C’est une personnalité majeure de l’enseignement supérieur et de la recherche des trente dernières année qui disparait cette semaine. Ancien président du CNRS, ancien président de PSL, Alain Fuchs avait quitté sa présidence cet été sans qu’on sache clairement pour quelles raisons. Dans la nuit de samedi 7 à dimanche 8 décembre il est décédé pour des raisons encore inconnues. Nous vous proposons ci-dessous de relire le portrait que nous lui avions consacré en 2023.
Chercheur renommé, président du CNRS puis de PSL, le destin d’Alain Fuchs est hors du commun. Mais comment ce jeune étudiant suisse est-il arrivé au plus haut niveau de la recherche et de l’enseignement supérieur français ? Son portrait.
Comment se forge un destin ?
Pour Alain Fuchs c’est tout simplement le choix de faire ou non des études qui se pose lorsqu’il revient en 1970 habiter en Suisse, à Lausanne où il est né, après avoir suivi ses parents en Afrique pendant près de dix ans. Son père, programmeur analyste, y installait des ordinateurs, les premiers à l’époque, dans des grandes compagnies et administrations. « J’avais suivi un parcours scolaire un peu chaotique en suivant mon père dans ses différentes affectations, au Zaïre, en Afrique du Sud et en Côte d’Ivoire. Jusqu’à Abidjan où j’avais surtout passé du temps sur la plage tout en étant un bon élève. Mais à mon retour en Suisse j’avais un gros problème pour intégrer une terminale : je ne parlais pas un mot allemand, ce qui est obligatoire en Suisse, et je manquais furieusement d’envie de rattraper huit ans d’enseignement ! »
A ce moment Alain Fuchs se met à gagner sa vie, sa famille ayant connu quelques revers de fortune : « J’ai fait plein de petits boulots, dans la boulangerie industrielle la nuit, à la poste à charger et décharger des sacs de courrier, au service immobilier de la ville de Lausanne pour faire des déménagements. J’aurais pu commencer à travailler mais je me suis vite convaincu que faire des études me convenait mieux ». Et il en profite pour dévorer les livres de la bibliothèque municipale pour « se faire une culture ».
C’est à ce moment-là que sa mère trouve la solution. Il est possible de passer un concours d’entrée à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) sans avoir forcément l’équivalent suisse du bac, la maturité. Il suffit pour cela de s’inscrire en auditeur libre à une préparation en mathématiques, cinq jours par semaine à haute dose. « Le niveau en mathématiques était très élevé et j’ai eu un mal fou à suivre. Mes résultats étaient épouvantables mais je me suis accroché et j’ai travaillé tout l’été pour passer le concours où il n’y avait qu’une langue étrangère à maîtriser. Et je choisis l’anglais que j’avais appris à Johannesburg. En fait j’ai fait ces études parce que je n’avais pas fait d’allemand à l’école ! »
Les années EPFL
Le concours d’entrée à l’EPFL n’étant finalement pas si difficile avec un niveau en mathématiques moins élevé qu’en classe préparatoire, Alain Fuchs y entre sans problème. Il y retrouve le professeur de mathématiques qui l’avait fait tant souffrir mais n’en est pas moins impressionné par ses qualités : « Il voulait à tout prix que je m’inscrive en génie civil, une matière plébiscitée en Suisse et qui lui semblait correspondre aux ambitions que je pouvais avoir. Mais je suis plus tenté par la chimie dans la mesure où il n’y avait pas de biologie à l’EPFL à l’époque ».
Ce sera donc la chimie. Sans passion excessive au début : « C’était de la chimie de base, des manipulations, des expériences et cela ne me plaisait pas beaucoup. Mais c’était beaucoup mieux qu’être déménageur ou boulanger la nuit. Et comme je n’avais pas encore fait beaucoup d’efforts intellectuels, j’en avais encore sous la semelle ! ».
