Il y a un an, nous publions une enquête sur les enjeux des classes prépas. L’époque était aux interrogations face à des inscriptions en baisse, notamment en économiques et commerciales générales (ECG), puis l’annonce d’une réforme des classes prépas économiques et générales… qui n’a finalement jamais vu le jour. Aujourd’hui que les chiffres remontent et que plus personne ne parle de réforme, que reste-t-il de ces mois de réflexion ?
Les chiffres sont bons. Excellents même. Une hausse des inscriptions en prépa qui concerne toutes les filières et tout le territoire. Certes, ici et là, des classes ferment quand les effectifs le justifient. Mais, dans l’ensemble, les acteurs du secteur affichent leur contentement. Il en va ainsi de Denis Choimet, président de l’UPS (Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques). « Il y a aujourd’hui 45 000 étudiants en classes préparatoires scientifiques, hors Agro véto et BCPST. Nous avons gagné 4000 étudiants en deux ans, soit une hausse de 10% de nos effectifs. C’est un niveau jamais égalé », se réjouit-il.
Son de cloche similaire du côté des classes prépa ECG, qui avait accusé une baisse significative des inscriptions à la rentrée 2021 (- 13,5 %). Après une stabilisation en 2022, les chiffres ont remonté en 2023 avec une hausse de 5% des effectifs en première année. Ceux de 2024 ne sont pas encore disponibles, mais selon Alain Joyeux, président de l’Aphec(association des professeurs de classes prépas économiques et commerciales), la tendance est toujours favorable. « La réforme, qui a donné lieu à la fusion des filières scientifiques (ECS) et économiques (ECE) a été mieux comprise. Il fallait laisser du temps aux étudiants et à leur famille pour s’approprier les changements », affirme-t-il.
Autre élément de contexte qui avait impacté les prépas ECG : la réforme du bac et la mise en place des spécialités. Celle-ci a en effet permis à de nombreux élèves, en grande partie des filles, d’abandonner les maths en terminale, matière pourtant indispensable pour intégrer ce type de prépa. Une évolution qui n’a pas fait que des malheureux. « Les élèves se sont davantage orientés vers les sciences humaines, ce qui a élargi notre vivier de recrutement. Nous n’avons du reste subi aucune baisse des inscriptions en classes prépas littéraires. Autre avantage : les critères pour sélectionner les bons candidats reposent moins sur les maths », expliquait même Damien Framery, président de l’APPLS (Association des professeurs de première et de lettres supérieures) l’an dernier. Une filière littéraire qui affichait une hausse de 3,3% de ses effectifs à la rentrée 2023.
Pourquoi ça remonte ? Plusieurs explications peuvent être avancées pour analyser ce retour en grâce des classes prépa. Tout d’abord, la remontée serait liée à la valeur intrinsèque de la filière. Car aux dires des acteurs du secteur, les atouts sont nombreux. « L’excellence du niveau, le suivi assuré par les professeurs, la proximité géographique, le taux de succès et la gratuité », énumère Denis Choimet. Selon Alain Joyeux, la réponse est également à aller chercher du côté des campagnes de communication, dont #préparetoi, lancée en novembre 2023 par la Cdefm et de l’Aphec et reprise cette année. « Cette campagne de communication sur les réseaux sociaux – Insta, TikTok – a permis de réexpliquer aux lycéens et à leurs parents ce que sont les classes prépas, ce qu’on y trouve et que ce modèle est loin d’être un monde de privation et de souffrance », relatait Alice Guilhon, directrice générale de Skema business school, après son lancement. Alain Joyeux ajoute : « Être partenaire de plusieurs salons de l’enseignement supérieur a également contribué au fait de convaincre, d’expliquer et de déconstruire les idées reçues sur les prépas. Les lycéens prennent ainsi conscience de l’illusion de la facilité, ce que leur promettent les écoles post bac. La filière prépa reste la voie royale pour intégrer une grande école, et en plus, c’est gratuit ».
