La nouvelle Université Grenoble-Alpes semble se développer dans un climat d’harmonie dont beaucoup de sites pourraient s’inspirer. Ce qui n’a pas empêché ses acteurs de tout se dire nous confie l’administrateur général de Grenoble INP, Pierre Benech.
Olivier Rollot : Grenoble INP est l’un des principaux membres de la future « Université Grenoble-Alpes » qui doit voir le jour début 2020. Alors que la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur (Cdefi) « tire la sonnette d’alarme » sur les regroupements tout semble en revanche bien se dérouler sur le site grenoblois ?
Pierre Benech : Se regrouper c’est faire des choix mais ce n’est pas le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation qui nous les impose. Il n’y a pas la moindre discorde entre les acteurs de la construction de la nouvelle Université Grenoble-Alpes. Ce qui ne signifie pas que nous n’avons pas eu de difficultés à la construire. Beaucoup de points ont été réglés facilement. D’autres moins. Nous avons en tout cas toujours eu l’idée que ce qui était négocié entre nous devait nous permettre d’assurer la stabilité de l’ensemble. Nous sommes allés au fond des dossiers plutôt que d’attendre en mettant les problèmes sous le tapis !
O. R : Qu’en attendez-vous ? D’abord une meilleure image à l’international ?
P. B : Ensemble nous aurons effectivement une visibilité internationale plus forte. Ainsi nous espérons pouvoir travailler avec de très grandes universités sur nos domaines d’excellence comme la physique. Cela nous permettra aussi d’accueillir quelques congrès à la réputation internationale.
L’enjeu est moins fort sur notre progression potentielle dans les classements internationaux dans la mesure où les critères ne favorisent pas les universités françaises. Nous espérons être aussi meilleurs dans les réponses aux appels d’offre européens en accroissant notre lobbying à Bruxelles et en renforçant notre structure d’ingénierie de projets. Nous avons déjà fait de gros efforts et nous espérons faire encore mieux.
Egalement nous souhaitons émerger dans le champ de l’innovation pédagogique qui est l’un de nos points d’excellence. Aujourd’hui même une université leader en la matière comme Louvain en Belgique s’intéresse à ce que nous faisons.
O. R : Quelles sont les responsabilités que Grenoble INP délègue à la nouvelle entité et continue à gérer ?
P. B : D’abord nous ne perdons pas notre personnalité morale dans le projet actuel. Aujourd’hui nous discutons de pair à pair et c’est sincère. Nous espérons bien être meilleurs ensemble en supprimant les points de compétition stériles.
L’accréditation par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation – sur avis de la Commission des titres d’ingénieurs (CTI) – n’a jamais été un point en discussion. Nous sommes et restons porteurs de notre accréditation. En revanche tous nos diplômes seront bien signés par le président de l’université – en plus du directeur de l’école, de l’administrateur général de Grenoble INP et du recteur pour l’Etat – car c’est la griffe d’une intégration sur laquelle nous avons tout de suite été en accord.
Quant à nos laboratoires, nous en assurons la « tutelle associée » avec l’université comme tutelle, en continuité avec l’existant. Cela sera détaillé dans le règlement intérieur. De même il sera possible que ce soient des enseignants de Grenoble INP qui négocient avec le CNRS à partir du moment où ils auront été élus au niveau de l’université.
O. R : Grenoble INP va garder la même identité ?
P. B : Aujourd’hui nous sommes Grenoble INP Institut d’ingénierie Univ. Grenoble Alpes. Demain dans la même personnalité morale entrerons Polytech Grenoble et l’institut d’administration des entreprises (IAE) Grenoble. En tout huit écoles feront alors partie de la composante. Le nom final de la marque n’est pas décidé. Grenoble INP restera car c’est une marque très bien reconnue qui fait également partie du Groupe INP. L’IAE voudrait que cela se complète par le terme de management et Polytech souhaite que le terme d’ingénierie demeure. Ce qui est certain c’est que le sigle va changer pour bien montrer notre appartenance à l’université.
O. R : Qu’en est-il de la propriété intellectuelle des brevets que vous déposez ?
P. B : Aujourd’hui nous avons très peu de brevets en propre. Nous partageons la plupart de nos brevets avec les partenaires institutionnels de nos laboratoires. Demain l’université sera maître de toute la valorisation et nous serons copropriétaires de la propriété intellectuelle tout en étant opérateurs pour son compte. Il faut aussi savoir que la société d’accélération du transfert de technologies (SATT Linksium) de Grenoble ne gère pas ces questions et se concentre plutôt sur l’éclosion des start up.
