85 étudiants par promotion et cinq Prix Nobel voilà l’équation d’une des toutes meilleures écoles d’ingénieurs françaises. Depuis 1882, l’ESPCI Paris a accueilli en son sein Marie et Pierre Curie, Frédéric et Irène Joliot-Curie, Pierre-Gilles de Gennes et Georges Charpak. Sous l’impulsion de la Ville de Paris l’école s’apprête à faire peau neuve. Les explications de son directeur, Jean-François Joanny.
Olivier Rollot : Petites promotions, tutelle de la Ville de Paris, reconnaissance mondiale en recherche et en valorisation de cette recherche, l’ESPCI Paris n’est vraiment pas une école comme les autres. Comment la caractériseriez-vous ?
Jean-François Joanny : L’ESPCI Paris est une petite école par ses effectifs mais aussi une école d’excellence. Cette année nous nous classons d’ailleurs au premier rang des écoles d’ingénieurs françaises dans le Classement de Shanghai. Notre modèle, c’est l’enseignement par la recherche avec un centre de recherche de renommée internationale, beaucoup de travaux pratiques et un lien permanent avec les chercheurs. Nos étudiants sont ainsi la moitié de leur temps très proches des laboratoires de l’école (50% du temps passé en TP directement dans les laboratoires).
Mais ce n’est pas forcément pour en faire des chercheurs. L’ESPCI Paris est une excellente école pour apprendre à travailler en équipe et à résoudre des problèmes difficiles. Nous les poussons aussi à réaliser une thèse, ce que font 70% d’entre eux. Ensuite ils sont 80% à entrer dans l’industrie où ils rejoignent des centres de recherche et développement de Saint-Gobain, Airbus, L’Oréal, Total, etc. mais également de quelques start up.
O. R : Comment recrutez-vous vos étudiants ? Comment mesurez-vous leur appétence pour la recherche ?
J-F. J : Nous recrutons les deux tiers de nos étudiants par le biais du Concours commun de l’X-ENS-ESPCI et, à ce stade, il est impossible de savoir s’ils ont la fibre recherche. Mais les candidats savent pourquoi ils veulent rejoindre l’ESPCI Paris et un enseignement fondé sur la recherche tout autant que pluridisciplinaire en physique, chimie et biologie avec peu de sciences humaines. Le tiers restant de nos admis nous rejoint en admission sur titre. Les oraux nous permettent de mesurer leur motivation et ces profils différents apportent diversité nécessaire.
O. R : Parvenez-vous à recruter suffisamment de filles ? De boursiers ? D’étudiants étrangers ?
J-F. J : Elles sont même 41% cette année avec des chiffres fluctuants et jusqu’à la moitié d’une promotion une année (en 2015). Nous recevons également 38% de boursiers et nous doublons même le montant des bourses du Crous pour attirer des candidats défavorisés. En 4ème année nous proposons des bourses d’excellence. Nous ne voulons surtout pas sélectionner nos étudiants qui partent à l’étranger par l’argent. Par exemple, nous avons signé un accord avec le laboratoire de physique de l’université américaine de Georgetown et les étudiants paient les droits de scolarité de leur université d’origine. Dernière précision : nos étudiants viennent de toute la France, pas seulement des grands lycées d’Ile-de-France comme Sainte-Geneviève et de Louis-Le-Grand !
Quant aux étudiants internationaux, ils passent par le concours étranger de l’X et de ParisTech et nous connaissent par l’entremise de ParisTech qui est très bien connu dans le monde. Une de nos directeurs de laboratoires, qui est d’origine brésilienne, va visiter ses anciens laboratoires pour y montrer ce que nous faisons. Nous avons également des accords avec des universités comme celle de Nankin et l’Institut Langevin (spécialisé dans la Physique des ondes) est porté vers la Chine. Il s’agit pour nous de recruter des profils différents qui représentent aujourd’hui 12 à 15% de nos effectifs. Nous voudrions atteindre les 20%.
O. R : C’est très particulier, votre cursus post prépas dure quatre ans et non pas trois comme dans les autres écoles d’ingénieurs (si on excepte l’Ecole polytechnique). Pourquoi ?
J-F. J : A la demande de la Commission des titres d’ingénieurs (CTI) cette quatrième année est facultative. Mais presque tout le monde la suit et effectue un master recherche. C’est une année de spécialisation « pré-doctorale ». A condition de passer 18 mois dans l’autre école, il est également possible d’obtenir un double diplôme en France (avec HEC, l’Essec, Mines ParisTech, etc.) ou à l’étranger à Nankin en Chine. à l’Unicamp au Brésil ou à l’Ecole Polytechnique de Montréal.
O. R : L’ESPCI Paris a une grande tradition d’innovation mais aussi de valorisation de la recherche. Vos étudiants sont-ils des créateurs d’entreprise ? Vos enseignants déposent-ils des brevets ?
J-F. J : Nous avons monté PC Up’, un incubateur, labellisé Ville de Paris il y a deux ans qui accueille aujourd’hui 16 start up. La plupart des projets naissent dans nos laboratoires et sont montés par des postdocs, des thésards et bien sûr nos chercheurs. Presque chaque semaine un brevet est déposé par nos équipes ! 80 des 120 brevets que possède aujourd’hui la structure de valorisation de Paris Sciences et Lettres (PSL), la Communauté d’universités et d’établissements (Comue) à laquelle nous avons adhéré, proviennent ainsi de l’ESPCI.
