- Tout l’été nous vous proposons de retrouver des grands entretiens publiés sur ce blog en 2014-2015 et qui présentaient des stratégies d’établissements.
Le Cnam forme chaque année 80 000 auditeurs en formation continue dans quasiment toutes les disciplines universitaires, de la mécanique au commerce international en passant par les nouvelles technologies ou même la criminologie. Fondé il y a plus de 220 ans sous la Révolution française, le Conservatoire national des arts et métiers n’en est pas moins novateur avec, par exemple, le lancement récent de cours en ligne gratuits ouverts à tous, les fameux MOOCs, parmi les plus populaires. Son administrateur général, Olivier Faron, nous trace le portrait d’une maison dont le rôle est plus que jamais essentiel avec la réforme récente de la formation continue.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Les dispositifs de formation continue viennent d’être réformés et une mission confiée à François Germinet, président de l’université de Cergy-Pontoise, pour conforter sa place dans les universités. En tant que premier acteur public de la formation continue, quel regard portez-vous sur son développement en France et la place qui occupe le Cnam.
Olivier Faron : Il est aujourd’hui clair pour tout le monde que la formation continue est une absolue nécessité en période de crise. Avec la loi de mars 2014 relative à la formation professionnelle, nous disposons d’un très bon outil de travail qui a permis de clarifier le paysage. Le fait que la VAE (validation des acquis de l’expérience) soit évoquée dans un texte de loi est également une excellente chose. Une enquête que nous venons de mener auprès de nos auditeur indique que c’est un mode de diplomation auquel les Français sont acculturés et qu’ils ont envie d’utiliser. Alors que le nombre de VAE baisse partout ailleurs, il progresse d’ailleurs chez nous.
Mais il faut aller plus loin en faisant par exemple de la « VAE collective » pour des groupes, comme nous le faisons déjà pour des fonctionnaires en outre-mer, où nous sommes souvent le seul établissement en plus de l’université. La VAE peut même être utilisée pour le doctorat – n’en déplaise à ceux qui ne veulent accepter que la version traditionnelle -, et nous pensons bien en délivrer une dizaine chaque année par ce biais.
Le conseil en évolution professionnelle que prévoit la loi pour tous les salariés va également permettre une bonne construction des parcours professionnels. Le Cnam est d’ailleurs en train de former les futurs conseilles avec les Missions locales après avoir lancé toute une réflexion sur les « bonnes pratiques ». Enfin la création du compte personnel de formation (CPF) va permettre l’individualisation des parcours tout en accompagnant l’individu tout au long de sa vie, dont les périodes de chômage, ce qui représente une grande avancée. La prise en compte de l’employabilité post formation dans la liste des formations éligibles au CPF est aussi une problématique majeure positive, même si nous aurions aimé avoir plus de formations éligibles. C’est un formidable enjeu pour tous les acteurs d’être de plus en plus attentifs à la question de l’employabilité.
O. R : Quel peut être le rôle spécifique du Cnam dans le redéploiement des actions de formation continue qu’induit la nouvelle loi ?
O. F: Le Cnam est non seulement l’acteur dominant de la formation continue publique mais aussi l’un des principaux tous acteurs confondus. Il a donc vocation à jouer un rôle pivot dans ce redéploiement grâce à un travail concerté avec les entreprises. À Toulouse, avec l’IPST Cnam, nous assurons ainsi un vrai soutien des universités dans leur mission de formation des actifs et des salariés portée par la région. Il va aussi falloir qu’on rapproche l’enseignement supérieur et la formation professionnelle continue. Dans les régions c’est frappant de voir qu’il y a toujours deux vice-présidents distincts sur ces sujets alors qu’on devrait marcher avec les deux jambes. Le Cnam a à la fois une mission de service public classique et vocation à travailler avec les partenaires publics et privés qui sont les grands employeurs.
Je constate que quand nous travaillons bien avec les universités le rapport est gagnant/gagnant. La mission confiée à François Germinet est importante mais il faut aussi admettre qu’il faut du temps – je dirais au moins cinq ans – pour devenir un acteur à la fois efficace, crédible et rentable de la formation continue. Et dans ces cinq ans il faut passer par une phase d’investissement où on perd forcément de l’argent au début.
