En ce premier jour du printemps 2015, la planète enseignement supérieur se demande si la politique menée depuis bientôt trois ans par Geneviève Fioraso peut être infléchie après son départ. Une question cruciale tant, en deux ans, on est passés peu à peu de graves réflexions sur la place de l’enseignement supérieur dans la compétitivité du pays à des considérations de plus en plus terre à terre sur son financement. Assez curieusement – surtout quand on regarde ce qui se passe dans tous les autres pays ! -, on est aussi souvent passé d’une attention à la concurrence internationale à des considérations beaucoup plus régionales, Comue obligent.
1. Qui pour succéder à Geneviève Fioraso ?
Jusqu’aux élections départementales, Najat Vallaud-Belkacem devrait prendre le relais de Geneviève Fioraso. Dans une logique de parité au sein du gouvernement ce devrait ensuite être une femme qui lui succède alors que, comme l’indiquent Le Monde et EducPros, beaucoup de noms des deux sexes circulent :
- Alain Claeys, député de la Vienne, spécialiste de l’enseignement supérieur au sein du PS et co-auteur du rapport sur la fin de vie prélude au projet de loi discuté en ce moment à l’Assemblée ;
- Dominique Gillot, sénatrice du Val d’Oise et rapporteuse de la loi sur l’enseignement supérieur en 2013 ;
- Jean-Yves Le Déaut, député de la Meurthe-et-Moselle et auteur d’un rapport sur l’enseignement supérieur publié suite aux Assises de l’enseignement supérieur ;
- – Marie-Christine Lemardeley, ancienne présidente de l’université Sorbonne-Nouvelle, conseillère à la Mairie de Paris chargée de l’enseignement supérieur mais dont le départ serait vu d’un mauvais œil par Anne Hidalgo ;
- Bertrand Monthubert, président de l’université Toulouse 3 Paul-Sabatier qui fut président de Sauvons la Recherche avant de devenir secrétaire national du parti socialiste chargé de l’enseignement supérieur et la recherche ;
- Maud Olivier, députée de l’Essonne, qui aurait les faveurs de Najat Vallaud-Belkacem selon L’Express ;
- Isabelle This Saint-Jean, secrétaire nationale du PS chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche et vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France, également ancienne présidente de Sauvons la Recherche, dont le nom avait beaucoup circulé lors du précédent remaniement.
2. Quel budget pour l’enseignement supérieur ?
Cela peut paraître incroyable mais, à l’heure à laquelle nous bouclons ce centième numéro, les établissements d’enseignement supérieur publics ne savent toujours pas quel est leur budget 2015. Ils en sont donc souvent réduits à ne s’engager que sur la première moitié de l’année en espérant pouvoir gérer la suite. De plus, les ponctions annoncées dans leurs fonds de roulement leur font craindre un désinvestissement progressif de l’État de l’enseignement supérieur. Les baisses de revenu tirées de la taxe d’apprentissage – souvent de moitié – au profit notamment des niveaux infra bac accentuent cette impression d’un État et de régions de moins en moins intéressés par le supérieur.
3. Pourra-t-on augmenter les droits d’inscription et de scolarité ?
Non seulement l’État et les régions semblent se désinvestir de l’enseignement supérieur mais ils ne laissent pas les établissements trouver librement de nouvelles ressources. Le sempiternel débat sur l’augmentation des frais d’inscription a pris un nouveau tour dans les écoles d’ingénieurs sous tutelle du ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche depuis que CentraleSupélec a été autorisée à augmenter ses droits – sans que cela ne provoque aucun remous : maintenant c’est l’ensemble des écoles qui demandent à pouvoir en faire de même ! Mais qui dira qu’investir de l’ordre de 7500€ dans un cursus de trois ans qui vous amène à gagner plus de 35 000€ par an dès sa première année et vous garantit peu ou prou contre le chômage n’est pas un investissement rentable ?
4. Les étudiants étrangers paieront-ils un jour plus cher ?
40% d’étudiants étrangers en moins mais 850 millions de plus dans les caisses des établissements d’enseignement supérieur : tel est le scénario écrit par France Stratégie et dans lequel Les frais d’inscription en licence passeraient de 183 à 6 000 euros, en master de 256 à 12000 euros et dans les écoles d’ingénieurs de 610 à 15 000 euros. Ils resteraient par contre stables à 391€ en doctorat pour attirer plus d’étudiants étrangers. Le tout en maintenant des tarifs privilégiés pour les étudiants issus de pays partenaires de la France et en accordant des bourses aux plus méritants. Pour l’instant le ministère et Campus France y restent opposés et défendent plutôt un modèle de gratuité qui « permet de contribuer au rayonnement de la France ». Beaucoup défendent aussi un modèle qui permet de remplir des cursus qui seraient sans cela désertés. Mais pour combien de temps encore ?
5. Les universités pourront-elles un jour sélectionner leurs étudiants ?
Une question qui se posera sans doute encore dans dix ans tant elle reste un chiffon rouge lâché au nez du taureau Unef… Mais une question qui avance néanmoins avec la création de doubles diplômes et autres « écoles de droit » sélectives dès la première année de licence qui court-circuitent dans les faits le principe de la non sélection.
Pour l’instant c’est la question de la sélection en master 2 qui devrait être le plus rapidement traitée comme le rappelle la CPU en demandant sa « sécurisation » : « La CPU demande que la discussion se poursuive sur la question de la sélection en Master, mais que dans le même temps, et dans l’attente d’une solution plus satisfaisante, que la fragilité juridique concernant la sélection en M2 soit traitée afin que nos établissements puissent pratiquer cette sélection à l’entrée en M2 sans s’exposer à des risques de contentieux ».
