procédure sur septembre avec en ce cas une rentrée universitaire en octobre.
O. R : Quelle attitude devraient avoir les professeurs de lycée selon vous ?
P. M : Il serait bien qu’ils admettent que leur place change dans le système et que, par-delà l’objectif de faire réussir leurs élèves au bac, ils ont un rôle majeur de « passeurs » vers l’enseignement supérieur. C’est déjà le cas dans de très nombreux cas mais je ne suis pas sûr que cette évolution soit admise par toutes et tous.
Deux exemples à l’appui de ce que je dis: d’abord accepter de jouer plus systématiquement un rôle dans le processus d’orientation des élèves ce qui suppose bien évidement d’y être formé, d’avoir du temps et d’être rémunéré; ensuite être attentifs à ce que les notes accordées en contrôle continu soient justes et pas trop souvent dictées par le souci compréhensible de ne pas « casser des rêves » ou d’être mis sous la pression des élèves et des parents.
Ce que je dis est sans doute facile à dire et plus compliqué à faire mais c’est important et rendu possible il me semble par les Plan d’évaluation des enseignements mis en place en 2021 et manifestement trop peu mobilisés encore.
O. R : Vous êtes donc un fervent défenseur de Parcoursup ?
P. M : Pour paraphraser Churchill, Parcoursup est le moins bon des systèmes à l’exception de tous les autres. La critique est aisée mais elle repose trop souvent sur des analyses courtes et des alternatives impossibles. Un seul exemple: on entend beaucoup parler de l’algorithme PSP alors que c’est seulement un outil d’aide à la décision et pas un algorithme. Il suffit juste de vivre l’expérience concrète de l’affectation d’élèves dans l’enseignement supérieur pour comprendre que l’on a besoin d’un outil centralisé et régulé.
Il reste que l’on doit encore l’améliorer et passer d’un réussite technique à une réussite démocratique: trop d’élèves encore ne sont pas réellement accompagnés dans leurs démarches.
O. R : L’un des points les plus clivants de la réforme du lycée est la place que doivent y occuper les enseignements de mathématiques. L’adjonction d’un enseignement des mathématiques dans le tronc commun peut-il suffire à régler la question ?
P. M : Dans mon rapport sur la futur lycée remis en janvier 2018 j’avais proposé des maths pour tous les élèves en classe de 1ère je suis donc assez tranquille avec ce sujet. Et il y a un an, j’ai coordonné un comité consultatif sur la place des mathématiques au lycée. Je pense que la question a été en partie mal posée par des acteurs du système qui ne parviennent pas à assumer la remise en cause de la suprématie des mathématiques.
Première remarque, le sujet du niveau en maths des jeunes Français est posé depuis déjà longtemps et le décrochage est constaté depuis 20 ans. Il n’a rien à voir en réalité avec la réforme du bac !
Deuxième remarque, on a tendance a faire l’amalgame entre le niveau jugé nécessaire par tous les lycéens généraux et le niveau des meilleurs en maths.
Troisième remarque, on parle, avec justesse, d’un double enjeu de jauge globale : a-t-on assez d’élèves qui font beaucoup de maths et, parmi eux, de filles ? A tout cela je réponds très simplement. Un, oui on n’a sans doute pas assez d’élèves engagés dans un cursus avec beaucoup de maths, et parmi eux de filles, par rapport aux besoins annoncés de l’économie. Mais le problème ici ne tient pas tant à la réforme du bac qu’à une peur des maths chez beaucoup de jeunes qui se construit très en amont du lycée.
Deux, oui on doit faire en sorte – ce qui sera le cas à partir de la prochaine rentrée -que les lycéens qui ne suivent pas l’EDS de maths bénéficient d’une formation minimale à des mathématiques « pour tous » ou « citoyennes », qu’ils disposent d’une culture du calcul, de la logique… cela leur servira dans leur vie future mais ce n’est pas du tout la même chose que l’enjeu des maths « pour ceux qui aiment les maths ».
Trois, la question de l’enseignement des maths, et d’ailleurs pas que des maths, ne peut pas se réduire à des problèmes constatés au lycée et nés avec la réforme du bac ! On doit avoir l’honnêteté de reconnaitre toutes et tous que le sujet est bien plus systématique, qu’il démarre dès les petites classes.
O. R : Les filles semblent effectivement se détacher des mathématiques.
P. M : Aujourd’hui nous comptons moins de filles en EDS mathématiques et option mathématiques expertes que nous comptions de filles en série S spécialité maths. Mais je rappelle que dans le bac précédent une part très importante des filles qui faisaient S ne se dirigeaient pas vers des études scientifiques. Ce que l’on constate avec une seule année de recul c’est que désormais les filles qui suivent les enseignements de mathématiques jusqu’en terminale se destinent beaucoup plus à des filières scientifiques que leurs devancières. Nous avons un peu perdu en nombre, ce qui constitue un enjeu, mais gagné en qualité du lien entre le suivi des maths en terminale et le projet dans l’enseignement supérieur.
O. R : Les classes préparatoires économiques et commerciales générales (ECG) semblent particulièrement touchées par la réforme. Que leur dites-vous ?
P. M : Les prépas ECG ont perdu un peu d’attractivité c’est vrai depuis quelques années. Cela s’explique par trois raisons principales selon moi. D’abord, elles sont affectées par le développement des bachelors par les écoles de management. Une partie des élèves intéressés par ce type d’étude préfère « basculer » tout de suite plutôt que suivre deux années de cours très exigeants avec l’aléa final des concours. Cela coûte évidemment beaucoup plus cher mais les progrès des bacheliers montrent que cela fonctionne.
