Comment se forge un destin ? Pour le grand sportif qu’était Emmanuel Métais la vocation de l’enseignement de la gestion a été tardive. Certes il envisageait déjà d’être professeur, mais d’éducation physique, à l’issue d’études de Sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) qui le passionnaient quand il a changé d’objectif. « Je faisais beaucoup de sport, notamment de hockey sur glace, et cela m’avait paru logique de m’engager dans la filière STAPS pour passer le CAPEPS et devenir professeur de sport », se souvient le directeur de l’Edhec, finalement convaincu par un professeur de l’université de Strasbourg, le sociologue Bernard Michon, de se lancer dans une toute autre voie.
Champion de hockey sur glace
L’histoire d’Emmanuel Métais c’est d’abord celle d’un grand sportif. Originaire d’Epinal, enfant « turbulent » ayant besoin d’un cadre, ses parents – elle institutrice, lui expert-comptable -, l’inscrivent dès ses 5 ans en cours de hockey sur glace. Il en fera à très haut niveau jusqu’à ses 32 ans et la naissance de sa première fille : « Je ne pouvais concevoir de le pratiquer comme un loisir, alors que j’avais été champion de France avec Epinal puis joué à Strasbourg en Nationale 1 ».
Une vie de sportif qui l’occupe toute la semaine pour les entrainements et les week-ends pour des matchs dans toute la France : « Nous allions à l’époque également jouer en Allemagne où nous rencontrions, sur les bases militaires, des joueurs américains et canadiens. Cela me permettait d’être plongé dans un environnement international sans aller bien loin ». Il côtoie également de nombreux joueurs des pays de l’Est dans lesquels le hockey est le sport national.
Surtout Emmanuel Métais apprend les notions de solidarité propres aux sports collectif de contact : « On dépend les uns des autres. Il faut avoir une capacité à renoncer à un peu de soi-même pour le bien de l’équipe. Je repère d’ailleurs vite ceux qui ont pratiqué des sports collectifs ». De plus le hockey est un défi permanent pour les joueurs, la composition de l’équipe change constamment pendant le match en fonction de la volonté du coach. Et un sport très physique ! « Tout est très codifié, il n’y a pas de violence dangereuse. C’est d’ailleurs le seul sport où on va en prison si on transgresse les règles », rassure le directeur, qui joua longtemps ailier droit, un poste où on marque des buts : « Dans une équipe il y a ceux qui marquent des buts mais aussi ceux qui leur permettent de le faire ». Aujourd’hui encore il regarde de nombreux matchs comme lors des derniers jeux Olympiques d’hiver de Pékin.
STAPS, sociologie et finalement gestion
Très logiquement Emmanuel Métais conjugue sa passion pour le hockey avec des études en STAPS une fois son bac en poche. Au bout de deux ans d’études le sociologue Bernard Michon lui donnera le goût de la recherche. D’abord en sociologie à Strasbourg – il écrira son mémoire de DEA (diplôme d’études approfondies, l’actuel master) sur le « phénomène sportif » – puis en doctorat de gestion dans le programme doctoral de l’Essec. Soutenue à l’IAE d’Aix-en-Provence sa thèse porte alors sur les stratégies de rupture, appliquées par les entreprises qui changent les règles du jeu. Un domaine qu’il suivra toute sa vie professionnelle et investiguera avec des collègues comme Bertrand Moingeon et Pierre-Xavier Meschi.
Son directeur de thèse n’est autre que Maurice Saïas, qui compte parmi les professeurs de stratégie les plus reconnus dans le monde. « Il m’a expliqué que Michael Porter était dépassé et qu’il fallait comprendre d’autres modèles stratégiques au moment où les entreprises japonaises changeaient les règles du jeu. Il me disait de ne pas « perdre mon temps avec les vieux modèles ». Je me souviens que j’ai travaillé sur des sujets qui paraissaient abscons à d’autres professeurs qui ont travaillé dessus cinq ans après. » Maurice Saïas lui apporté également « l’idée que le recherche doit avoir un impact sur les entreprises ».
Après y avoir obtenu sa thèse en 1997, c’est également au sein de l’IAE d’Aix-en-Provence qu’Emmanuel Métais obtiendra son HDR (habilitation à diriger les recherches).
Le tournant de l’AACSB
Tout en rédigeant sa thèse, Emmanuel Métais entre en 1995 à l’Edhec pour y enseigner. Ce qu’il fera pendant de nombreuses années dans le domaine de la stratégie. C’est là que le destin va de nouveau croiser son chemin. « Le deuxième tournant de ma vie a lieu en 2002 quand le directeur de l’époque, Olivier Oger, me demande de prendre en charge le processus d’accréditation AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) de l’école. Je refuse deux fois puis, à sa troisième demande, je me sens un peu obligé d’accepter. Alors que je voulais uniquement enseigner et que je n’aurais jamais imaginé diriger un programme et encore moins une école ! », se souvient celui qui sera nommé directeur de l’Edhec quinze ans plus tard.
