ECOLE D’INGÉNIEURS, UNIVERSITES

Nouveaux rapprochements d’universités et Grandes écoles : où en est-on ?

La nouvelle politique de site voulue par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation arrive à un stade opérationnel. Peu à peu les Comue (communauté d’universités et d’établissements) disparaissent. Mais tout n’est pas un grand fleuve tranquille. Loin de là. Si à Grenoble le projet de la nouvelle université Grenoble-Alpes est en voie d’être voté par les conseils sans friction apparente, le site lyonnais connaît bien des turbulences, illustrées il y a quelques semaines par la démission du directeur de l’Insa, Eric Maurincomme. Un contexte tendu qui a amené la Conférence des grandes écoles et la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieur à « tirer la sonnette d’alarme ».

La Cdefi dénonce une situation « délétère »

« Alertées par plusieurs écoles d’ingénieurs sur la perte de leurs prérogatives dans la mise en œuvre des politiques de site », la Cdefi et la CGE dénoncent dans un communiqué la « situation délétère qui est en train de s’installer sur les différents sites et la perte de valeur collective qui en découle ». Les conférences soulignent que les discussions « mettent en évidence une très forte injonction aux écoles d’ingénieurs d’abandonner la plus importante de leurs prérogatives, à savoir leur accréditation pour le diplôme d’ingénieur, ou d’accepter des contraintes qui entravent leur autonomie ». Et d’insister : « Il ne peut être imposé à un établissement de participer à un regroupement, d’abandonner sa personnalité morale, la diplomation de ses élèves ou la tutelle des unités de recherche sauf à ce qu’il y trouve intérêt ».

La question de l’accréditation des diplômes d’ingénieur est particulièrement cruciale pour les écoles. Les conférences insistent pour qu’elles soient « délivrées directement aux écoles d’ingénieurs qui en assurent les formations et y engagent leurs ressources, et à elles seules ». De même, la création de nouveaux diplômes, « si elle doit se faire en concertation avec les autres établissements qui participent à un même regroupement, doit relever d’une décision de l’établissement qui l’opère ».

Des tensions éclatent

S’il ne s’est pas directement prononcé sur les raisons de sa démission de la direction de l’Insa Lyon on sait qu’Eric Maurincomme était de longue date en opposition avec une trop grande intégration de son établissement. Sans revenir sur les raisons qui ont poussé l’Ecole polytechnique à quitter Paris-Saclay bien avant qu’on entre dans le nouveau processus de regroupements, comment ne pas constater que les tensions Grandes écoles / universités n’en finissent pas de réapparaître. Mais la question est sans doute bien plus large. A PSL la création d’un bureau intermédiaire entre la direction et le comité exécutif dont seuls deux établissements – l’ENS et Paris-Dauphine – sont membres permanents quand les autres doivent se partager un siège tournant crée également bien des tensions qui dépassent la question des relations Universités / Grande écoles. Pourquoi créer cette instance non décisionnaire alors qu’il n’y a que neuf membres au sein du directoire ? Pourquoi un siège fixe pour certains et pas pour les autres s’interrogent des écoles qui constatent finalement ce que se disent beaucoup de Grandes écoles face aux universités : dans les regroupements les plus forts veulent plus de pouvoir !

La volonté ministérielle

Devant des directeurs de Grandes écoles toujours assez dubitatifs sur le sujet, Frédérique Vidal en avait déjà fait le constat lors de la dernière assemblée générale de la CGE : « Je sais que ces discussions ne sont pas toujours placées sous le signe de l’évidence. Bien sûr, chacun d’entre vous avez à cœur de défendre vos spécificités et vos marques distinctives. Bien sûr, encore, les organismes de recherche et les universités cherchent à défendre les leurs ».

Mais elle n’en veut pas moins être optimiste et volontariste : « Expérimentez, bousculez les lignes qui vous paraissent pouvoir l’être et apprenez à construire ensemble une stratégie commune ». Et de rappeler l’enjeu et les attentes de son ministère : « Ce n’est qu’à ce prix que l’on construit une véritable université de rang mondial telle que le jury international IDEX-ISITE l’attend mais, plus important encore, telle que le MESRI l’attend ». Sa conclusion : « Nous devons produire un système plus simple et c’est à ce prix que notre enseignement supérieur sera lisible à l’international ! Aujourd’hui nous tenons parce que la qualité de nos formations est reconnue mais d’autres systèmes le sont également de plus en plus ».

Et quand on ne s’entend pas à cinq ou huit mieux vaut réduire le périmètre. C’est ce qu’a fait l’Ecole polytechnique en créant l’Institut polytechnique de Paris avec des écoles dont elle est proche. C’est ce qu’ont fait les universités Paris Diderot et Paris Descartes (associées à l’Institut de physique du globe de Paris) pour créer l’Université de Paris en abandonnant au passage leurs consœurs de Paris 3 et 13. Tout juste élue sa première présidente, Christine Clerici, déclare « mesurer l’importance que revêt ce premier mandat qui doit poser les bases d’un nouveau modèle d’université de recherche intensive, de dimension européenne et internationale, que nous voulons avant tout au service de la société ».  Un nouveau modèle sans doute moins ambitieux que l’initial mais aussi plus viable comme le sont les grandes universités d’Aix-Marseille, Bordeaux ou encore Strasbourg.

L’« exemple » grenoblois

Peut-être parce que sa taille reste raisonnable, sans doute parce que la concurrence avec ses voisins lyonnais ou suisse est très dure et pousse aux accords, le site grenoblois semble en mesure de réussir sa mutation là où d’autres sont encore dans l’expectative. « Nous sommes dans le sprint final. Les conseils des différentes composantes sont en train de voter les statuts. Ceux-ci sont la résultante du texte fondateur à la base de la construction de notre nouvel ensemble et de quatre mois de travail réalisés l’année dernière et diffusés depuis janvier 2019. Je crois qu’on peut dire que tout a été mené en concertation et que tout le monde s’en félicite », signifie le président de l’université Grenoble-Alpes actuelle, Patrick Lévy. Dès ce mois de juillet le projet devrait être voté par toutes les composantes. Il restera ensuite au Cneser à l’examiner et au gouvernement à l’entériner par un décret et la nouvelle « Université Grenoble Alpes » verra le jour le 1er janvier 2020.

« Se regrouper c’est faire des choix mais ce n’est pas le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation qui ne les impose. Il n’y a pas la moindre discorde entre les acteurs de la construction de la nouvelle Université Grenoble-Alpes. Ce qui ne signifie pas que nous n’avons pas eu de problèmes à la construire. Beaucoup ont été réglés facilement. D’autres moins », confie l’administrateur général de Grenoble INP, Pierre Benech, qui conclut : « Nous avons en tout cas toujours eu l’idée que ce qui était négocié entre nous devait nous permettre d’assurer la stabilité de l’ensemble. Nous sommes allés au fond des dossiers plutôt que d’attendre en mettant les problèmes sous le tapis ! »

Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Send this to a friend