O. R : Mais comment fait-on naître l’innovation ?
J-F. J : C’est un état d’esprit à avoir et lors du recrutement de nos enseignants, nous nous demandons toujours s’ils sont bien motivés par l’innovation. Notre principe est de toujours partir des sciences fondamentales et d’aller vers l’application jusqu’à l’innovation.
Dans le processus de valorisation nous donnons ensuite la liberté absolue à nos chercheurs de choisir telle ou telle structure, PSL bien sûr mais aussi le CNRS, l’Inserm ou même une société d’accélération du transfert de technologies (SATT). Longtemps nous avons même abandonné tous nos droits aux chercheurs alors qu’aujourd’hui ils en gardent la moitié, 30% allant à l’employeur et 20% à la structure de valorisation. Des chercheurs comme Jérôme Bibette, Mathias Fink ou Michael Tanter font beaucoup pour le développement de cette valorisation.
O. R : Vos frais de scolarité sont assez bas, 850€ par an quand les écoles des Mines sont par exemple au-dessus de 2000€, pensez-vous les augmenter dans les années à venir ?
J-F. J : Jusqu’en 2009 la scolarité était même gratuite et les débats ont été très houleux avant qu’on la rende payante. Elle est aujourd’hui aux mêmes tarifs pour les étudiants français comme étranger et nous n’avons pas l’intention de les augmenter.
O. R : Il faut dire, autre particularité, que vous dépendez de la Ville de Paris et non pas d’un ministère. Elle assure la totalité de votre financement ?
J-F. J : Nous sommes même une régie municipale de la Ville de Paris. Celle-ci assure 53% de notre budget de fonctionnement les 47% restants venant de contrats de recherche industriels et de l’Agence nationale de la recherche (ANR), ainsi que quelques contrats CNRS et Inserm. Financées par Total, Michelin, Saint-Gobain, Axa et Hutchinson, nous recevons cinq chaires industrielles. Chacune dure entre 4 et 5 ans avec un financement annuel important des entreprises.
Nous déposons également de plus en plus de demandes de financements européens (ERC) avec l’aide de consultants. Le CNRS possède d’ailleurs une cellule de préparation informelle pour aider les chercheurs à présenter leur projet aux jurys.
O. R : Vous êtes lancés dans une reconstruction de l’ensemble de vos bâtiments qui sont situés dans le centre de Paris. A quelle échéance entrerez-vous dans vos nouveaux murs ?
J-F. J : Nous allons reconstruire à quasiment 100% des bâtiments qui étaient devenus assez vétustes. C’est un chantier de 176 M€ que la mairie de Paris finance quasiment à 100% avec un peu d’aide de la région et l’aide de l’Etat au travers de la délégation de l’Établissement public d’aménagement universitaire de la région Île-de-France. Le chantier démarre en au printemps 2018 pour finir en 2023. Nous bénéficierons alors de 10 000 m2 supplémentaires et d’une infrastructure à la pointe de la modernité, plus accessibles et aux normes actuelles et adaptés au milieu scientifique et à l’enseignement.
O. R : Vous reconstruisez tout le campus sans pour autant déménager ?
J-F. J : Nous voulions rester dans Paris et nos laboratoires déménageront au fur à mesure des travaux pour s’implanter dans leurs nouveaux locaux. Certains, comme ceux qui étudient le « sommeil des souris » ou les drosophiles, seront implantés plus au calme.
O. R : Que vous apporte votre participation à PSL ?
J-F. J : C’est un projet dans lequel nous sommes très investis. Par exemple, notamment pour figurer et progresser dans les classements internationaux. Cela a été un peu moins visible cette année pour celui du Times Higher Education (NDLR : PSL y est 72ème) qui vient de sortir. Il n’est en effet pas cumulatif et surtout toutes nos publications ne sont pas encore prises en compte car certaines ne sont pas signées « PSL ». Mais l’effet cumulatif de nos 25 établissements devrait nous permettre d’atteindre le 25ème rang dans le classement de Shanghai. Leurs experts attendaient juste une confirmation du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation attestant que nous sommes une vraie université. Cette confirmation doit bientôt leur parvenir.
PSL c’est surtout créer des liens forts avec les autres établissements, une dynamique de recherche (institut des matériaux poreux avec l’ENS, Institut Pierre-Gilles de Gennes pour la microfluidique par exemple) et bien sûr des liens entre étudiants (Projet Lutétium, Union PSL, associations sportives…). Tous nos établissements partagent une recherche d’excellence, le lien fort entre enseignement et recherche et une ouverture sur l’innovation.
- L’ESPCI Paris lance sa web-série. « L’humour est-il soluble dans la science ? » s’est demandée l’Espci avant de répondre « oui » et de lancer sa web-série de six épisodes imaginée avec l’agence bordelaise Myam qui montre des portraits d’étudiants. « Nous voulions proposer quelque chose de différent car nous sommes une école différente par son histoire, ses chercheurs, son ancrage dans la ville de Paris », explique Céline Ramondou, la directrice de la communication de l’école. La web-série est diffusée sur une chaîne YouTube dédiée et relayée sur les comptes Facebook, Twitter et le site web de l’établissement.