L’Université de Strasbourg fait partie des dix universités françaises qui peuvent prétendre à un rayonnement mondial. Son président, Michel Deneken, revient ses forces mais aussi sur la manière dont elle va cette année recevoir ses nouveaux étudiants.
Olivier Rollot : C’est le sujet qui va le plus occuper l’enseignement supérieur, et particulièrement les universités, cette année. La nouvelle plateforme d’orientation dans l’enseignement supérieur, Parcoursup, est maintenant en ligne. Comment votre université aborde-t-elle la phase d’examen des dossiers ?
Michel Deneken : Pour l’instant nous ne pouvons qu’attendre. Ensuite aucune université ne peut aujourd’hui indiquer comment va se dérouler la phase d’examen des dossiers. Nous allons nous appuyer sur l’expertise de nos instituts universitaires de technologies (IUT), habitués à l’examen des dossiers et à l’utilisation d’outils d’aide à la décision. J’ajoute que nos filières « en tension » – STAPS, psychologie, etc. – ont bénéficié de postes supplémentaires pour la rentrée.
O.R : Vos composantes ont-elles écrit des conditions d’accès, les fameux « attendus », spécifiques pour chaque licence ?
M. D : Ces attendus sont très peu contraignants. De toute façon nous n’avons pas le droit de refuser un candidat. Nous ne pouvons répondre que « oui » ou « oui si ». Les dossiers classés au-delà de la capacité d’accueil seront mis « en attente » jusqu’au 22 mai. Dès le 22 mai des lycéens renonceront à leur « oui » ou « oui si ». Dans la note que nous avons écrite sur Parcoursup nous expliquons par exemple que : si la composante X a reçu 1000 candidatures et dispose d’une capacité d’accueil, hors redoublants, de 300 places, les 300 premiers classés recevront un « oui » alors que les 700 suivants seront « en attente ». Au soir du 22 mai, 50 candidats classés de 1 à 300 se désistent : les candidats classés 301-350 passent automatiquement en « oui », etc.
O.R : Au final tous les étudiants trouveront une place ?
M. D : Toujours dans cette note nous estimons qu’il est probable qu’au terme du dispositif, tous les candidats issus des bacs généraux et une large partie des candidats issus des bacs technologiques et professionnels seront reçus à un de leurs vœux. Globalement en effet, hors quelques exceptions, tous les bacheliers 2017 ont pu intégrer leur premier vœu universitaire (DUT et licences sélectives non compris, évidemment). Il y aura certes une poussée démographique à la rentrée, mais nous avons relevé nos capacités d’accueil en conséquence. Il reste juste un petit flou quant au poids qu’aura le recteur pour nous imposer ou pas de recevoir encore plus d’étudiants.
O.R : Autre sujet d’actualité : une réforme modifiant les modalités d’organisation de l’apprentissage va bientôt être soumise au Parlement. Des arbitrages ont déjà été rendus par le Premier ministre. Répondent-ils à vos attentes ?
M. D : Nous ne sommes pas directement impliqués par cette réorganisation. Ce que nous espérons c’est qu’elle ne va pas nuire à l’expansion d’une filière qui connaît une hausse à deux chiffres chaque année et concerne aujourd’hui 1700 de nos étudiants. L’apprentissage dans l’enseignement supérieur est de plus en plus attractif et il ne faut pas mégoter sur son financement. L’Allemagne lui a donné des lettres de noblesse et prouvé qu’il permettait l’intégration de toutes les diversités.
O.R : Le bac également va évoluer. Que peut en attendre une université comme la vôtre ?
M. D : Nous avons besoin de plus de connivence entre l’université et les lycées pour mieux faire vivre ce qu’on appelle le « -3 +3 ». Je fais partie d’une minorité de Français qui souhaite la disparition du bac car on ne sait plus vraiment quelle est son utilité. Je salue donc une réforme qui donne plus de place au contrôle continu et à la construction d’un parcours. Chacun doit pouvoir réussir mais pas forcément de la même manière à partir d’un tronc commun. C’est cela la vraie égalité des chances.