6. Comment vont fonctionner les Comue ?
Avant que les problèmes budgétaires prennent le dessus sur toute autre considération, les conflits entre universités et grandes écoles sur la gestion des Comue ont longtemps occupé tous les esprits. Si dans la plupart des régions les débats sont aujourd’hui apaisés, il reste encore quelques points noirs et en particulier un Hesam qui, non seulement a perdu quelques membres éminents, mais semble maintenant faire face à la révolte d’une grande partie des équipes de sa principales composante : Paris 1. Quant à la Comue Bretagne Pays-de-la-Loire, la rupture des bans entre les universités Rennes 1 et 2 ne risque-t-elle pas de la fragiliser ? Saclay doit-elle vraiment intégrer Évry ? La nouvelle gouvernance de PSL va-t-elle résoudre tous les problèmes d’égos ? Quid de la place des universités simplement associées à une Comue comme Savoie Mont Blanc (lire ci-dessous) ou Avignon ? Pourquoi beaucoup d’école de management, comme l’EMLYON qui imagine aujourd’hui seulement pouvoir être associée à la Comue Université de Lyon, n’ont elles pas encore trouvé leur place dans les Comue ? Les questions restent nombreuses…
7. Quel modèle pour les grandes écoles ?
Alors que certains universitaires se verraient bien mettre la main sur les grandes écoles dans le cadre des Comue, ces dernières s’interrogent sur le rôle qu’entend leur faire jouer la puissance publique. A l’heure où la « taille critique » est un argument de poids dans la concurrence, beaucoup souffrent de leur petite taille : comment obtenir un poids équivalent à une université dans une Comue quand on a 700 étudiants et l’université 15 000 ? Comme pour Centrale Paris et Supélec, les rapprochements, fusions, réseaux s’imposent comme l’alpha et l’oméga des écoles d’ingénieurs. Après l’échec cinglant de France business school, on en revient du côté des écoles de management qui apprennent à travailler en réseau et se rapprochent des écoles d’ingénieurs.
8. Quel avenir pour les écoles de management ?
C’est tout le paradoxe des business schools consulaires françaises : louées pour leur qualité dans le monde entier leur modèle économique est fortement remis en cause pas, d’un côté la baisse des moyens des chambres de commerce et d’industrie dont elles dépendent, de l’autre la diminution des ressources liées à la taxe d’apprentissage. Un étau qui leur impose de réécrire leur modèle mais soyons optimistes : n’ont elles pas fait la preuve, depuis trente ans, qu’elles pouvaient produire des programmes de grande qualité avec beaucoup moins de moyens que leurs consœurs ingénieurs ?
9. Quelle place pour le numérique et les nouvelles pédagogies ?
Et si le passage à un enseignement beaucoup plus numérisé était la solution aux problèmes de financement de l’enseignement supérieur ? Beaucoup en rêvent, certains en ont fait leur modèle – notamment quand ils travaillent en multi campus -, beaucoup rejettent l’idée même, pariant sur l’essoufflement des MOOCs. Mais regardent-ils vraiment comment, de l’autre côté de l’Atlantique, la révolution numérique est déjà une réalité ? Comment les acteurs du e-learning progressent ? Oh bien sur les frais de scolarité n’ont rien à voir avec la France et ceci explique largement cela. Mais peut-on vraiment parier que des acteurs numériques majeurs ne vont pas éclore également ici ? OpenClassrooms ne s’impose-t-il pas petit à petit au point de produire maintenant des MOOCs avec l’École polytechnique ?
Gamification, classe inversée, amphis interactifs, travail en projet… les nouvelles méthodes envahissent chaque jour un peu plus les salles de cours et nombreux sont les établissements d’enseignement supérieur à investir aujourd’hui dans des laboratoires d’expérimentation pédagogiques. Une nécessité absolue pour intéresser des étudiants habitués à être constamment sollicités et qui revendiquent d’être pris comme des sujets intelligents… du moins quand ils sortent d’une certaine passivité post lycée ou prépas.
10. Quel rôle pour l’université française ?
Régions, villes, départements, regroupements de communes, toutes les collectivités – et d’abord les régions – se sentent régulièrement pousser des envies de régenter les établissements de leur territoire. Et n’est-ce pas d’ailleurs dans la logique des Comue ? Jusqu’ici les universités résistent et les grandes écoles composent. Mais pour combien de temps alors que les financements de l’État se tarissent ?
Alors que la régionalisation post Comue occupe les esprits, le véritable défi est à l’international avec ce formidable réservoir de 4 à bientôt 5 millions d’étudiants internationaux à conquérir. Si la France peut se targuer d’être la troisième ou la quatrième destination mondiale selon les années, elle reste un nain en contribution économique face aux trois premières que sont les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. Dans cette dernière la contribution des étudiants internationaux atteint chaque année les 16 milliards d’euros. Combien pour la France ? Mais surtout comment continuer à exister en tant que grande puissance de l’éducation sans les moyens nécessaires ? Refuser de donner les moyens aux établissements d’enseignement supérieur français – essentiellement par les droits de scolarité, ne tournons pas autour du mot – de se financer pour rester dans la course c’est tout simplement les condamner à régresser. En croyant protéger les étudiants par des droits de scolarité parmi les plus bas du monde, on en vient finalement à fragiliser la qualité de leur enseignement ! Et donc leur avenir !