Il va finalement adorer les années passées à l’EPFL, la vie étudiante et surtout la possibilité de « construire quelque chose de stable » après toutes ces années à « bourlinguer dans toute l’Afrique sans jamais pouvoir me faire des amis plus d’un an ». En Suisse il bénéficie de bourses très généreuses du Canton de Vaud. Pour autant la vie finit par l’ennuyer. Notamment par sa rigidité. « Avec toute une bande d’amis étudiants nous avions organisé une manifestation pour demander la baisse des prix des billets de cinéma. Nous sommes dans les années post 68 et nous nous étions inspirés de « Sous les pavés la plage » pour demander « Enlever les montagnes pour qu’on voie la mer ». C’était peut-être la seule manifestation qui n’ait jamais eu lieu à Lausanne et tout de suite la police a déployé un arsenal anti-émeutes hallucinant ».
Les premières années d’un chercheur
Nous sommes en 1975, Alain Fuchs est maintenant ingénieur chimiste diplômé de l’EPFL mais veut absolument venir à Paris. Il décide donc de poursuivre ses études par un doctorat à l’université Paris-Sud à Orsay (aujourd’hui Paris-Saclay). Il y passera ensuite six années passionnantes comme maître assistant. Mais six années « précaires » : « N’étant pas encore français je ne pouvais être que maître assistant associé. Un poste très précaire mais je ne m’en souciais pas, persuadé qu’avec mon diplôme d’ingénieur je trouverai toujours un emploi ». En 1984, enfin français depuis un an, il embarque pour un séjour de postdoc à l’université d’Edinburgh : « J’y ai appris à réaliser des calculs de modélisation moléculaire. C’était très novateur à l’époque dans ma discipline (la chimie-physique) et cela a lancé ma carrière de chercheur en simulation moléculaire. Des expériences de pensée sur ordinateur pour décrire la trajectoire de chaque molécule, la visualiser et comparer les résultats du calcul à la réalité expérimentale par le moyen d’outils statistiques ».
Après près de deux ans en Ecosse, Alain Fuchs revient en 1986 à Orsay. La « passion des sciences » et d’une recherche qui passe par un « tâtonnement lent » désormais bien chevillée au corps : « Je n’avais pas une vocation de chercheur au départ mais j’ai vite trouvé passionnant de rendre rationnel ce qui peut paraitre à première vue irrationnel. Je ne suis pas rationaliste à tout prix. Je suis adepte des savoirs. Souvenez-vous quand Barack Obama dit « It’s not cool to not know what you’re talking about » en se référant à Donald Trump ! ». C’est mon état d’esprit d’essayer toujours de comprendre et je suis très fier de la devise de l’Université PSL : « Sapere Aude », « Ose savoir ». Nous sommes poussés à avancer par nos ignorances.» Et de citer deux grands chercheurs : Charles Darwin (« Un chercheur est un aveugle qui, dans une pièce sombre, cherche un chat noir qui n’y est pas ») et Marie Curie (« On ne s’intéresse qu’à ce qu’on ne sait pas »).
Manager des sciences
Alain Fuchs passera en tout près de vingt ans à Orsay dans un laboratoire mixte avec le CNRS. Nommé professeur en 1995, il monte à Orsay en 2000 un laboratoire de chimie-physique autour d’un nouvel équipement : un centre de cinétique rapide et de radiolyse pulsée, en regroupant trois laboratoires existants sur le campus. « C’est le début de mes fonctions de management impliquant même la responsabilité de la construction d’un nouveau bâtiment. Mais toujours en faisant de la recherche et en enseignant car c’est notre métier de base, et il faut toujours se demander ce qui est utile pour l’exercer.». Alain Fuchs enseigne d’ailleurs toujours aujourd’hui au sein de l’Université PSL dans la licence Sciences pour un monde durable.