Le collège unique, le lycée unique, mènent finalement à la reproduction des élites : les enfants de professeurs vont en prépas, ceux de pauvres en Segpa (Sections d’enseignement général et professionnel adapté) ! Si on veut bien excepter Jean-Luc Mélenchon, quand il était ministre délégué à l’Enseignement professionnel, on a toujours dévalorisé le travail manuel en France. Mais en Alsace nous sommes en face d’un pays où il n’est pas diabolisé.
O.R : A Strasbourg vous militez justement pour le contrôle continu mais n’avez pas pu appliquer votre réforme jusqu’au bout, les syndicats étudiants vous ayant obligés à rétablir le rattrapage.
M. D : Ce n’est pas tout à fait ça. Il y a forcément un rattrapage pour des étudiants malades par exemple. Ce que nous voulions abroger c’est la deuxième session qui ne permet qu’à 1% des candidats d’être reçus tout en générant une mobilisation de toute la faculté. Le contrôle continu est pédagogiquement plus efficace car il évite de voir des étudiants profiter de leur liberté nouvelle et ne commencer à bachoter qu’à Noël. La loi devrait maintenant nous donner la possibilité de l’expérimenter.
O.R : Certains pensent qu’il faudrait instituer une année supplémentaire à l’entrée à l’université, une « propédeutique », ou permettre plus largement que la licence s’effectue en quatre ans. Qu’en dites-vous ?
M. D : Nous ne sommes pas favorables à cette propédeutique mais plutôt à la mutualisation des enseignements entre plusieurs disciplines. Quant à la durée de la licence il n’est déjà pas rare de voir des étudiants l’obtenir en 4, 5 ou même 6 ans. La moitié des titulaires d’un master ont redoublé une année. Le tout est de pouvoir passer d’une année à l’autre sans avoir obtenu toutes ses UE (unités d’enseignement) ;
O.R : Faut-il supprimer la « compensation intégrale » qui permet d’obtenir ses diplômes même en étant d’un niveau assez faible dans une discipline essentielle pour peur qu’on soit bon dans une autre ?
M. D : La compensation intégrale répond à une mauvaise défense de l’égalité des chances. En licence de droit avoir 6/20 en droit constitutionnel et le rattraper par un 14/20 en espagnol cela n’a pas de sens. Cela ne sera plus possible avec le contrôle continu intégrale.
O.R : Un autre débat concerne le montant des droits de scolarité payés par les étudiants étrangers hors communautaires. Les sénateurs avaient adopté un amendement qui permettait aux universités de les fixer à un montant plus élevé que ceux des autres étudiants. Les députés ne l’ont pas voulu. Aurait-ce été une bonne mesure ?
M. D : J’y suis réticent. Pas parce que je serais plus social que les autres mais parce que cela pourrait nuire à notre attractivité internationale. Les études c’est ce qu’il y a de plus universel et ce serait lamentable de faire payer plus les étrangers.
O.R : Et le montant des droits d’inscription de tous les étudiants. Ne faudrait-il pas l’augmenter pour donner plus de moyens aux universités ?
M. D : C’est un débat qui finit toujours par avorter. Ce n’est pas intelligent de mettre 500 000 jeunes dans la rue pour un doublement des droits de scolarité qui ne nous apporterait finalement que 3 à 4 M€ sur un budget de 500 millions ! Ou alors on repense complètement la contribution des familles comme nous l’avons fait dans notre institut d’études politiques (IEP). Les frais y sont indexés sur l’assiette fiscale des parents et la moyenne y est aujourd’hui de 700€ avec un plafond à 3000€. Nos 34% de boursiers ne déboursent rien et sont plus nombreux qu’avant tout en ayant permis à l’IEP d’augmenter ses revenus de 300 à 400%.
O.R : Avec Eucor – Le campus européen, l’université de Strasbourg fait partie d’un consortium d’universités françaises, allemandes et suisses (Bâle, Freiburg, Haute-Alsace, Karlsruhe Institut für Technologie et Strasbourg). Est-ce là le modèle de l’université européenne qu’a évoquée en septembre 2017 à La Sorbonne Emmanuel Macron ?
