ECOLES DE MANAGEMENT, INTERNATIONAL

« HEC Montréal est inscrite dans une double vision : européenne et américaine »

14 000 étudiants, 300 professeurs, HEC Montréal est l’une des plus grandes école de gestion au monde. Le 1er juin 2019 Federico Pasin en est devenu le 11ème directeur pour un mandat de quatre ans. Jusqu’ici secrétaire général et directeur des activités internationales, professeur titulaire au Département de gestion des opérations et de la logistique, il travaille à HEC Montréal depuis 1994.

Federico Pasin

Olivier Rollot : Comment définiriez-vous l’identité de HEC Montréal ?

Federico Pasin : HEC Montréal est un établissement universitaire créée en 1907 par la Chambre de commerce du district de Montréal pour former des gestionnaires francophones et ouverts sur le monde. Quand l’Université de Montréal a été créée, HEC Montréal et Polytechnique Montréal l’ont rejointe en tant qu’écoles affiliées. Aujourd’hui les trois établissements ont su développer de nombreux liens pour le bien de tous. L’Université de Montréal est aujourd’hui l’une des 100 universités les plus renommées dans le monde dans les sciences et beaucoup nous connaissent aussi par ce prisme.

HEC Montréal est inscrite dans une double vision : européenne et américaine. Nous sommes bâtis selon un modèle européen tout en étant sur le continent américain. Nous sommes très près du milieu des affaires tout en amenant nos professeurs à publier leur recherche. Là aussi un double équilibre entre une école à finalité professionnelle et scientifique. HEC Montréal fait d’ailleurs partie des trois écoles de gestion francophones, avec l’Insead et HEC Paris, à faire partie du Business School Research Rankings de l’Université de Dallas.

O. R : HEC Montréal est-elle proche des autres HEC ?

F. P : Même si nous ne leur sommes plus liés nous bénéficions tous de la notoriété des autres HEC, à Paris ou Lausanne. Notamment en Afrique. Nous développons d’ailleurs en ce moment une projet commun avec l’université de Toronto et HEC Paris. Ensemble nous travaillons à la construction d’un Constructive Disruptive Lab qui comprendra un incubateur et des cours de MBA (master of business administration). Des entreprises liées aux technologies qui postulent à l’incubateur seront mises en contact avec les étudiants de nos MBA qui réaliseront des études pour leur compte encadrés par nos professeurs.

O. R : On parle de Montréal comme d’une des capitales mondiales de l’intelligence artificielle (IA). Comment HEC Montréal est-elle impliquée dans son développement ?

F. P : Nous avons depuis longtemps un département de sciences de la décision avec des professeurs reconnus dans le monde entier pour la valeur en mathématiques ou en statistiques. Aujourd’hui leurs compétences sont devenues essentielles. Quand le gouvernement canadien a décidé d’investir dans le développement de centres d’excellence en recherche c’est tout naturellement qu’il se soit tourné vers Montréal pour l’intelligence artificielle. 100 millions de dollars canadiens (68 millions d’euros) ont ainsi été investis dans le laboratoire Ivado (Institut de valorisation des données) dont nous sommes l’un des partenaires.

Nous montons également des projets en intelligence artificielle avec des entreprises. Dans le cadre du projet Next IA nous formons des jeunes à l’intelligence artificielle. Avec Scale AI nous soutenons des petites entreprises dans le domaine et les aidons à grandir.

O. R : Mais pourquoi le Canada, et singulièrement Montréal, excelle-t-il particulièrement dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) ?

F. P : Les entreprises canadiennes sont parmi celles qui ont eu le plus de bénéficies à se lancer dans la recherche en intelligence artificielle. Tout simplement parce qu’elles travaillent sur un très large territoire où il est crucial d’optimiser les déplacements. La logistique, le calcul des meilleures manières de déplacer les marchandises, est un domaine où la complexité mathématique excelle. Des entreprises comme Air Canada ou Couche-tard, qui possède 2200 boutiques dans tout le Canada, en tirent des bénéfices immédiats.

Et en y participant nos chercheurs recueillent des masses de données qu’ils peuvent ensuite publier dans les meilleures revues de recherche. D’autant que nous bénéficions du travail de pionniers des données qui ont su depuis attirer à HEC Montréal d’excellents post doc.

Montréal est également un haut lieu de l’industrie du jeu vidéo : c’est à Montréal qu’Ubisoft a installé son principal laboratoire de recherche. Elle est proche de grands centres névralgiques comme Toronto, Boston ou New York. C’est une ville agréable à vivre. Enfin les lois mises en œuvre par Donald Trump pour empêcher l’arrivée aux États-Unis de personnels étrangers ont conduit beaucoup de grands groupes américains du numérique à s’implanter au Canada. Ils y trouvent des villes sécurisées et des écoles de très grande qualité sans être chères. Avec tous ces atouts c’est facile de convaincre des chercheurs de nous rejoindre.

O. R : Les grands établissements d’enseignement supérieur montréalais collaborent-ils beaucoup les uns avec les autres ?

F. P : Nous sommes très proches de l’Université de Montréal et de Polytechnique Montréal mais aussi de l’Université McGill. Avec cette dernière, avec l’uUniversité du Québec à Montréal (UQAM) et Concordia nous avons monté un programme de doctorat conjoint qui donne accès aux ressources (professeurs et cours) de chacun. Avec l’Université McGill nous avons également monté un EMBA et nous venons de créer un programme pour former des gestionnaires ingénieurs avec Polytechnique Montréal.