Dans le même esprit nous sommes en discussion pour gérer le dispositif de soutien à la création d’entreprise nommé PEPITE OSER pour le compte de toute l’université.
O. R : La gestion de la propriété intellectuelle est une activité rentable pour une université ?
P. B : Bien sûr à condition d’avoir une stratégie bien définie. Le tout est de gérer des flux et pas du stock. Ce qui signifie qu’il ne faut pas s’entêter à protéger un brevet s’il n’est pas exploité dans un délai raisonnable.
O. R : Mais en fait qu’est-ce qui va changer entre l’actuelle Comue et la nouvelle Université Grenoble-Alpes ?
P. B : C’est surtout la gouvernance et la stratégie qui évoluent. Toutes les écoles d’ingénieurs vont se trouver dans la même structure, rejointes par un IAE très enthousiaste à cette perspective. Grenoble INP institut d’ingénierie sera le point de contact majeur avec les entreprises. Nous allons donc gérer l’essentiel des relations avec les entreprises de la nouvelle université. Je voudrais d’ailleurs souligner à quel point l’université fait preuve de sa volonté d’avancer en nous renforçant de composantes internes qui fonctionnent très bien. En définitive la création de cet Institut d’ingénierie est ce qu’il y a de plus brillant dans le projet !
Quant à la gouvernance le fait d’avoir un seul lieu commun d’élaboration de la stratégie est un signal fort tant en interne qu’auprès des partenaires internationaux. Pour autant cela ne nous empêche pas de travailler seuls sur certains sujets, certains partenariats internationaux dans le cadre de l’ingénierie . L’important si c’est le cas c’est de bien partager notre démarche à la structure centrale en amont. Une structure qui ne sera pas composée des seules équipes de l’université actuelle mais bien aussi de celles de Grenoble INP, de l’IEP et l’ENSAG.
O. R : Qu’est-ce qui vous paraît particulièrement notable dans votre construction si on la compare avec d’autres regroupements en cours de constitution ?
P. B : Nous sommes sans doute plus intégrées tout en étant plus démocratiques que d’autres structures. Chaque vice-président de l’université sera entouré de vice-présidents de chaque composante pour porter ensemble des projets communs. Quant au président de l’université il concevra la stratégie globale avec le directoire qui comprend six composantes, avec ou sans personnalité morale. Ce directoire est original car il conduit à travailler en équipe. Nous sommes condamnés à nous entendre !
O. R : Mais qui va décider d’un sujet aussi crucial que le montant des droits d’inscription ?
P. B : Nous pourrons toujours fixer nos droits d’inscription filière par filière en accord avec les composantes concernées. D’ailleurs l’IAE demande déjà des droits d’inscription supérieur aux droits universitaires comme nous le faisons pour certains masters. Cette fixation des montants doit rester une liberté de l’établissement et de ses écoles.
O. R : Vous allez augmenter vos droits de scolarité ?
P. B : Pour l’instant et pour les 6 écoles actuelles de Grenoble INP, ils restent fixés à 610 €. Nous avons consulté nos étudiants et, à 70%, ils sont favorables à un passage à un montant entre 1800 et 2500€ en fonction du projet que nous présenterons. Ce qui nous permettra aussi d’exonérer plus d’étudiants qu’à l’heure actuelle.
O. R : Une date est envisagée pour l’instauration de ces nouveaux droits ?
P. B : Rien n’est fixé mais nos étudiants sont conscients que le plan de retour à l’équilibre financier que nous avons dû mettre en œuvre a été très dur. Nous avons notamment perdu une partie de nos enseignants.
O. R : Vous avez les moyens de recruter des professeurs internationaux ?
P. B : Nous souhaitons recruter plus de professeurs étrangers mais pas pour autant de les payer plus chers en tant que contractuels. Dans le cadre de l’université intégrée, nous travaillons plutôt à un meilleur accompagnement de leurs familles et à des meilleures conditions de travail (bourses de thèse, allocations de recherche, etc.) pour rendra la place enviable. Nous avons aussi la chance d’être proches de grands instruments européens, comme le Synchrotron, qui attirent des chercheurs du monde entier.
O. R : Qu’en est-il des écoles qui resteront extérieures à la nouvelle université comme Grenoble EM ?
P. B : Grenoble EM sera associée à l’université et nous continuerons à travailler avec elle. Comme demain nous pourrions monter des formations communes avec l’Ecole supérieure d’art par exemple.