Cette première expérience de management réussie, une nouvelle opportunité de carrière se présente en 2005, celle de diriger l’école de Chimie de Paris : « L’école était rattachée à l’université Pierre et Marie Curie avec des relations alors difficiles. J’avais de bonnes relations avec tous les acteurs de l’écosystème et on m’a proposé le poste pour y ramener la paix ». A deux pas du Panthéon, les locaux, qui ont accueilli des chimistes célèbres (Charles Friedel, Henri Moissan premier prix Nobel de chimie français), sont dans un assez mauvais état et la question se posera longtemps de déménager l’école sur le campus de Jussieu, voire en dehors de Paris. Des travaux de maintenance permettront de l’y faire rester. Aujourd’hui Chimie Paris fait partie de PSL.
Le CNRS, un sacré défi
En 2010 un des plus grands défis pour un scientifique français s’ouvre à Alain Fuchs. Le directeur de cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Valérie Pécresse, lui propose en effet de faire partie de la short list des prétendants à la direction du CNRS : « Je n’étais pas particulièrement emballé puis je me suis pris au jeu avec le changement de statut du CNRS qui sortait d’une période compliquée ». Son premier mandat de quatre ans, Alain Fuchs va notamment le consacrer à rapprocher le CNRS des universités avec le lancement du programme Idex : « Je ne regrette pas ce premier mandat avec le soutien fort du CNRS aux candidatures IDEX sur le territoire, et les choix à opérer en matière de grands instruments (fallait-il par exemple poursuivre un projet comme Virgo le détecteur d’ondes gravitationnelles géant construit en Italie ? L’histoire a montré que l’on a eu raison de le faire !».
Non si Alain Fuchs a des regrets, ils concernent plutôt son deuxième mandat : « Après 2008 le contexte n’était pas favorable financièrement mais on pouvait attendre de la présidence de François Hollande qu’elle soit plus claire et affirmée en faveur de la recherche. Au contraire nous avons dû accepter des coupes régulières dans les budgets pourtant votés, nous battre pour maintenir les emplois et constater que le soutien aux grands instruments devenait de plus en plus difficile».
Au final Alain Fuchs constate : « J’ai passé dix années formidables au CNRS comme chercheur. Il n’y aurait pas de science française aujourd’hui sans le CNRS mais la structure s’est rigidifiée ce qui rend le CNRS aujourd’hui plus difficilement réformable ». Un problème majeur dans la mesure où, dans le même temps, le paysage universitaire a profondément évolué, avec l’émergence de véritables universités de recherche. « Il n’est pas possible que le CNRS n’évolue pas lui aussi ! Le modèle des unités mixtes de recherche (UMR) a atteint ses limites. Les universités qui sortent du lot devraient pouvoir gérer leurs UMR ».
PSL : l’université d’un nouveau type
En 2017, tout juste avant la fin de son second mandat au CNRS, Alain Fuchs prend la présidence d’une université née progressivement pendant la décennie 2010-2020, Paris Sciences et Lettres (PSL), en réunissant des établissements de premier ordre dans une structure à même de lui donner un impact international. Au sein de PSL se trouvent en effet des membres fondateurs tels l’ENS Paris, Paris-Dauphine, Mines Paris, l’ESPCI Paris, l’Observatoire de Paris ou encore l’Ecole des Chartes… Avec des membres associés comme l’Institut Curie, et des partenaires comme l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs ou l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais.
Un aéropage qui n’était pas inconnu d’Alain Fuchs, membre du conseil d’administration de PSL : « J’avais bien suivi le projet que je trouvais passionnant : la création d’une université d’un nouveau type, sur un modèle humboldtien, et entièrement sélective. Une université vraiment pluridisciplinaire avec des enseignements au plus près de la recherche et des disciplines qui se parlent. Une université qui a aujourd’hui une renommée internationale, dont le modèle se rapproche de celui de grandes universités internationales.
Et également une institution qui dépasse enfin le clivage universités / grandes écoles : « Comme Paris-Saclay, PSL comprend des écoles d’ingénieurs. Tous les diplômes sont PSL et opérés par les composantes, y compris les écoles d’ingénieurs. On démontre que les écoles d’ingénieurs ont une place majeure dans de telles universités du 21e siècle. Je suis très fier d’avoir contribué à ce résultat. Je pense que les établissements qui refusent ce mouvement de fond finiront par disparaitre ».