Une reconnaissance de la valeur des prépas qui fait aussi l’objet d’un excellent “bouche à oreille”. « Lors de la réforme du lycée, on a entendu le discours que tout choix de spécialisation était honorable – ce qui est vrai –, et que l’enseignement supérieur s’adapterait. La réalité des faits, c’est qu’il y a une continuité entre l’enseignement secondaire et supérieur et une cohérence à respecter entre les spécialisations et la poursuite des études. Pour s’engager dans un cursus scientifique avec succès et devenir ingénieur, ce n’est pas possible sans les maths. Les lycéens en parlent entre eux, ce qui a permis de rectifier le tir », expose Denis Choimet.
Enfin, selon le président de l’UPS, rien ne vaut le terrain pour tordre le cou aux idées reçues et permettre aux jeunes de se projeter. « Il faut expliquer aux élèves que les maths débouchent sur des métiers exaltants et importants pour les problématiques de notre société. C’est ce que font certains proviseurs. Nous devons également démultiplier les rencontres avec les professeurs de lycées qui ont parfois une vision un peu datée des classes prépas. Cela nous permet de rappeler ce qu’est le PGE – notamment qu’il y autant de places dans les écoles qu’en prépa ; le concours n’a pas vocation à éliminer des candidats, mais à les répartir entre les écoles -, de faire intervenir des anciens élèves… ».
Pour Quentin Leroux aussi, le terrain, c’est la clé. Le président de l’ADEPPT (Association de promotion des classes préparatoires voie technologique) assure que « les effectifs augmentent dans beaucoup de classes. C’est le résultat d’une plus grande communication sur le terrain, qui permet de lutter contre le phénomène d’auto-censure ». L’auto-censure, c’est la plaie, un mal profond qui ronge les élèves de la filière technologique. Pour la combattre, un réseau de professeurs relais au sein des classes STMG a été mis en place. « Ce sont des enseignants qui croient aux prépas ECT et qui diffusent le message auprès de leurs élèves. Ils repèrent les potentiels, les rassurent, les encouragent, les suivent jusqu’au bout de la démarche. Et ça fonctionne. Chaque année, j’interroge mes étudiants sur ce qui a déclenché leur inscription. 80% d’entre eux évoquent un professeur de terminale », fait valoir Quentin Leroux.
Des points de vigilance… Pour autant, tout n’est pas rose dans le monde des prépas. Si l’heure est à la satisfaction, voire au soulagement, restent des sujets d’inquiétude. Le premier d’entre eux, c’est le déséquilibre persistant, et même s’aggravant, entre les filles et les garçons, notamment dans les prépas ECG et scientifiques. « On est en moyenne à 25% de filles, hors BCPST où elles sont majoritaires. Ce n’est pas glorieux. Et pourtant, on se démène, mais ça n’a pas l’effet escompté. Le problème, c’est que beaucoup d’élèves peinent à se projeter dans des métiers après être passés par des filières matheuses, sans compter les stéréotypes qui ont encore cours aujourd’hui. Pour autant, la féminisation reste une priorité. C’est une demande forte des écoles et des entreprises », détaille Denis Choimet.
Autre point de vigilance : la difficulté à assurer une mixité sociale. Selon une étude du MESR-SIES, 50,1% des élèves de prépas (toutes filières confondues) ont des parents cadres ou occupant une profession intellectuelle supérieure quand 6,4% d’entre eux sont issus d’un milieu ouvrier. « Il faut poursuivre l’ouverture sociale des prépas. Le rectorat impose des taux de boursiers minimum – un taux variable selon les établissements – ; c’est un filet de sécurité, mais ça ne suffit pas. Nous sommes aujourd’hui à 25% en moyenne de boursiers dans nos classes ECG. Or, les prépas sont faites pour tout le monde, pour des élèves de tout milieu et de tout territoire », affirme Alain Joyeux. Pas de problématique similaire au sein des prépas ECT où les boursiers sont majoritaires. Mais là aussi, l’inquiétude pointe. « Avec la baisse du financement de l’apprentissage, nous craignons de perdre un de nos arguments phare pour convaincre les élèves de nous rejoindre. En effet, nous leur disons que s’ils auront à payer leur première année de PGE, la deuxième et la troisième peuvent être financées via l’alternance », explique Quentin Leroux.
