« L’Europe est dans une situation paradoxale : elle ne possède aucune entreprise dans les dix les plus innovantes dans le monde alors que les cinq pays les plus innovants sont européens. » Co fondatrice de l’Institut pour l’innovation et la compétitivité (I7) de l’Escp Europe avec Pascal Morand, Delphine Manceau en est convaincue : l’Europe est une terre d’innovation et elle organisait un colloque pour le prouver le 11 mai.
Les secrets de réussite d’Ubisoft
Pour Caroline Jeanteur, directrice du Strategic Innovation Lab d’Ubisoft, l’un des géants mondiaux des jeux vidéo, c’est d’abord de l’hybridation des cultures que naît aujourd’hui l’innovation : « A Singapour nous possédons une antenne qui regroupe des développeurs de trente nationalités différentes. Leur seule culture commune est le jeu vidéo. Leur force est d’y agréger leurs cultures nationales ». Une force absolument nécessaire pour pénétrer des marchés en constante évolution avec la création de plateformes toujours nouvelles et la volonté des joueurs d’être toujours plus mobiles et sociaux.
« L’autre secret c’est la confiance et l’acceptation de l’erreur », reprend Caroline Jeanteur qui explique aussi « laisser beaucoup de temps à chacun pour développer ses propres projets qui deviendront ensuite des œuvres collectives ». Parce qu’il faut aussi plus que jamais être aussi collectif pour innover ! « Un jeu comme Assassin’s Creed a demandé le travail de dix studios différents dans le monde. Pour réussir il faut beaucoup d’échanges et parier sur l’intelligence émotionnelle. » Dernier secret d’Ubisoft : la reconnaissance. Chez Ubisoft on boit beaucoup de Champagne pour fêter chaque succès !
Quels pays européens sont les plus innovants ?
Des entreprises comme Ubisoft permettent à la France d’être classée à la onzième place des pays les plus innovants en Europe par l’Union européenne. « Faute d’un investissement privé suffisant, la France n’est pas dans les leaders mais néanmoins dans un deuxième groupe pas très loin », remarque le commissaire européen à la Recherche à l’Innovation et à la science, Carlos Moedas, venu conclure le colloque, qui conseille également de « ne pas cantonner l’innovation à la technologie et de parier aussi sur l’innovation non technologique ». « La culture française est tournée vers la technique et nous confondons trop souvent recherche scientifique et innovation alors que l’innovation c’est de transformer une invention en activité économique », renchérit Delphine Manceau qui regrette qu’« en France on considère souvent que le travail est fait quand l’invention est faite » : « Quand j’entends qu’Apple utilise beaucoup de brevets français je ne peux pas m’empêcher de regrette que ce ne soient pas des entreprises françaises qui le fassent ».
Directeur de l’Institut de l’Innovation et de la Compétitivité Régis Coeurderoy a étudié les cultures pour déceler celles qui permettaient le plus d’innover. Selon son analyse, « les pays les plus innovants en Europe cumulent deux traits culturels forts : ils forment une société dans laquelle les rapports hiérarchiques sont relativement limités d’une part et qui tolère plus les facteurs d’incertitude d’autre part ». Pour lui comme pour l’Union européenne les quatre pays européens qui cumulent le mieux ces qualités sont la Suède, le Danemark, l’Allemagne et la Finlande. Il y ajoute un leader externe à l’Union qu’est la Suisse.Comment rendre les étudiants plus innovants ?
Cette culture de l’innovation il faudrait aujourd’hui l’inculquer à tous. Seulement c’est tout le contraire qui se passe : très innovants tout petits les élèves le sont un peu moins chaque année. « La connaissance c’est l’inverse de la créativité puisqu’il s’agit de reproduction. Alors comment continuer à stimuler la créativité tout en apprenant des notions indispensables ? », s’interroge Delphine Manceau qui a également beaucoup travaillé sur les programmes des étudiants de l’ESCP Europe dont elle fut la directrice académique.
Comme chez Ubisoft elle y a encouragé le travail en groupe avec de profils différents – les étudiants doivent travailler dans des équipes qui comptent au moins trois nationalités -, et l’interdisciplinarité : « De plus en plus de projets réunissent managers et ingénieurs. Il reste à donner plus de places aux sciences humaines et aux designers. Maintenant il faut créer des espaces pour qu’ils se rencontrent plus facilement, se parlent, innovent ». Restera ensuite à passer à la phase de valorisation de la recherche par l’innovation. Un modèle sur lequel une institution comme le MIT a construit son succès. Résolument optimiste Delphine Manceau constate une véritable évolution des mentalités alors que de plus en plus d’étudiants « rêvent de créer leur entreprise ».