M. D : Plusieurs modèles sont possibles. Le nôtre est celui d’une université transfrontalière dans le cadre d’une structure juridique qui a sa personnalité propre et nous permet de construire une plateforme commune. Nous ne pouvons pas aller jusqu’à une fusion mais nous pouvons proposer des parcours intégrés, des diplômes binationaux ou ouvrir des laboratoires communs.
O.R : Dans votre bureau on retrouve des photos des Prix Nobel qui ont largement contribué à la notoriété de l ’université de Strasbourg. A ce titre, elle fait partie des trois universités françaises membres de la LERU, la Ligue européenne des universités de recherche. Qu’est-ce qui caractérise une université de recherche ?
M. D : On ne peut pas être tous pareils. Il y a encore des petites universités qui continuent à croire qu’elles peuvent délivrer des bonnes formations dans tous les domaines à tous les niveaux. Elles devraient mieux se spécialiser dans des niches, travailler sur les « métiers de la mer » à La Rochelle ce n’est pas aberrant ! – plutôt que vouloir tout faire. Ici à Strasbourg nous pouvons à la fois avoir de très nombreux laboratoires de haut niveau et délivrer un enseignement de proximité dans nos IUT comme nos licences.
En dehors de Paris ce qui s’esquisse aujourd’hui c’est la constitution de grands pôles – à Bordeaux, Toulouse, Aix-Marseille, Lyon, Lille – à même de relever les grands défis de la recherche.
O.R : Votre modèle c’est celui d’une grande université dont les trois composantes ont fusionné en 2009. Vous ne pensez pas que les regroupements, les « Comue », soient un modèle pertinent ?
M. D : Il n’y a plus d’injonction à développer des Comue. Seules les fusions sont efficaces pour développer des projets intégrés dans le cadre d’une gouvernance solide. Ce n’est pas un hasard si le premier Idex (initiative d’excellence) a été remis à Strasbourg. Cela ne nous empêche pas de travailler sous forme d’association avec l’université de Haute-Alsace dont 70% de la recherche est réalisée en commun.
Quand nous avons fusionné certains s’inquiétaient dans mon université – j’étais vice-président de l’université Marc-Bloch plutôt orientée sciences humaines – de nous voir phagocytés par les autres disciplines. Mais aujourd’hui les SHS ont plus de moyens que jamais car l’Idex leur profite largement.
Pour ne pas être déclassés au niveau mondial nous devons être constamment mobiles. Faire progresser la recherche sans oublier les étudiants de licence, donner des moyens aux Prix Nobel comme aux jeunes pousses. Je n’aimerais pas piloter une Comue car elles ne possèdent pas de levier social, ont beaucoup de lourdeur pour un résultat aléatoire.
O.R : Que pensez-vous de la création de « collèges universitaires », réunissant les années de licence et les IUT, comme s’apprête à le faire l’université ParisSud ?
M. D : Pourquoi pas si cela peut répondre à l’idée d’Emmanuel Macron que « tout bachelier doit pouvoir accéder à l’enseignement supérieur mais pas forcément à l’université ». Une de nos écoles d’ingénieurs possède une classe préparatoire intégrée qui permet aux étudiants d’être dans l’école où ils auraient voulu être inscrits dès la prépa. Le collège universitaire de Paris Sud peut être une expérience intéressante mais pas transposable chez nous.
O.R : Pour mieux faire réussir les étudiants on parle beaucoup de l’évolution des pédagogies. Que faites-vous en ce sens ?
M. D : Quand on parlait de formation pédagogique des enseignants il y a dix ans on avait peu de succès. Aujourd’hui beaucoup d’enseignants-chercheurs s’inscrivent dans notre Institut de Développement et d’Innovation Pédagogiques. Et pas seulement des débutants. Ils ont compris qu’on pouvait évoluer dans sa manière de faire cours. L’université bouge énormément aujourd’hui mais on doit aussi y mettre le prix pour avoir les meilleurs professeurs et chercheurs.