O. R : Vous formez chaque année de l’ordre de 80 000 auditeurs (les deux tiers en régions et un tiers en Ile-de-France) dans toutes les spécialités. Quels sont vos grands domaines de formation ?
O. F: Nous formons à 80% des actifs et 20% des demandeurs d’emploi avec la force d’un réseau fabuleux présent dans toute la France. En termes de grands domaines, nos formations sont aujourd’hui à 55% dans le management et les sciences sociales – l’ICH dans l’immobilier, la finance, les ressources humaines, de plus en plus l’assurance -, et à 45% dans les sciences avec une forte proportion de formations en informatique mais aussi en mécanique, chimie, physique, etc. Nous sommes particulièrement efficients dans les domaines transdisciplinaires comme la santé au travail où nous formons 10 000 cadres de la Sncf aux questions de santé dans les transports.
Le Cnam est un lieu où l’on retrouve à la fois les recherches académiques les plus reconnues et l’offre de formation la plus large. Cela nous permet aussi de réfléchir à de nouvelles formations adaptées à de nouveaux défis. Prenez la problématique des personnes âgées en Chine : là-bas on aura bientôt besoin de trois millions de personnes pour s’occuper d’elles. Seul un organisme de formation comme le Cnam peut appréhender toutes les dimensions d’une formation qui nécessitera l’acquisition de tout un bagage culturel. Nous devons encore accentuer notre force interdisciplinaire tout en étant à l’écoute des employeurs.
O. R : 80% de vos auditeurs ont un emploi par ailleurs. Comment font-ils pour cumuler formation et emploi ?
O. F: Réussir ses études au Cnam c’est beaucoup de sueurs et de larmes. C’est sortir d’une longue journée de travail pour embrayer sur ses études tout en essayant de préserver une part de vie privée. C’est un vrai modèle d’engagement personnel !
O. R : Le Cnam développe d’autres actions auprès de publics parfois en difficulté face à l’enseignement supérieur, comme sa « grande école des bacheliers professionnels » en apprentissage, Vaucanson.
O. F: La création de Vaucanson a répondu à la situation sociale pas acceptable qui est celle des bacheliers professionnels. Nous leur offrons depuis 2010 la possibilité de suivre deux licences spécialement adaptées qui s’appuient sur l’alternance et la pédagogie de la « classe inversée ». Le tout avec d’excellents résultats et une très bonne insertion professionnelle. Nous ouvrons aujourd’hui des établissements sur ce modèle en Guadeloupe et en Ile-de-France avec des coûts par étudiant réduits, de l’ordre de 5000€ par an. Cela répond bien à notre mission spécifique.
De la même façon nous avons monté le projet Orientation Solidarité avec l’université de Haute-Alsace à Mulhouse pour accompagner des décrocheurs. Nous leur dispensons six mois de cours suivis de six mois de service civique aux termes desquels ils reçoivent un certificat du Cnam et surtout sont réinsérés dans l’université.
O. R : Cette dimension sociale est au cœur de votre projet depuis plus de 220 ans !
O. F: Le Cnam c’est une formidable identité d’établissement et nous restons très liés à notre fondateur, l’abbé Henri Grégoire, qui a fait nôtre cette mission sociale depuis la création du Cnam en 1794. Aujourd’hui nous devons accroître nos sources de financement tout en restant sur ce modèle. Nous voulons travailler sur le sujet avec le formidable réseau de nos anciens jamais mobilisé jusqu’ici.
O. R : Mais tout cela doit être d’une terrible complexité dans un établissement aussi important ?
O. F: Le Cnam est un établissement complexe avec beaucoup de réalités auxquelles il faut donner une cohérence. Son autonomie est récente – janvier 2013 – et il faut pouvoir expliquer à tous ce qu’est la masse salariale et en quoi nous ne sommes plus dans les campagnes de recrutement traditionnelles, comment nous travaillons aujourd’hui dans une démarche de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Aujourd’hui nous avons peu de marges budgétaires et la gestion des ressources humaines est vraiment au cœur de notre stratégie. Or on nous demande souvent l’impossible comme de recruter, pour 20 ou 30 ans, des enseignants sur des sujets liés à l’employabilité quand personne ne sait ce qu’il en sera du marché du travail dans cinq ans. Et même parfois dans six mois !
