ECOLES DE MANAGEMENT, PORTRAIT / ENTRETIENS

Comment se forge un destin : Eloïc Peyrache, directeur général de HEC Paris, un destin forcément international

Comment se forge un destin ? Pour le futur directeur général de HEC Paris tout se joue en deux fois. A la naissance – à Bombay où son père est diplomate -, puis huit ans plus tard quand il part habiter au Japon avec sa famille. Il parle anglais avant le français, il apprend le japonais, son destin sera d’être international et aujourd’hui de « faire d’HEC une marque réellement mondiale».

  • Portrait publié pour la première fois en octobre 2023.

Les trois premières années de sa vie, Eloïc Peyrache va les passer en Inde où son père est diplomate et sa mère travaille pour des entreprises industrielles françaises. Il doit d’ailleurs à cette naissance en Inde son deuxième prénom, Anil : « vent doux » en sanscrit. Eloïc-Anil vit en famille à Bombay jusqu’à que sa mère décide qu’elle a également une carrière à suivre : « Elle ne voulait pas suivre mon père aux quatre coins du monde en changeant d’affectation tous les trois ans. Il a donc démissionné du corps diplomatique pour, plus tard monter son entreprise de conseil, pendant qu’elle a réalisé une très belle carrière chez France Télécom puis Orange. Elle fut même la première femme à siéger au comité de direction d’Orange ».

Les années japonaises

Alors âgé de trois ans, Eloïc Peyrache rentre en France. Nous sommes en 1978, il ne parle qu’anglais et apprend le français tout en découvrant la France. Cinq ans passent avant que ses parents ne s’envolent vers une autre destination. Ce sera le Japon où son père ouvre le bureau de l’Ademe (Agence de la transition écologique) et sa mère celui de France Télécom : « Au lycée français de Tokyo j’étais entouré d’étudiants venus du monde entier, Néerlandais, Espagnols, Africains, etc. tous francophones dans cet extraordinaire lieu de « soft power » que sont nos lycées français partout dans le monde ». Il y apprend tout naturellement le japonais et se sent toujours aujourd’hui au Japon « comme à la maison » tout en gardant le contact avec certains de ses amis de l’époque.

Près de trente-cinq ans plus tard il devra y affronter un sacré défi. Le président de la célèbre université Hitotsubashi de Tokyo lui demande de prononcer un discours pour sa rentrée : « J’ai travaillé pendant des semaines sur ce discours et m’assurer de bien maîtriser toutes les formules de politesse si importantes au Japon. Tout ça pour que le président me demande de le prononcer en anglais, pour faire plus international. Au final je l’ai quand même prononcé aux deux tiers en japonais pour la grande joie des étudiants ».

Cap sur l’ENS

Eloïc Peyrache rentre de nouveau en France pour ses quinze ans. Sa famille s’installe à L’Haÿ-les-Roses où il découvre un lycée où il n’y a pas seulement deux classes par niveau et 600 élèves en tout, comme au lycée français de Tokyo, mais dix classes de 40 élèves pour chaque année. Bon élève il obtiendra son bac C tout en se consacrant à sa passion, le sport, et notamment le judo qu’il a beaucoup pratiqué au Japon : « J’étais ceinture noire au Japon et j’ai continué à faire de la compétition en France tout en pratiquant de nombreux sport dont le tennis. A l’époque j’étais persuadé que ma carrière se ferait autour du sport sans en choisir un en particulier car j’avais peur de m’ennuyer un jour ».

Mais finalement les études l’emportent sur le sport. Eloïc Peyrache entre en classe préparatoire puis à l’ENS Paris-Saclay (à l’époque à Cachan), où il obtient son agrégation d’économie et gestion, avant de partir pour l’École d’économie de Toulouse (TSE) : « En arrivant à Toulouse je me suis un peu demandé ce que je faisais là après avoir habité si loin de la France toute une partie de ma jeunesse. Au bout de trois jours j’ai adoré vivre à Toulouse entouré d’autres thésards qui venaient du monde entier. L’international, encore et toujours ». A TSE il obtiendra un DEA (diplôme d’études approfondies) d’économie mathématique et d’économétrie, logiquement suivi par un doctorat d’économie obtenu en 2003 et consacré aux Essais sur la théorie économique des signaux : applications aux marchés du travail et de la certification : « Je suis passionné par l’économie et j’ai adoré ces années à TSE. Suivre des cours dans un lieu aussi vibrant intellectuellement et aussi international, c’était formidable ». D’autant qu’il aura également l’opportunité, pendant son doctorat, de passer six mois à Northwestern tout proche de Chicago, pour y rejoindre son directeur de thèse, et un an à Barcelone dans le cadre d’un projet européen.