Féminisation, mixité sociale… Deux points de vigilance auxquels il faut ajouter le manque de lisibilité de l’offre de formation de plus en plus pléthorique. « Chaque année, des formations se créent et d’autres disparaissent. Le tri est compliqué à faire. Dans les salons, les jeunes sont perdus. Il faut, par exemple, mieux différencier les écoles post bac et les écoles post prépas », suggère Quentin Leroux. Le MESR est, du reste, bien conscient de la problématique ; Patrick Hetzel souhaite ainsi clarifier l’offre de formations et la structurer autour de celles qui garantissent transparence et qualité. Des mesures concrètes ont été annoncées lors de la conférence de presse du ministre le 19 novembre dernier. Mais, selon Alain Joyeux, ce n’est pas le seul écueil : « Les étudiants de prépas peinent à différencier les écoles ; toutes sont tournées vers l’international, toutes ont une vie associative riche, etc. Ils ne perçoivent pas assez leurs spécificités et, par conséquent, se basent uniquement sur les classements ».
Une remarque qui en amène une autre. La hausse des recrutements en prépa des écoles du top 10 fait en effet grincer quelques dents. « Cela risque d’assécher le vivier pour les écoles qui suivent. Or, il faut éviter que les prépas ne débouchent que sur un nombre restreint d’établissements », souligne Alain Joyeux. Tamym Abdessemed, directeur et dean de Excelia business school, abonde : « Si les écoles les mieux classées recrutent le plus, les élèves de prépas vont être tentés de cuber pour obtenir de meilleur classement et les intégrer. Or, les prépas ouvrent sur une multitude d’établissements. Mais, dans le contexte actuel, combien vont pouvoir se maintenir sur ce segment ? Il faut défendre collectivement un spectre suffisant d’écoles pouvant attirer les étudiants au risque de réduire la filière à une portion confidentielle qui engendrerait une remise en cause des prépas ».
… et des points d’amélioration. Si les voix demandant la suppression des prépas se sont globalement tues, la réflexion sur leur évolution n’a pas cessé pour autant. Des pistes sont évoquées par les uns et les autres. Elles ne font pas toutes l’unanimité. En présentant la réforme de son PGE, Yann Algan, doyen associé des programmes pré-expérience à HEC, stipulait l’année dernière : « Nous tenons aux classes préparatoires car ce sont des programmes pluridisciplinaires uniques, que l’on ne retrouve nul par ailleurs, et exigeants sur le plan intellectuel, un socle dont les étudiants ont besoin pour comprendre le monde d’aujourd’hui et mieux se professionnaliser par la suite. Mais, cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à un meilleur positionnement de ces classes prépas ». Au cœur du problème, selon Yann Algan : les incertitudes face aux concours. La solution : établir plus d’équivalences avec les universités, comme c’est déjà le cas dans les classes prépas littéraires et scientifiques. Joël Bianco, président de l’association des proviseurs de lycées et des classes préparatoires aux grandes écoles, y souscrit, mais déplore que les universités ne jouent pas assez le jeu. « Des étudiants issus de prépa se voient régulièrement refuser leur inscription en faculté, notamment en Île-de-France », affirme-t-il.
