ALTERNANCE / FORMATION CONTINUE

«Entre deux Grandes écoles de valeur similaire situées dans la même région le financement de l’apprentissage peut aller du simple au double!»

L’apprentissage va-t-il pouvoir continuer à se développer dans l’enseignement supérieur ? Et notamment dans les écoles de management ? La question se pose alors que les conditions de son financement restent incertaines. L’analyse de Denis Guibard, directeur de l’Institut Mines Télécom BS en charge du sujet au sein de la Conférence des grandes écoles.

 Olivier Rollot : Vous êtes en charge du dossier de la réforme de l’apprentissage au sein de la Conférence des grandes écoles. Pouvez-vous nous expliquer où en sont vos discussions avec l’organisme en charge de sa mise en route, France Compétences ?

Denis Guibard : Nous avons beaucoup travaillé avec France Compétences pour comprendre comment ils fonctionnaient et comment pouvaient se dégager des recommandations de prises en charge non convergentes. Pour un programme Grande école (PGE) d’école de management cela s’étale aujourd’hui de moins de 6500€ par an à plus de 17 000€. Entre deux Grandes écoles de valeur similaire situées dans la même région du Sud de la France cela peut aller du simple au double !

O. R : Comment de tels écarts peuvent-ils être constatés ?

D. G : France Compétences a sollicité l’ensemble des 220 branches professionnelles qui ont elles-mêmes étudié plus de 6800 formations dans l’enseignement supérieur. Leurs propositions de « coût contrat » ont ainsi été remontées en prenant soin d’éliminer les « valeurs aberrantes » trop éloignées de la valeur moyenne. Pour une même formation le coût estimé final référent est la valeur médiane puis la valeur de 25% supérieure (minimum toléré) et le 75% au-dessus comme maximum.

Mais il s’agit toujours de la même formation. France Compétences n’a pas le mandat de faire converger des valeurs entre des diplômes équivalents. Résultat : pour l’Institut Mines Télécom BS, que je dirige, le coût est estimé à 6756€ quand il monte à plus de 16 000€ pour Montpellier BS. Pour un diplôme équivalent !

O. R : Comment en discutez-vous avec les instances de France Compétences ?

D. G : Nous leur avons communiqué un document dans lequel nous faisons apparaître six grands problèmes dans la mise en place de la méthodologie de collecte : saisie des données fausse, chiffres obsolètes, formations absentes, etc. Aujourd’hui une formation absente – par exemple à La Rochelle BS – se retrouve dans un dispositif dit de « carence » dont le coût estimé n’est que de 4500€.

O. R : Comment cela peut-il se produire ?

D. G : France Compétences a interrogé toutes les branches professionnelles. Qui n’emploient parfois aucun apprenti. Alors que quatre branches emploient à elles seules 80% des apprentis, elles ont exactement le même poids que les quinze qui en emploient très peu. De plus certaines branches, comme l’UIMM, privilégient le pré-bac ou le bac+1/2 au détriment du bac+5.

Tout cela nous lé découvrons à la fin du processus. Ni la Conférence des grandes écoles ni la Conférence des présidents d’université ne font en effet partie des instances de gestion de France Compétences. Nous les avons alerté, nous avons alerté le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, nous avons alerté la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle sans recevoir beaucoup de réponses.

Or les valeurs sont maintenant figées pour deux ans. A moins que France Compétences émette des recommandations contraires dans le cadre d’une « commission de recommandations » dans attendre ces deux ans.

O. R : Cela met-il en péril l’avenir même de l’apprentissage dans certaines Grande écoles ?

D. G : Si une école reçoit pour ses contrats d’apprentissage une rémunération inférieure à ses coûts tout dépend de savoir s’il s’agit pour elle d’un coût marginal – elle reçoit peu d’étudiants en apprentissage – ou majeur. Dans ce dernier cas l’école peut soit réduire le volume de contrats soit totalement les arrêter. Ce serait vraiment dommage alors que ces contrats sont aussi un moyen d’accroitre leur ouverture sociale dans beaucoup d’écoles au moment où on parle tant de leur ouverture sociale.

O. R : Aujourd’hui quel est le pourcentage de Grandes écoles concerné par cette divergence importante entre leur coût et la rémunération envisagée ? Ce sont essentiellement des écoles de management ?

D. G : Entre 20 et 30%. Et pas seulement des écoles de management. Des écoles d’ingénieurs rencontrent le même problème. Parce que leur coût est très élevé dès lors qu’elles disposent de beaucoup de matériel comme c’est la cas en plasturgie, en mécanique ou dans les matériaux composites. Mais l’essentiel du problème se situe dans les écoles de management dont les diplômes sont strictement équivalents alors que leur coût estimé ne l’est pas.

O. R : La réforme change-t-elle aussi les relations des écoles avec les centres de formation d’apprentis (CFA).

D. G : La réforme change le mode de collaboration entre les établissements d’enseignement supérieur et les CFA. Jusqu’ici les établissements dépendaient des CFA avec des modalités qui impliquaient de nombreux acteurs. Aujourd’hui certains CFA sont en tension en raison de leurs coûts de gestion. Mais changer de CFA a également un coût.

O. R : Il y a un autre sujet d’actualité dont vous êtes responsable au sein de la Conférence des grandes écoles : la RSE (responsabilité sociale des entreprises) et le développement durable dont vous présidez la commission. Quelles actions menez-vous à ces sujets ?

D. G : Avec la Conférence des présidents d’université nous sommes partenaires d’un document qui analyse la façon dont les établissements d’enseignement supérieur peuvent contribuer au développement durable sur une liste des 17 « goals » que l’ONU a listés. Recherche, enseignement, fonctionnement interne, nous analysons les dimensions climatiques et énergétiques de chaque établissement. Il est devenu indispensable de former les futurs cadres des entreprises à ces enjeux pour bien mesurer l’impact de leurs actions sur la planète et la société au-delà du seul sentiment de leurs actionnaires. Il faut aussi que cela imprègne la recherche.

O. R : Faut-il développer plus de formations dédiées ?

D. G : Des masters en développement durable il y en a déjà beaucoup. Mais pour être un acteur du développement durable dans les entreprises il faut d’abord posséder une compétence. Pas seulement posséder une casquette. Quand j’étais responsable de la RSE au sein d’Orange si j’ai pu transformer le processus de fabrication des Livebox c’est parce que je savais ce qu’il y avait à l’intérieur. Je crois plus à l’intégration de la RSE et du développement durable à tous les étages qu’à des postes dédiés.

Les établissements d’enseignement supérieur doivent donner l’exemple en commençant par le tri sélectif mais surtout en gérant mieux leur impact carbone.

O. R : Cette année le Times Higher Education a sorti son premier classement mettant en avant les universités les plus impliquées dans la RSE et le développement durable. Pensez-vous qu’on puisse le faire en France pour les écoles de management ? Et comment ?

D. G : L’EFMD (European Foundation for Management Development) analyse déjà la démarche autour de neuf standards. Un classement pourrait également s’appuyer sur le référentiel DDRS ou les engagements que prennent les écoles qui adhérent au réseau PRME de l’Onu. Le fait de faire ou passer ou pas systématiquement le Sulitest est un autre critère à prendre en compte. Mais attention à ne pas tomber dans le « greenwashing » !

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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