Ensuite, le modèle de la prépa en général, avec une réputation d’exigence très forte, beaucoup d’heures de cours et de travail personnel, la discipline du lycée, semble correspondre moins aux aspirations d’une partie des jeunes. Il existe une sorte d’immuabilité du monde de la prépa que viennent heurter des transformations sociologiques assez fortes.
Enfin, il me semble que les équipes des prépas lorsqu’elles regardent les dossiers sur Parcoursup peuvent encore avoir tendance à chercher des élèves de l’ancien lycée dans le nouveau lycée, par exemple des doublettes mathématiques-SES, quand elles devraient ouvrir les chakras et regarder d’autres profils. Car cela limite le vivier et conduit parfois à établir des listes insuffisantes d’admis avec le risque ensuite que des classes ne fassent pas le plein, ce qui est un vrai problème à terme de bon usage de l’argent public.
O. R : C’est spécifique aux classe préparatoires ECG ?
P. M : La situation est meilleure pour les prépas scientifiques et littéraires, surtout pour les CPGE des « grands » lycées. Mais il faut avoir en tête deux enjeux: faire attention à ce que le système des CPGE ne se réduise progressivement qu’à ces seuls établissements, attractifs par tradition, au détriment donc des CPGE « d’équilibre »; faire en sorte de regarder avec sympathie des dossiers dont les EDS ne se résumeraient pas à ce que les professeurs attendaient dans le bac précédent.
Je crois qu’il est important d’admettre dans ces prépas des profils différents, quitte à mettre en place des enseignements de remédiation ou de rattrapage quand cela s’impose. Ne pas le faire c’est courir le risque de se priver de très bons élèves dont le seul défaut aura été de se construire un choix d’EDS en rupture avec les traditions.
O. R : Les classes préparatoires littéraires semblent mieux tirer leur épingle du jeu que les autres. Comment l’expliquez-vous ?
P. M : La mise en place déjà ancienne de la BEL (Banque d’épreuves littéraires) a permis d’élargir avec profit leurs débouchés très au-delà des seules écoles normale supérieure. C’est je crois une bonne raison pour expliquer leur attractivité. Mais il est clair qu’à l’époque de la création de la BEL, à laquelle j’avais participé, c’est une crise d’attractivité qui avait poussé à la transformation.
O. R : Les concours devraient-ils également évaluer ?
P. M :Le modèle des CPGE est très largement, sinon quasi exclusivement, organisé autour de l’objectif de passer et de réussir des concours au bout de deux ou trois ans. Elles forment donc très bien des élèves pour réussir des concours et peut-être moins pour se sentir à l’aise dans l’école qu’elles ou ils intégreront. Il s’agit encore très souvent de concours centrés sur les disciplines phares des trois types de CPGE, avec par exemple très peu d’interdisciplinarité, très peu de mesure de compétences différentes des compétences purement académiques.
J’ai tendance à penser qu’en revoyant un peu les voies d’admission on agirait par réfraction sur l’organisation des CPGE et partant peut être sur les profils des élèves intéressés à les suivre. Un seul exemple: les écoles d’ingénieurs gagneraient sans doute à élargir leurs attentes vers des connaissances en SHS.
Bonjour,
Pourquoi ce bac en mars est un échec retentissant ?
Pendant ces giboulées de baccalauréat que nous subissons, épreuves écrites, épreuves pratiques et orales en mars, les élèves de seconde et de première sont laissés en dehors de l’établissement.
Alors que la lutte contre le décrochage scolaire reste une priorité et que l’anxiété chez nos lycéens a énormément augmenté, on les f..t dehors pendant presque deux semaines. En mars…
Et après ? Les élèves de terminale subissent une énorme démotivation. Le petit grand oral ne sert pas à grand chose. Leurs prédécesseurs avaient les tpe en première. L’oral s’articulant autour d’une démarche, d’une production, souvent d’une expérimentation et surtout apprenait à travailler en groupe, pas forcément choisi, comme souvent dans la vie réelle. Tout ça a disparu. Oral en solo, sans support, où la forme ultra domine sur le fond.
Pour limiter cette liste d’énormes défauts, parcousup. Cet algorithme, bien meilleur qu’admission post bac va être nourri de notes aléatoires. Les élèves passent aléatoirement sur des sujets différents car les épreuves ont lieu sur deux jours. Oui, les épreuves de sciences physiques, de mathématiques, de NSI portent sur des parties classées plus difficiles le mardi que les mêmes épreuves du lundi. Sans doute , l’inverse en svt. Bref, la personne qui a eu svt le lundi et physique chimie le mardi est sensiblement mise en difficulté par rapport à d’autres. Cet élément n’apparaissant pas dans parcousup rend donnent à ces épreuves un côté loterie insupportable.
Le bac en mars est une ineptie, toutes les associations de spécialistes l’ont dit et rien n’a été fait. Convaincus dans leurs certitudes hors sol, les responsables de ce chaos maintiennent leur décision, droits dans leurs bottes.
Il y a une erreur importante dans cet article, qui de plus est répétée à plusieurs reprises: les épreuves de spécialité n’ont eu lieu pour « la 1ere fois ». Elles ont eu lieu l’année dernière au mois de mai. Il serait utile avant de publier de vérifier la communication du ministère de l’EN
Effectivement c’est la première fois qu’elles ont lieu à temps pour avoir un vrai impact.
Le résultat de cette réforme ?
Les maths sont abandonnés par les élèves en difficulté des le début du collège, parcequ’ils ont vite compris qu’ils pourraient les éviter au lycée. Un ado partisan du moindre effort est un ado normal…. Résultat on arrête les maths à la 1ere difficulté. Cette réforme tué le niveau des maths en France.
Moralité : le mammouth, si tu le dégraisses trop, il ne tient plus sur ses jambes.
Conséquence directe des politiques ineptes de réformes comptables du système éducatif, infligées depuis des décennies.