Devenir professeur

 A partir de son entrée à l’ENS Eloïc Peyrache se destine au professorat : « Mon père, dont j’admire beaucoup le côté entrepreneur, m’a demandé si je voulais un jour reprendre son entreprise. Mais j’étais parti dans une autre voie et je me suis senti plus attiré par le monde académique. Plus jeune, je me voyais déjà devenir entraineur ou professeur de sport ». Cette carrière académique il la débute en enseignant à l’université de Toulouse et par un an en postdoc au Centre de recherche en économie et statistique (CREST). après son doctorat, il lui fallait rentrer à Paris pour que sa femme, neurologue, qui l’avait suivi à Toulouse, finisse son internat de médecine à Paris : « Je ne me suis pas posé la question d’aller aux Etats-Unis ou ailleurs. Ma femme suivait son clinicat et il était évident qu’on devait faire en sorte qu’elle ait également sa propre carrière ».

Nous sommes en 2003, Eloïc Peyrache est recruté au département d’économie d’HEC. Cinq ans plus tard, il obtient sa « tenure ». « J’ai adoré enseigner et je regrette aujourd’hui de ne pas avoir conservé un cours quand, en 2009 je suis devenu directeur délégué d’HEC en charge du programme Grande école».

Auparavant il aura créé l’incubateur HEC en 2007 en compagnie de deux étudiants très impliqués : Victor Lugger, le fondateur de Big Mamma, et Grégoire de Lasterye, aujourd’hui maire de Palaiseau. Avec le directeur de l’incubateur de l’époque, ils œuvrent à créer une plus forte dynamique entrepreneuriale sur le campus. Une créativité qui va devenir la marque de fabrique du futur directeur général.

Des postes de direction successifs

Le premier poste de direction d’Eloïc Peyrache sera celui de directeur académique du programme CEMS en 2006, réseau qui réunit les meilleurs business schools européenne et un certain nombre de business schools de premier plan dans le reste monde. En 2009, à peine fini le temps de sa « période probatoire de 6 ans » et après le départ du doyen associé du programme Grande école, Hervé Crès, pour Sciences Po, il est élu Directeur Délégué d’HEC en charge du programme Grande École. « Le directeur général de l’époque, Bernard Ramanantsoa, va m’encourager alors que d’autres me trouvent trop jeune à 31 ans pour occuper le poste. » Ce duo avec Bernard Ramanantsoa, directeur emblématique d’HEC de 1995 à 2015, va être au cœur des succès de l’école : « C’était un beau duo, nous n’étions pas toujours d’accord mais étions totalement en confiance ».

Un an plus tard, en 2010, les responsabilités d’Eloïc Peyrache sont étendues à l’ensemble des programmes pré-expérience : « J’ai toujours eu la conviction très forte que tous les programmes du groupe devaient porter la marque HEC ». Porté par sa propre expérience, il accentue alors l’internationalisation de l’école : « En 10 ans, nous sommes passés de 80 étudiants internationaux dans le PGE à 300, les masters sont devenus des MSc, les majeurs du PGE sont enseignés en anglais ».

Pendant ses mandats à la tête du PGE, Eloïc Peyrache va également pousser l’innovation pédagogique en développant des académies – pour que les élèves aient d’incroyables expériences de terrain dans différents environnements professionnels, des services des urgences, au cinéma en passant par les médias -, ou encore des certificats HEC avec des entreprises comme Kering, Danone ou le Crédit Agricole pour proposer aux étudiants d’obtenir des spécialités sectorielles : « Deux mois de plus pour comprendre en profondeur un secteur plutôt que de s’y consacrer pendant toute une majeure alors que l’activité d’un secteur est sujette à des variations ». Il est également très fier de la montée en puissance de l’entrepreneuriat à HEC, et notamment de l’incubateur qui compte aujourd’hui 300 entreprises et a généré 25% des licornes français. Le centre d’entrepreneuriat a même essaimé dans le domaine de la Tech et dans celui des entreprises sociales et solidaires.

Objectif : égalité des chances 

Si un sujet importe tout particulièrement à d’Eloïc Peyrache c’est celui de l’égalité des chances : « Quel impact nous avons en tant qu’institution leader sur la vie des uns et des autres ? Comment transformons-nous des destins ? En tant qu’institution non-profit qui doit tout réinvestir comment pouvons-nous travailler sur l’ascenseur social ? »

De ces questions vont naitre de nombreuses initiatives. Ce sera le concours d’éloquence eloquentia@HEC ouvert à tous les élèves de première et terminale, mais essentiellement issus de quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Les finalistes sont hébergés une semaine sur le campus d’HEC pour y suivre des cours avant une grande finale, cette année à La Cigale. Ce sera un programme important de bourses aux étudiants CROUS, dès la classe préparatoire.

Mais en 2022, HEC se sent prêt à porter cette ambition au-delà des frontières. L’École lance le programme HEC imagine attribuant notamment des bourses aux étudiants issus de pays en guerre (Afghanistan, Syrie, Ukraine…), PACT Afrique soutenant les meilleurs talents de l’Afrique de l’Ouest ou encore un programme dédié aux étudiants libanais. La Fondation HEC et l’ensemble des donateurs jouent des rôles décisifs dans cette ambition.