O. R : Avec tous ces atouts on comprend que beaucoup d’étudiants français décident de rejoindre HEC Montréal. Qu’est-ce qu’ils viennent chercher chez vous au juste ?

F. P : En tout un tiers de nos étudiants sont internationaux. C’est donc déjà une exposition internationale qu’ils trouvent en nous rejoignant puis en participant à l’un de nos nombreux programmes d’échanges.

Ils trouvent aussi une proximité avec leurs enseignements qu’on ne trouve pas forcément en Europe. Ici très souvent les professeurs se font tutoyer par les étudiants.

Nous facilitons également leur intégration en favorisant en première année le travail dans un groupe fixe. Ainsi nos étudiants se constituent très rapidement un réseau. Plus tard, quand s’ouvriront le choix des spécialités, ils auront ainsi pu se forger des amitiés dans tous les secteurs. Logistique, finance, , management ici tous les choix sont possibles.

Ensuite, une fois diplômé, il est possible d’intégrer le marché du travail dès l’obtention de son baccalauréat (équivalent du bachelor en Europe) ou de poursuivre à la M. Sc. 40% de nos étudiants français sont encore au Québec cinq ans après la fin de leurs études (30 à 35% reviennent en France et les autres travaillent à l’international). Ils y trouvent un marché du travail très ouvert dans lequel on vous juge d’abord sur vos compétences. Pas sur votre carnet d’adresses.

O. R : Cela coûte cher de venir étudier à HEC Montréal ?

F. P : Nous sommes un établissement public et donc les frais sont relativement faibles : 9400$ canadiens par an soit 6000€. Parfois même des étudiants chinois ou indiens sont tellement surpris de nos prix qu’ils nous demandent s’il ne « manque pas un zéro ». Dans les classements nous nous classons ainsi dans le top 15 des écoles de gestion qui offrent le meilleur retour sur investissement.

Mais attention : nous avons été créés pour que des étudiants québécois francophones puissent embrasser une carrière internationale s’ils le souhaitent. En faisant venir des étudiants internationaux nous voulons avant tout créer un un milieu avec une grande diversité culturelle.

O. R : Est-ce facile de se loger à Montréal ?

F. P : Très et la vie n’est pas chère. Nos étudiants s’installent souvent en colocation dans de grands appartements situés dans les meilleurs quartiers. Notamment le « Plateau » qui est un peu notre quartier latin.

O. R : Que recherchez-vous chez les étudiants français que vous recrutez ?

F. P : Nous pourrions recruter beaucoup plus d’étudiants français mais nous avons mis l’accent sur leur qualité en relevant la barre du bac vers le bien et le très bien. Des étudiants qui auraient pu choisir une classe préparatoire en France mais recherchent un enseignement très concret et centré sur l’apprenant. D’autres nous rejoignent également après une et même deux années de classes préparatoires. Mais la plupart viennent après le bac pour suivre un cursus de quatre ans.

O. R : L’un de vos atouts est de pouvoir donner une réponse très vite quand il faut attendre la mi-mai en France pour savoir dans quel établissement d’enseignement supérieur on est ou pas admis…

F. P : Le dépôt des demandes se fait en février et nous apportons une réponse aux dossiers exceptionnels. Pour les autres nous leur offrons une admission conditionnelle à leurs résultats au bac.

O. R : Et ensuite comment faut-il travailler pour réussir ses études au Canada ?

F. P : Il faut s’adapter à des hivers très froids c’est clair mais surtout être très autonomes dès la première année. Le bac français est très rigoureux et apporte de très bons acquis. Mais le défaut de son rythme soutenu est que l’élève a rarement eu l’idée d’avoir un jugement sur ce qui est ou non prioritaire. En Amérique, il faut savoir gérer des semaines très libres suivies de semaines extrêmement remplies. Il faut aussi apprendre vite à jongler avec différents projets et à travailler en équipe avec des partenaires fiables venus du monde entier. Et s’ils n’ont pas préparé leurs exercices à l’avance ils n’ont aucune chance de réussir en cours. Nous ne recherchons pas ce qui est appris par cœur mais nous tentons plutôt de favoriser la maîtrise des compétences et la créativité.

Nous insistons beaucoup auprès de nos étudiants que ce n’est pas parce qu’ils ont été reçus à HEC Montréal que la Terre doit s’arrêter de tourner. Il faut beaucoup de travail pour arriver à destination. Les meilleurs peuvent même intégrer nos équipes de compétition académiques qui participent à des concours partout dans le monde.

O. R : La qualité de votre enseignement repose-t-elle aussi sur une évaluation de vos professeurs par vos étudiants ?

F. P : Depuis des décennies. Il faut avoir confiance dans ses étudiants. Être évalué par eux ne signifie par renverser le pouvoir. Ils sont là pour apprendre et veulent être bien évalués toute l’année. Avec exigence. On ne peut pas être drôle mais incompétent et espérer avoir une bonne évaluation. Lire ses évaluations est parfois difficile mais permet de mieux comprendre les besoins des étudiants et d’améliorer nos enseignements.

J’ai déjà mis des 0 à des étudiants, parce que j’avais identifié des plagiats cela n’a eu aucun impact sur mes évaluations. Quand on corrige les copies avec rigueur et en connaissant la littérature, les étudiants nous respectent.

Previous ArticleNext Article
Avatar photo
Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Send this to a friend