Autre piste de réflexion : la diversification des profils. Ainsi, l’an dernier Yann Algan proposait : « Dans le cadre de la sélection, il faut davantage valoriser des compétences extra-académiques et des profils de type sportif ou jeunes entrepreneurs. Cela impliquerait d’adapter leur rythme de travail ». Une proposition à laquelle Joël Bianco n’adhère pas du tout : « C’est difficile de tout vouloir concilier. Les prépas préparent à des concours ; si on est un sportif de haut niveau ou qu’on pratique la musique de façon intensive, on ne choisit pas cette filière ». Tamym Abdessemed préconise, lui, une troisième voie : « Pour la nouvelle génération, le bien-être compte beaucoup. Il y a donc une réflexion à mener sur une nouvelle forme de pédagogie, qui laisserait plus de place à la vie personnelle et culturelle des étudiants. Dans le même temps, n’oublions pas que cela mène à un concours très sélectif qui nécessite un dépassement de soi. C’est un équilibre à trouver. »
À l’Aphec, des groupes de travail, mêlant professeurs de prépas et de grandes écoles, ont été mis en place en vue d’améliorer l’expérience étudiants mais aussi de simplifier le concours. « Il faut d’abord que les premiers concernés se mettent d’accord pour faire évoluer la filière. On est loin d’une méthode descendante et imposée », commente Alain Joyeux, faisant référence à la tentative de réforme gouvernementale avortée.
Parmi les pistes de réflexion, Joël Bianco avance certains assouplissements possibles à la marge « pour que les étudiants anticipent mieux ce qui les attend dans les écoles. Cela peut être l’instauration d’un stage ou des travaux organisés en mode projet ». Le continuum ou la nécessité de faire davantage le lien entre la prépa et les années d’école est ainsi toujours d’actualité. Il fait, du reste, l’objet de débat et de rencontres entre les acteurs du secteur afin de réduire le décalage et de faciliter la transition éducative des étudiants.
S’il y a un sujet, en revanche, qui est passé de la proposition à la concrétisation, c’est la création d’un certificat « Arts libéraux » – les liberal arts anglo-saxons recouvrent les compétences spécifiques apportées aux futurs dirigeants -, que l’Aphec appelait de ses vœux et qui a fait l’objet de l’un des groupes de travail suscités. Il sera délivré à partir de la rentrée 2025 aux élèves de classes préparatoires diplômés d’écoles de management et sera siglé par la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) et par l’école dont est issu l’étudiant. « Ce n’est pas un label de supériorité ; cela permet d’identifier les étudiants qui sont passés par les prépas et de rendre plus visible la notion de continuum. Aujourd’hui, une cohorte de diplômés d’une école a emprunté des voies diverses et rien ne différencie nos élèves des autres. Ce sera plus clair pour les entreprises et cela améliorera la compréhension des prépas à l’international », expose Alain Joyeux.
Du côté des étudiants. On le voit, même si les chiffres remontent, les acteurs du secteur n’ont pas cessé de plancher sur les marges de progression afin d’améliorer le bien-être étudiant mais aussi leur intégration dans les écoles puis sur le marché du travail. Du côté des premiers intéressés en tout cas, le taux de satisfaction reste très élevé. C’est ce que révèle une enquête sur la réussite et le bien-être des étudiants en CPGE, menée par l’APLCPGE (Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles) en octobre 2023 auprès des élèves deuxième année (4463 réponses, toutes filières confondues) et rendue publique en janvier 2024. Pour 82% d’entre eux, la prépa est un choix personnel, lié à la rigueur et à l’exigence de la filière, les larges débouchés qu’elle propose, la pluridisciplinarité et l’intérêt pour les disciplines enseignées. 9 étudiants sur 10 affirment que le contenu des cours correspond à leurs attentes. Ils sont entre 75% et 94% à affirmer qu’ils ont plaisir à aller au lycée et à y travailler. À noter, cependant, que 56% des étudiants trouvent les exigences parfois trop élevées et que 64% d’entre eux ressentent du stress de manière importante ou très importante. Un nouveau sujet de réflexion à engager ?