L’éducation est bien entendu au cœur de l’ascenseur social. C’est également le cas de l’entrepreneuriat. HEC Stand Up s’adresse ainsi à des femmes, là aussi issues des QPV, qui veulent créer leur entreprise et suivent un programme gratuit de dix semaines pour concrétiser leur projet. Cela a débuté avec 30 femmes à la cité des 4000. Ce sera plus de 300 femmes certifiées en 2022.

Directeur d’HEC

De 2015 à 2020 un nouveau directeur général préside aux destinées d’HEC, Peter Todd. Gardant la même confiance que son prédécesseur pour Eloïc Peyrache il va finalement lui laisser la place 5 ans plus tard. En 2020, Peter Todd décide en effet de quitter HEC pour des raisons personnelles. En janvier 2021, Eloïc Peyrache lui succède avec la volonté de « mettre son institution au service de la société ». La recherche est au cœur de ce projet avec l’engagement incroyable de tous nos professeurs mais également par la montée en puissance des centres d’excellence tels que celui en intelligence artificielle (Hi ! Paris), qu’HEC a monté avec l’École polytechnique et dont l’ambition est de devenir un des grands acteurs mondiaux du domaine, celui en Innovation & Entrepreneurship ou encore l’Institut Society & Organizations au confluent des grands défis de société et de la vie des organisations. « Il faut faire démultiplier l’impact d’HEC et j’y consacre toute mon énergie » proclame le directeur qui pousse également ses chercheurs à être « plus visibles socialement pour avoir plus d’impact sur le monde ».

Eloïc Peyrache vient également de faire évoluer son programme Grande école avec le concours de Yann Algan, venu de Sciences Po et qui occupe aujourd’hui le poste de doyen associé des programmes pré-expérience. Le recrutement d’HEC en France passe toujours essentiellement pour lui par les classes préparatoires. Un modèle qu’il défend ardemment : « Les classes préparatoires sont un modèle équilibré qui permet de se former aux arts libéraux, à la géopolitique, aux mathématiques, aux langues étrangères en développant un superbe projet intellectuel. Avec près de 30% de boursiers, elles constituent également un fantastique ascenseur social. Sans parler du dévouement total de leurs professeurs ».

Acteur mondial

Si HEC n’a plus guère de concurrents en France – cette année encore aucun des étudiants reçus à HEC après une classe préparatoire n’a finalement opté pour une autre école de management, un score dont « même Harvard ne peut se vanter » – la concurrence est aujourd’hui internationale. « Je préfère parler de coopétition avec de grandes institutions, comme la London Business School ou l’Insead, dont nous sommes partenaires », insiste Eloïc Peyrache qui a monté l’initiative Business schools for Climate Leadership avec ces deux écoles mais aussi la Cambridge Judge Business School, l’IE Business School ou encore la Saïd Business School d’Oxford.

Autant d’écoles avec lesquelles il entend bien « coopérer sur le terreau de l’éducation » tout en étant bien conscient de la « nécessité de se remettre tout le temps en cause face à des concurrents qui ont souvent beaucoup plus de moyens ».

  • Les fameux films des cérémonies de remise des diplômes. HEC ce n’est pas que l’excellence. C’est aussi l’humour comme le prouvent depuis près de 15 ans les petits films diffusés lors des remises des diplômes. Une idée… d’Eloïc Peyrache : « Avant mon élection le doyen du PGE parlait lors de la remise des prix après le discours, très philosophique, de Bernard Ramanantsoa. Ensuite l’invité terminait par un discours sur sa vie. Je me demandais bien quoi dire d’intéressant. En 2006, avec un groupe d’élèves de l’école, nous avions réalisé un lipdub – ces petits films pendant lesquels on passe d’un personnage à l’autre en plan séquence – qui avait eu un succès mondial et engagé plein d’autres étudiants à en faire autant. Je leur ai ensuite demandé de réaliser un film pour chaque promotion. Et c’est devenu un moment incontournable de la cérémonie de sortie d’HEC ! » L’idée est lancée. Les deux directeurs successifs de l’école, Bernard Ramanantsoa puis Peter Todd, jouent le jeu – il faut voir le premier, un bandeau sur l’œil, sauver le monde en 2013 ou le second en Yoda en 7 –et, forcément pour conclure, la diffusion des « Lacs du Connemara », la chanson de Michel Sardou qui clôt rituellement les soirées d’HEC. En 2023 c’est un autre artiste qui fait le buzz lors de la cérémonie de remise des diplômes en Executive Education : tout juste diplômé le chanteur des Magic System, Salif Traoré, chante sur scène. De quoi donner des idées à Eloïc Peyrache ? « Nous devons en tout cas trouver un jour un nouveau concept mais les étudiants aiment tellement nos films, qui sont tellement attendus, que cela ne va pas être simple… » A regarder sur la chaine YouTube de HEC : https ://www.youtube.com/user/hecparis 

 

Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Send this to a friend