Nous devons aussi gérer une réforme qui date de 2009 et dont nous savons aujourd’hui, après une étude, qu’elle n’a pas assez été soumise à la participation des personnels. Nous sommes aussi conscients que le système est peu lisible pour nos auditeurs quand ils veulent faire la jonction entre les formations et les métiers.
O. R : Le Cnam est aussi présent à l’international. Pensez-vous pouvoir encore développer cette dimension ?
O. F: Nous avons des antennes physiques au Liban (3500 auditeurs chaque année), au Maroc (1500), à Madagascar (1000) et nous nous implantons en Chine. En Côte d’Ivoire, où est présente une autre de nos antennes, nous avons ouvert le 2 novembre toute une gamme de formation à l’expertise-comptable et nous y comptons déjà 650 inscrits payants avec le partenariat local de l’Institut national polytechnique d’Abidjan et de Yamassoukro. Je crois beaucoup au développement de notre action dans les pays francophones. À Abidjan nous allons proposer des formations francophones à des étudiants venus du Ghana et du Liberia, deux pays anglophones, pour montrer toute la pertinence du « Made in Cnam ».
O. R : Une action qui passe largement par la création de MOOCs comme celui d’une de vos professeurs, Cécile Dejoux, Du manager au leader, aujourd’hui le plus suivi parmi tous les MOOCs français.
O. F : Oui et suivi partout dans le monde. Même si on mesure encore les problèmes de certification et de modèle économique, nous avons beaucoup misé sur les MOOCs comme formidable outil de la francophonie. Notre MOOC Concepts et méthode en épidémiologie, qui est suivi par 7000 personnes dans le monde, est ainsi entré dans les cursus de médecine au Laos, à Haïti et à Madagascar.
A l’exception du MOOC de Cécile Dejoux, qui sera traduit en anglais, nous n’allons pas essayer de concurrencer les anglo-saxons mais plutôt nous concentrer sur la francophonie et sur les pays dans lesquels nous sommes implantés. Notre MOOC Désir d’entreprendre sera ainsi traduit en arabe et adapté au contexte marocain. Enfin, nous avons aussi des demandes d’université qui veulent traduire nos MOOCs comme l’Université des transports de Moscou et notre Défis énergétiques et risques sanitaires dans les transports.
O. R : Les MOOCs semblent vraiment au cœur de votre stratégie !
O. F : Les MOOCs permettent l’éditorialisation de notre savoir et nous font connaître. C’est d’autant plus important qu’ils touchent d’abord un public en formation continue. Le public de Du manager au leader est composé autant d’auditeurs âges de 30 à 40 ans que de 40/50 ans et de 50/60 ans. Aujourd’hui nous avons beaucoup à apprendre de nos partenaires numériques sur comment fédérer des communautés d’apprenants venus suivre nos MOOCs à court, moyen et long terme.
O. R : Un sujet plus politique : où en est la Comue (communauté d’universités et d’établissements) Hesam dont on sait qu’elle est passée par de phases difficiles ces derniers mois ?
O. F: La situation s’est pacifiée avec un nouveau président et une vraie volonté de travailler ensemble. Nous avons notamment un beau projet d’Idex, Confluence, dont nous espérons bien qu’il sera reconnu par l’État. D’ores et déjà le contrat de site nous a permis d’obtenir plus de moyens sur l’Europe ou la formation continue. Également grâce à Hesam, notre contrat de projets État-région nous a permis d’obtenir des moyens supplémentaires pour notre parc immobilier. C’est un sujet central pour un établissement comme le nôtre et nous devons trouver 100 millions d’euros pour rénover nos bâtiments et en construire de nouveaux.
O. R : Allez-vous changer son nom comme on le murmure très fort ces derniers temps ?
O. F: Il y a des réflexions là-dessus mais je suis pour ma part très attaché à la marque Hesam et à lisibilité des Arts et Métiers. La Sorbonne est une très belle appellation mais les Arts et Métiers en sont aussi une.