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«Avec une IA on peut être plus efficace mais les étudiants sont-ils capables de s’autoréguler pour ne pas en abuser?»: Jean-Marie Gilliot (IMT Atlantique)

L’Institut Mines Télécom (IMT) est en pointe dans la réflexion sur les usages des intelligences artificielles (IA). Enseignant-chercheur à l’IMT Atlantique, Jean-Marie Gilliot y est particulièrement en charge de la questions des environnements informatiques pour l’apprentissage humain. Son analyse sur les usages des IA dans l’enseignement.

Olivier Rollot : Enseignant-chercheur à IMT Atlantique, vous êtes particulièrement en charge de la question des environnements informatiques pour l’apprentissage humain. Aujourd’hui la question est sur toutes les lèvres : comment les IAG impactent-elles aujourd’hui les pédagogies ?

Jean-Marie Gilliot : Cela se fait de manière relativement informelle. L’année dernière nous avons entamé un travail global avec l’ensemble des écoles du groupe IMT pour comprendre les enjeux et les services possibles avec une série de séminaires. Certaines écoles, comme l’IMT Business school ont même produit une charte.

Aujourd’hui l’enjeu principal pour les étudiants est de ne pas perdre pied en l’utilisant. Récemment nous avons ainsi un étudiant qui a eu l’idée de demander à ChatGPT de lui fournir un code pour éteindre son ordinateur. Seulement, le code fait, son ordinateur s’est éteint tout de suite après l’avoir allumé ! Il faut faire très attention à ce qu’on demande aux IA qui prennent vos indications au pied de la lettre et à ne pas l’appliquer sans comprendre.

O. R : Comment vos professeurs utilisent-il les IA ?

J-M. G : C’est à l’appréciation de chacun. D’autant que beaucoup de nos enseignants ont déjà une pratique très aboutie des outils informatiques, particulièrement sur notre campus de Brest, et considèrent les IA seulement comme un outil supplémentaire. Récemment un collègue a demandé à une IA de lister la totalité des options envisageables pour un projet et cela lui a servi de base pour travailler avec ses étudiants.

La nature de nos activités fait que nous pouvons faire appel à différentes solutions. En informatique, le site Github, utilisé par la majorité de ceux qui font du logiciel libre, a par exemple créé un outil d’IA spécifique au développement de code logiciel. Toute personne faisant partie d’une université, professeur comme étudiant, y a accès gratuitement et cela change véritablement la vie des développeurs. C’est un outil redoutablement efficace pourvu qu’on possède les bases nécessaires. Sinon comment se rendre compte des erreurs alors que nous devons garantir la qualité de nos productions ?

En recherche il existe aujourd’hui plein d’outils spécialisés pour réaliser des synthèses, résumés, etc. qui font gagner beaucoup de temps. Le tout est de trouver un équilibre entre le gain de temps et la qualité des productions.

O. R : Et vos étudiants, quelle est leur utilisation des IA ?

J-M. G : 80 à 85% de nos étudiants utilisent des IA. Parfois en passant de l’interrogation de leurs professeurs à celle d’une IA. J’ai pu le constater récemment lors d’un TD où, n’ayant pas pu répondre tout de suite à la question d’un étudiant, devant passer à un autre sujet, il m’a indiqué plus tard que ChatGPT lui avait finalement apporté la solution, basée sur mes indications.

Le problème que peuvent rencontrer nos étudiants c’est l’argument d’autorité prêté aux IA. On oublie vite qu’on est face à une machine qui a forcément écarté des arguments pour livrer sa solution. Il ne faut pas hésiter à lui dire « tu as tort », d’ailleurs les IA acquiescent souvent, pour tracer les sources. Il faut toujours apprendre pour développer  une capacité d’analyse !

O. R : Un des débats qu’ont aujourd’hui beaucoup d’enseignants porte sur la pertinence ou non de donner des devoirs à la maison qui sont aujourd’hui facilement réalisés par les IA. Quelle est votre analyse à ce sujet ?

J-M. G : Nous faisons peu d’évaluation à domicile sur nos Unités d’Enseignement de cœur d’activité. Et nous coupons tous les accès à des sources extérieures lors des évaluations sur machine. A domicile, nous ne faisons produire par nos étudiants que des travaux de projet.

Mais plus largement les devoirs à domicile sont d’abord de l’entrainement. Si on prend une aide extérieure on ne s’entraine pas vraiment et cela vous prépare mal à un concours ou un examen.

Après la question est celle de la surcharge de travail. Le recours aux IA, comme au dopage, est favorisé par la surcharge de travail. Si on est en stress, que les règles ne sont pas claires, si on a trop de devoirs chaque semaine il y un moment où on utilise l’IA ou… son camarade de droite.

O. R : Vous le dites, IA ou pas il faut apprendre !

J-M. G : Encore un exemple. Un professeur d’informatique du MIT (Massachusetts Institute of Technology) a voulu faire apprendre à ses étudiants le vieux langage de programmation informatique qu’est le Fortran à trois groupes distincts : l’un avait de la documentation, le deuxième une IA à disposition, le troisième devait se débrouiller. Eh bien, le jour de l’examen, c’est ce troisième groupe qui a le mieux réussi.

O. R : Des IA mais pas trop en résumé !?

J-M. G : Avec une IA on peut être plus efficace mais les étudiants sont-ils capables de s’autoréguler pour ne pas en abuser ? Et auront-ils toujours des IA à disposition ? On assiste aujourd’hui à une bulle spéculative qui les rend accessibles financièrement alors que les coûts de développement sont considérables. Sans parler des limites planétaires tant elles sont consommatrices d’énergie. Avec des puissances de calculs exponentiels comment trouver les énergies nécessaires ?

Pour autant je ne crois pas que nous soyons face à un phénomène appelé à s’éteindre ou à s’estomper comme la réalité virtuelle ou la 3D. Les IA ont un potentiel beaucoup plus fort.

O. R : Sans oublier les biais, voire les « hallucinations » dans les résultats…

J-M. G : A tel point que des universités entendent produire leur propre IA. Mais est-ce vraiment possible ? Le plus important pour moi est de maintenir des espaces de débat et de collaborations.

  • Jean-Marie Gilliot organise du 20 au 23 mai 2025le colloque Questions de pédagogie dans l’enseignement supérieur (QPES 2025) à Brest. Il sera précédé d’un pré-colloque les 19 et 20 mai 2025. La thématique de cette 13ème édition de QPES «Écosystèmes de formation pour quelles transformations?» appelle le monde académique à prendre le temps nécessaire pour questionner, (re-)penser et accompagner les transformations de l’enseignement supérieur.

 

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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