Mais revenons en 2002. Si aujourd’hui être accrédité AACSB est totalement entré dans les mœurs, l’Edhec est parmi les premières à se frotter aux experts américains. « Il fallait comprendre leur système de pensée et faire entrer l’Edhec dans le processus. C’était magique de se sentir utile en faisant collectivement bouger les équipes. » Aujourd’hui encore le certificat de cette première accréditation est encadrée dans son bureau au côté d’un palet de hockey ou encore du prix qu’il avait reçu de la fondation Edhec pour un livre tiré de sa thèse.
Du MBA à la Grande école
Après avoir pris la responsabilité d’un département, Emmanuel Métais va bientôt prendre celle de tout un programme. En 2004 l’Edhec a racheté Theseus, un organisme de formation créé par France Télécom pour y former des ingénieurs télécom venus du monde entier. « Je quitte Lille après y avoir passé dix ans pour m’installer à Nice et relancer un organisme qui semblait bien mal parti avec une fusion difficile entre ses équipes et les nôtres. » La première année seulement 11 élèves sont finalement recrutés mais ses équipes parviennent à relancer le programme. Ils seront bientôt 30 élèves puis 50 chaque année à venir y suivre un MBA. « C’était une vie professionnelle fantastique avec très peu de contraintes. Il fallait juste rester dans les préconisations de l’organisme accréditeur, l’Amba. Sinon on peut constamment innover. Par exemple nous avons décidé de donner des cours de philosophie aux élèves. »
Pendant dix ans, Emmanuel Métais va donc développer l’activité MBA de l’Edhec comme une « aventure entrepreneuriale » qui lui « donne goût au management » : « Le MBA est un marqueur essentiel pour toute business school sur la scène internationale. Il faut absolument entrer dans le top 100 du Financial Times et de The Economist pour être visible ».
La réussite est là. Logiquement en 2015 Olivier Oger lui propose de passer à l’étape supérieure pour une école de management française : son programme Grande école. Il hésite. Pas très longtemps : « Diriger le PGE c’était revenir dans un système très formaté quand j’étais très libre avec le MBA. Mais au bout de quelques jours de réflexion je me suis dit qu’il fallait accepter car c’est forcément le programme phare de l’école. J’ai donc commencé à réfléchir à comment innover, sur des thèmes comme le digital ou l’international, afin de renforcer le programme alors que la finance nous avait donné une vraie visibilité mais en occultant un peu tout le reste ».
2017 : la direction de l’Edhec
Deux ans plus tard Olivier Oger revient une nouvelle fois vers lui. Directeur emblématique depuis près de 30 ans de l’école, il va passer la main. Il lui propose de réfléchir à sa succession. Mais rien n’est fait car des candidats externes, dont certains avec un CV impressionnant, se présentent également. La discussion durera longtemps avant que, le 1er août 2017, Emmanuel Métais soit nommé à la direction : « Je n’ai pas de mandat limité en temps aujourd’hui. Je peux aussi bien être encore là dans dix ans que partir avant. Mais naturellement ça me permet de projeter l’école dans le très long terme, le tout avec une équipe très expérimentée ».
Le virage de l’école vers les questions de soutenabilité porte sa marque avec une stratégie 2020-2025 « EDHEC for Future Generations » qui marque la volonté de l’école de mettre ses programmes et sa recherche au service de grandes causes sociétales. « Des alumni me demandent parfois si nous serons toujours une business school à l’issue de ce plan. Oui, mais ce que nous entendons promouvoir c’est le développement d’un modèle économique soutenable. » Sociologue, il a lui-même travaillé sur la question de la performance sociétale des entreprises : « La responsabilité des Grandes écoles est de permettre une transformation de la société à grande échelle. Notre chance est que les entreprises sont demandeuses et que les jeunes peuvent les changer de l’intérieur ».
La vente de Scientific Beta. En 2020 c’est un coup de tonnerre qui va marquer le monde des business schools. L’Edhec vend sa filiale spécialisée dans les indices financiers, Scientific Beta, pour 200 millions d’euros ! Le fruit d’un long travail qui fait de la recherche de l’Edhec une source de revenus. « Nous avons tout d’abord construit il y a vingt ans un pôle d’excellence, dans le domaine de la recherche sur les risques financiers : EDHEC-Risk Institute. Progressivement, ce centre a acquis une réputation mondiale. En 2012, dans la lignée de ce succès, nous avons créé Scientific Beta, pour commercialiser, sur la base de nos recherches, des indices financiers utilisés par des investisseurs partout dans le monde», rappelle Emmanuel Métais. En 2020, le fonds de dotation EDHEC cède Scientific Beta à la bourse de Singapour tout en conservant 7% du capital. Aujourd’hui l’Edhec entend bien reproduire une structure du même type, cette fois-ci consacrée aux infrastructures avec sa nouvelle filiale, Scientific Infra. Son centre de recherche à Singapour travaille sur de grandes bases de données composées de plus de 1 000 projets d’infrastructure, pour produire des indices qui sont vendus aux investisseurs pour guider leurs choix.